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La Une CED

Théâtre du vrai et du faux Opéra Panique, Alejandro Jodorowsky, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 07 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Théâtre

Opéra Panique, Alejandro Jodorowsky, Métailié, mai 2018, 96 pages, 7 €

 

Comment aborder cette pièce d’Alejandro Jodorowsky, théâtre auquel revient l’auteur après une longue interruption, en essayant de démêler le discours latent de cette comédie et ses buts, sans en détruire l’originalité ? Car bien que l’on puisse aisément rapprocher ce texte du Godot de Beckett ou de Ionesco, et mettre à profit la théorie de l’absurde qui a si bien réussi à ces auteurs, on ne dirait pas tout tant cette pièce est globale, et parle faux pour dire vrai et vrai pour dire faux. Oui, nous sommes bien au cœur de l’absurdité humaine et sa manière folle de réagir, mais ici un petit peu au-delà du monde « vrai », au sein de la compétition, de la guerre, du couple, du débat idéologique et même spectateur d’une scène qui évoque à sa manière délurée et cependant profonde Le Fils de Saul de  László Nemes. Donc nous sommes ici au niveau littéraire de Godot ou encore de Pour un oui ou pour un non, même si l’on rit plus, on s’interroge plus en atteignant sensiblement une vérité absolue que seule la vie est capable de réunir et d’assembler sous un masque grotesque.

Sacrée bavure, Par Catherine Dutigny/Elsa

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mercredi, 06 Juin 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

La rue de Pigalle est déserte. La pluie glacée laque les pavés disjoints. Un panneau publicitaire, veuf de plusieurs lettres affiche son slogan aussi clairement qu’un rébus directement sorti des pages de l’Almanach Vermot. Le « J » et le « F » y pendent lamentablement, comme les testicules d’Enoch Poznali, dit La Volga, après son exécution. Les flonflons du Front populaire ne feront pas, ce soir, chavirer le cœur du quartier interlope. Inutile de chercher sous une porte cochère, dans l’embrasure d’un hôtel de passe, les appâts d’une putain aux jambes gainées de soie.

Un œil attentif, scrutant les encoignures noires pourrait surprendre quelques silhouettes furtives, un pan d’imperméable, deux ombres discutant dans une tire, la flamme d’un briquet à essence.

Une oreille, tout aussi attentive, percevrait derrière les volets clos du cabaret, au numéro 66, les éclats de voix et résonances de la grand-messe des marlous de la Butte.

Rencontre avec le poète et traducteur Saleh Diab, par Philippe Chauché

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 05 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

 

La Cause Littéraire : Votre anthologie vient à point nommé, alors que la guerre, la torture, la folie ne cessent de s’inviter, alors que la Syrie est en train de disparaître en tant que pays, alors que cette science luxuriante, inventive et vagabonde qu’est la poésie n’a point de place, vous ouvrez le livre de la poésie contemporaine, de la poésie vivante, qui résiste par sa présence riche et complexe, par sa liberté libre. D’où vient ce projet ? Et pourquoi maintenant ?

 

Saleh Diab : La bibliothèque francophone manque de livres qui traitent de la poésie arabe classique à l’exception des odes (al-Mu’allaqât) dont il y a plusieurs traductions, mais il n’existe pas une seule traduction complète des poètes qui ont écrit ces odes. De même aucune œuvre complète d’un seul poète Omeyade, Abbasside et de l’époque Andalouse non plus n’a été traduite en français. Comment expliquer cela ? Les chercheurs et traducteurs n’étaient–ils pas intéressés par mille ans de poésie arabe ? Il n’existe pas une seule anthologie de la poésie arabe classique dans la collection de La Pléiade.

La palette chamanique de Marc Varvarande, par Mustapha Saha

Ecrit par Mustapha Saha , le Lundi, 04 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Côté Arts

 

Certains itinéraires artistiques fraient leur chemin hors sentiers battus, creusent leur sillon hors sylve abattue, fertilisent leurs créations hors modèles rabattus. Il est des sentes buissonnières, des vadrouilles pionnières, des tortilles ouvertes par quelque muse braconnière, qui mènent aux vallées inexplorées, foisonnantes de plantes insoupçonnables et de créatures inimaginables. Heureux l’artiste comme Marc Varvarande qui les arpente et projette sur des paysages connus les lumières cueillies au-delà des nuages. Le peintre transpose les fééries visuelles sur les murs nus des écoles déshéritées, avec la patience du jardinier qui ne voit passer le temps qu’à travers les saisons, la délicatesse de l’artisan qui donne à chaque motif sa belle raison, la générosité du samaritain qui sème la beauté dans chaque maison. Qui peut percevoir mieux que les enfants, encore préservés des jugements acquis, le jaillissement poétique des formes et des couleurs, sinon l’artiste, réfractaire à la routine stérilisante, puisant dans sa mémoire mutine les intuitions premières et les sensations diamantines. L’image enjambe la barrière langagière pour formuler l’indicible, esquisser l’inaccessible, diaprer l’immarcescible. Les intuitions, éblouies par le spectre solaire, se font clairvoyances.

Les serpents sont-ils nécessaires ?, Brian De Palma, Susan Lehman, par Yann Suty

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 01 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Les serpents sont-ils nécessaires ?, Brian De Palma, Susan Lehman, Rivages Noir, mai 2018, trad. anglais (USA) Jean Esch, 240 pages, 16 €

 

On aime bien Brian De Palma, le réalisateur, l’auteur de quelques pépites du septième art comme Phantom of the paradiseLes Incorruptibles, L’Impasse ou Pulsions. Un cinéaste qui a un style identifiable, aussi bien par ses mouvements de caméra que par ses thématiques. Voilà qu’il se reconvertit comme écrivain (avec la collaboration de Susan Lehman).

Il était peut-être plus facile pour lui d’écrire un livre plutôt que de trouver des financements pour un film dans l’industrie hollywoodienne actuelle. On imagine que l’activité de romancier est moins fatigante que celle de réalisateur en charge d’une équipe d’une centaine de personnes. Surtout quand on a atteint un âge plus qu’auguste.

On était curieux de découvrir le travail de romancier de Brian De Palma. D’autres réalisateurs avant lui se sont essayés à l’écriture avec plus ou moins de succès, comme Michael Cimino ou, plus récemment, David Cronenberg avec Consumés. Pour ce dernier, même si le livre n’était pas à la hauteur de ses meilleurs films, on y reconnaissait bien sa patte, ses obsessions, développées dans une histoire originale.