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Les Livres

Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel, Roland Jaccard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Serge Safran éditeur

Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel, septembre 2018, 15,90 € . Ecrivain(s): Roland Jaccard Edition: Serge Safran éditeur

 

« J’ai compris trop jeune que je serais incapable de réaliser mes idéaux, que le bonheur est une chimère, le progrès une illusion, le perfectionnement un leurre et que, même si toutes mes ambitions étaient assouvies, je ne trouverais encore là que vide, satiété, rancœur. La désillusion complète m’a conduit à l’immobilité absolue. N’étant dupe de rien, je suis mort de fait ».

Entre 1839 et 1881, Henri-Frédéric Amiel tient son Journal intime, soit 16.847 pages ; plus modeste Roland Jaccard écrit le journal intime du Genevois, prend sa voix et sa plume le temps d’un petit roman. Il se glisse dans la peau du professeur en désespoir, du collectionneur de conquêtes qu’il s’empresse d’abandonner, de l’écrivain qui choisit le cimetière de Clarens, au-dessus de Montreux comme dernier domicile connu, face au lac Léman, sans savoir que Vladimir Nabokov y repose également : Je ne me doutais pas qu’un jour lointain… nous irions comme deux fantômes au lever du jour à la chasse aux papillons. Roland Jaccard qui s’y connaît en trahisons, trouve là un allié, un vieux complice, comme le sont aussi Schopenhauer, Schnitzler et Cioran.

Les Larmes, Pascal Quignard (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

. Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Folio (Gallimard)

 

Le grand érudit latiniste, féru d’histoire romaine, grecque, franque, le romaniste averti se fait mémorialiste des temps carolingiens dans ce « roman », pétri d’histoire, de culture, de références, et d’invention de son lot. L’écriture, reconnaissable dès les premiers paragraphes, allie une poésie corsetée, une description ascétique des corps et des âmes, une vision « historique » par son lexique, ses exigences. Le phrasé est coupé court (il évoquera bien sûr dans son récit romanesque la « Cantilène de Sainte Eulalie » dont il fallut couper le cou puisque les flammes n’érodaient nullement son corps. De son cou s’éleva une colombe). On retrouve ce style si particulier que Terrasse à RomeCarusLes Escaliers de ChambordBoutèsAbîmesLes Solidarités mystérieusesLe Nom sur le bout de la langueLes Ombres errantesVilla AmaliaSur le jadis, dans des registres différents, ont mis en exergue.

Le règne de Charlemagne et de ses descendants directs (surtout deux petits-fils jumeaux non reconnus comme légitimes, fils de Bertha, sa fille, …) occupe l’espace temporel (des années 777 à 843 : l’occasion donnée à notre écrivain d’évoquer les séquences d’Eulalie, les fameux serments de Strasbourg, et cette Europe, déjà morcelée alors, toujours vaillante et déchirée).

L’enfant-mouche, Philippe Pollet-Villard (par Lionel Bedin)

Ecrit par Lionel Bedin , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, J'ai lu (Flammarion)

L’enfant-mouche, août 2018, 480 pages, 8 € . Ecrivain(s): Philippe Pollet-Villard Edition: J'ai lu (Flammarion)

 

L’enfant-mouche est l’histoire de Marie, une petite fille livrée à elle-même, sans attaches (orpheline aux origines troubles) qui va devoir survivre dans un monde compliqué : le monde des adultes dans une campagne sinistre en temps de guerre.

Mais le premier personnage que l’on rencontre est Anne-Angèle, infirmière militaire dans un dispensaire à Casablanca. Elle a 60 ans, ne croit ni en Dieu, ni au Diable, qui dit que « être inquiète, réfléchir, ça ne sert à rien » et « seule la réalité compte ». Elle sera la tutrice de Marie tout au long de cette histoire. Marie, dont le lecteur fait la connaissance à Paris à l’été 1944, a 12 ans. Elle est renfermée, instable. Sa mère est-elle vraiment cette Faustina, stripteaseuse dans un cabaret louche ? Après divers événements, Anne-Angèle et Marie sont contraintes d’aller vivre dans un village de la Marne.

Une nouvelle édition des Misérables dans La Pléiade : un événement (2 sur 2) (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Les MisérablesVictor Hugo, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, n°85, février 2018, édition Henri Scepi, Dominique Moncond’huy, 1824 pages, 65 € (prix de lancement jusqu’au 30 juin 2018)

 

Court en silence – et il faut être à l’écoute de cette course silencieuse –, sous la plume de Hugo, dans la courte préface des Misérables, le terme d’Anankè. En écho de ce mot grec gravé par Claude Frollo en lettres capitales sur la muraille au cœur de Notre-Dame de Paris [1]. Hugo nous le répète, la mort est toujours une échéance redoutée et infiniment douloureuse dans la façon qu’elle a, aura, de séparer, délier les êtres, les êtres et les choses, les regards et le visible. Face à la fragilité de la terre, de l’innocence (ainsi l’enfance), face aux morsures (crocs apparents, pour qui sait voir) des sociétés, et face à l’inéluctabilité de la mort, il y a les liens, les liaisons plutôt (Les Misérables nous le signifie, au fil des pièces d’étoffes diverses qui constituent, cousues ensemble, le grand ensemble noir et de fête de ce roman)…, les liaisons que l’on peut reconnaître – plus que tisser – avec les choses, avec les êtres. Hugo oppose à la pesanteur qui écrase et aliène les hommes l’envol de l’amour. C’est une façon de s’extraire de l’enfer de la fatalité. Une manière qui consiste à dénouer la clôture constrictive de l’Anankè au profit « d’une nouvelle espèce d’enchaînement, qui vaut libération », ainsi que le résume Henri Scepi dans sa stimulante préface.

Une immense sensation de calme, Laurine Roux (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Une immense sensation de calme, Laurine Roux, Les éditions du Sonneur, mars 2018, 121 pages, 15€

 

ENCRE MIRACULEUSE, d’une sensation de calme, pour ainsi dire : atemporelle, comme il en existe, en émane, en surgit, autour des chats, à l’approche des cabanes, à la vue d’un livre (parfois), dans le halo cireux des cierges, à fleur un rai de pénombre, au pied des arbres fruitiers, aussi, dans le mûrissement amène d’une journée d’été, en lisière des forêts, le bruissement sismique d’une croissance ininterrompue ; sensation lacustre, que procure la lecture furtive, d’une traite, d’« Une sensation de calme » -, premier roman rédigé d’une plume frémissante, féminin palpable trempé de peauésie, qui jamais ne vacille, d’une seule flamme pourrait-on dire, pure et humble et scintillante et concrète depuis le cœur sans l’ombre d’une mièvrerie, « c’est ainsi » (dit-elle) « c’est bien », refrain ponctuant un livre de sagesse, livre de concorde de l’ivresse et du renoncement, de la vie et de la mort, perle brute essaimant ses sortilèges lents de rivière aux mains de Laurine Roux.