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Critiques

Dernières nouvelles, Jim Harrison

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 05 Décembre 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Nouvelles, Flammarion

Dernières nouvelles, octobre 2017, trad. anglais (USA) Brice Matthieussent, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Flammarion

 

Aucun général ne devrait mourir ailleurs que sur le champ de bataille et aucun écrivain ailleurs qu’à sa table de travail, parce que ce sont les lieux où s’accomplit leur destin. Jim Harrison est mort le 26 mars 2016, comme doivent mourir les écrivains, à son bureau, en train de composer un poème. Il avait soixante-dix-huit ans. Les quantités de nourriture, d’alcool et de tabac qu’il absorba au cours de sa relativement longue existence étaient un défi lancé à toutes les normes diététiques et hygiénistes mises en œuvre dans son pays, puis importées en Europe : « ne pas manger trop gras trop salé trop sucré cinq fruits et légumes par jour à consommer avec modération manger bouger fumer tue ». Mais nous ne sommes pas seulement redevables aux États-Unis de cette litanie déprimante. Nous leur devons également, entre autres choses, l’œuvre de Jim Harrison, qui excellait dans la composition de novellas, des récits plus longs que des nouvelles au sens classique du mot, mais plus courts que des romans ; le plus célèbre étant Légende d’automne. Ces Dernières nouvelles recueillent les trois ultimes récits écrits par Jim Harrison au moment de sa disparition.

Avant tout, se poser les bonnes questions, Ginevra Lamberti

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mardi, 05 Décembre 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Le Serpent à plumes, Italie

Avant tout, se poser les bonnes questions, août 2017, trad. Italien Irene Rondanini, Pierre Bisiou, 217 pages, 18 € . Ecrivain(s): Ginevra Lamberti Edition: Le Serpent à plumes

Sacrée Gaia !

« Aujourd’hui je me suis levée, j’ai ouvert la porte de chez moi et je suis sortie dehors, dans la vallée où je vis ». Cet incipit donne au roman son cadre, dans le temps et l’espace. Le thème « aujour­d’hui je me suis levée » reviendra en refrain tout au long du roman comme pour témoigner de l’esprit qui anime la narratrice et lui dicte son ton, cette femme dont nous n’apprendrons le nom, Gaia, qu’à la page 28, un choix qui ne peut pas être innocent, avec sa référence à la mythologie grecque : c’est la Terre en personne, la Terra Mater des Latins.

Vivant en Vénétie, Gaia relate son quotidien dans ce qu’elle appelle la vallée, un monde isolé, aux antipodes de la vie urbaine et civilisée. S’ennuyant, mais non sans une certaine allégresse, elle promène un drôle de regard sur son entourage. Sous sa plume, son père n’est nommé que géniteur, sa mère que génitrice. Après le départ de Grand-mère-d’en-haut et de Grand-père-d’en-haut, elle reste seule à la maison avec sa « génitrice » et livre des aperçus sur sa vision des choses qu’elle se réserve de développer plus tard : « nous donnerons de plus amples détails par la suite ». Elle est consciente de sa différence et du regard des autres.

Le fou du roi, Mahi Binebine

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 04 Décembre 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Stock

Le fou du roi, mars 2017, 170 pages, 18 € . Ecrivain(s): Mahi Binebine Edition: Stock

 

Le fou du roi est une des belles surprises de la rentrée. Le héros est ancré dans un réel cruel mais son histoire en devient l’allégorie. Le romancier nommé « le griot de Marrakech » fait retour à l’autobiographie en contournant l’abîme de l’autofiction. Se retrouve ici le père du narrateur. Il a quitté femme et enfants pour servir son Monarque. Mais le frère officier banni est envoyé croupir par le même roi dans les terribles geôles du sud-marocain à Tazmamart après le coup d’État raté de Skhiraten.

Le jeu de la réalité fait celui de la fiction. Mais l’inverse est tout aussi vrai en ce roman singulier et presque incroyable. Comme le rappelle l’auteur, « Tout est donc réalité en étant fiction absolue ». Devenu le « fqi », titre qui désigne un savant voué à distraire le roi par ses impertinences et ses poèmes, il cherche à plaire au souverain. Par son regard, le conte devient une satire acérée tout en cultivant une certaine componction. L’auteur précise son but : « La cour de Hassan II ressemblait à celle du Roi-Soleil (…) mais je n’ai attaqué personne. Pour preuve, le narrateur est le fou du roi. Et il est fou amoureux de son maître ». Binebine ajoute : « S’il m’est arrivé de sortir les griffes, c’est en rusant pour ne pas trahir la logique de la narration ». C’est réussi.

Tu écris des poèmes, Murièle Modély

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 04 Décembre 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions du Cygne

Tu écris des poèmes, novembre 2017, 95 pages, 12 € . Ecrivain(s): Murièle Modély Edition: Editions du Cygne

« Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien sûr à l’ile de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine/dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens/à bride abattue/jusqu’à respirer sur la table/l’odeur de langue coupée ».

Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes/lorsque tu sens le réel se dérober/dès l’instant où personne ne te comprend/et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps/n’importe laquelle (…) sauf la tête ».

Chère Brigande, Lettre à Marion Du Faouët, Michèle Lesbre

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 01 Décembre 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Sabine Wespieser

Chère Brigande, Lettre à Marion Du Faouët, février 2017, 77 pages, 12 € . Ecrivain(s): Michèle Lesbre Edition: Sabine Wespieser

Parfois, des êtres croisent notre chemin non par hasard mais par une sorte d’évidence qui transforme notre vie.

Au retour « d’un long voyage », la narratrice rencontre une femme : « Cette femme, je l’avais aperçue lors d’une soirée à Paris… une femme aux cheveux d’un roux flamboyant, assise sur un canapé, seule aussi perdue que moi dans le bruit et la fumée ». Un jour, cette femme va disparaître de la vie de la narratrice. Mais elle va éveiller en elle un souvenir, celle d’une autre femme, celle qu’elle appellera dans ce nouveau roman « sa chère brigande ».

Pour ceux qui suivent l’œuvre de Michèle Lesbre, ils connaissent déjà cette brigande puisqu’elle est longuement évoquée dans un autre de ses romans, Le Canapé rouge, publié en 1997. « Marion du Faouët, la petite effrontée et son armée de brigands… Une meneuse d’hommes, une vengeresse de la Bretagne affamée des années 1740. Illettrée, aux bonnes manières, elle préférait rejoindre en cachette les marins irlandais et trinquer avec eux sur le port. Enfant, elle suivait sa mère dans les foires pour vendre lacets et rubans. Plus tard, Marion l’avait engagée dans sa troupe ainsi que son frère Corentin et bientôt son amoureux, Henri, son « seigneur malheureux », qui en se faisant prendre avait entraîné sa chute.