Identification

La rentrée littéraire

Le Temps des orphelins, Laurent Sagalovitsch (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Septembre 2019. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Buchet-Chastel

Le Temps des orphelins, août 2019, 220 pages, 16 €. . Ecrivain(s): Laurent Sagalovitsch Edition: Buchet-Chastel

 

Du discours prononcé par Churchill le 13 mai 1940, on connaît la fameuse énumération : « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Mais on ignore souvent la suite : « faire la guerre contre une tyrannie monstrueuse, qui n’a jamais eu d’égale dans le sombre catalogue des crimes humains ». Elle montre que le Premier Ministre anglais savait que, sur le continent, se déroulait une entreprise qui n’avait rien à voir avec les horreurs traditionnelles de la guerre. De manière générale, oui, les chefs d’État alliés savaient que des dizaines de milliers de Juifs disparaissaient pour ne plus reparaître nulle part en ce monde. Ils avaient entendu parler de « camps de la mort », mais cette expression demeurait abstraite. Et, au milieu d’un flot ininterrompu d’informations, le grand public en avait vaguement connaissance. Mais entendre parler du processus d’extermination est une chose ; le découvrir dans sa matérialité, son épaisseur, sa réalité, en est une autre. Ce furent les soldats soviétiques (lesquels avaient mieux qu’une idée de ce que le totalitarisme signifie) qui pénétrèrent les premiers dans les camps nazis. Leurs témoignages là-dessus sont, semble-t-il, rares.

L’éternel printemps, Marc Pautrel (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

L’éternel printemps, août 2019, 128 pages, 13 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

 

« Nous nous décrivons nos royaumes respectifs, et chacun de ces pays est un délice pour l’autre. Nous nous faisons la cour mutuellement. La conversation française est bel et bien une forme de pratique érotique ».

L’éternel printemps est un roman d’amour et de séduction. Un roman parfait, une vie princière, un voyage humain, l’écrivain possède, comme son éditeur, l’art rare de savoir choisir les noms qu’il donne à ses livres. Comme il possède celui de composer ses romans, et c’est bien de cela dont il s’agit, de composition, comme on le dit pour la musique et la peinture. Marc Pautrel possède cet art d’écrire avec la précision d’un artisan joaillier, chaque geste est pesé, chaque phrase millimétrée, chaque mot choyé. L’éternel printemps est un roman qui mise sur l’amour et la littérature, comme l’on mise sur la vie. L’éternel printemps est le portrait à la plume d’une femme aimée, aimée sur l’instant, pour le timbre de sa voix, cette intonation, cette tessiture, pour ses doigts fins comme des crayons-mines, la grande mèche de cheveux qui lui barre le front, avec ce mouvement réflexe adorable dont je ne me lasse pas, mais aussi pour ses pertes d’équilibre – Je guette ses secondes de folie, les éclairs durant lesquels elle quitte la route et s’envole pour quelques minutes –, et sa conversation, cet art de vivre si Français. L’éternel printemps est un roman de la conversation, de la fréquentation.

Amazonia, Patrick Deville (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 29 Août 2019. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Seuil

Amazonia, août 2019, 304 pages, 19 € . Ecrivain(s): Patrick Deville Edition: Seuil

 

Peut-on parler de « roman » à propos de ce livre ? Jacques Lacan se demandait un jour dans quelle encyclopédie on pouvait trouver l’encyclopédie qui contient toutes les encyclopédies. Peut-être est-ce là la tentative (pathétique) de Deville.

Commençons par dire que, de la plume de Deville, on ne doit pouvoir compter que 15 à 20% (au mieux) de ce livre. Le reste, tout le reste, est visiblement un assortiment de copiés/collés venus d’œuvre diverses, de livres d’histoire, de livres de voyages, de biographies etc. Une sorte de macédoine – hélas des plus indigestes – de bouts d’œuvres plus ou moins connues, essentiellement obscures, dont la longue liste mise en fin d’ouvrage ne dit à aucun moment quel morceau vient de quelle œuvre – ce qui constitue une bien étrange conception du référencement littéraire.

Régulièrement, on a même droit à des pages entières du genre Wikipédia et son éphéméride. Pardon d’avance pour la relative longueur de la citation mais elle s’impose, d’autant que Deville y avoue au début toute la méthode de son travail (« je reprenais ces histoires assemblées autour d’Iquitos »). Il s’agit donc ici de l’année 1860.

La Terre invisible, Hubert Mingarelli (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 27 Août 2019. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Buchet-Chastel

La Terre invisible, août 2019, 182 pages, 15 € . Ecrivain(s): Hubert Mingarelli Edition: Buchet-Chastel

 

Que dire après avoir vu ce qu’ont vu les libérateurs des camps d’extermination ? Que dire après avoir vu l’indicible ? Le narrateur de ce roman – le seul personnage à n’avoir pas même de nom – se pose la seule question possible : avons-nous vraiment vu ce que nous avons vu ?

Que dire ?

« Soudain je me penchai vers Collins et lui dis dans un demi-sommeil et sans vraiment réfléchir :

Collins, qu’est-ce que nous avons vu là-bas ? »

L’entrée dans le Camp a tous les traits d’un cauchemar debout, enfoui dans un silence effroyable. L’écriture même de Mingarelli ne trouve plus son souffle dans une interminable phrase.

Ordesa, Manuel Vilas (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 23 Août 2019. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne

Ordesa, Editions du sous-sol, août 2019, trad. espagnol Isabelle Gugnon, 400 pages, 23 € . Ecrivain(s): Manuel Vilas

 

« Le passé est la vie déjà livrée au saint office de l’obscurité. Le passé ne part jamais, il peut toujours reparaître. Il revient, revient sans cesse. Le passé est porteur de joie. Le passé est un ouragan. Il représente tout dans l’existence des gens. Le passé est aussi porteur d’amour. Vivre obsédé par le passé ne nous permet pas de profiter du présent, et pourtant profiter du présent sans que le poids du passé chargé de désolation fasse irruption dans ce présent n’est pas un plaisir mais une aliénation. Il n’y a pas d’aliénation dans le passé ».

Ordesa est le troublant journal radical d’un espagnol d’aujourd’hui, d’un écrivain qui porte tout le passé de l’Espagne, et offre son présent turbulent. Il ne fait pas de cadeau à son époque, à son pays, à son passé, à ses contemporains et à lui-même, mais avec la manière. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une phrase qui ne déroge aux belles règles du style, son humeur vagabonde, mais elle reste classique. Manuel Vilas a la politesse de bien écrire, et de bien rire des situations parfois ridicules où il s’aventure. Ordesa est le roman d’une vie, celui d’un enfant du siècle né durant une dictature, qui a connu la transition démocratique, Juan Carlos et son fils Felipe VI, et qui ne cesse de se souvenir de ses parents et de l’odeur des cigarettes qu’ils fumaient, comme si la crémation n’était pas autre chose qu’une dernière cigarette fumée jusqu’au filtre.