Mon Frère, Daniel Pennac
Mon Frère, avril 2018, 144 pages, 15 €
Ecrivain(s): Daniel Pennac Edition: Gallimard
Structuré par l’alternance de deux textes, typographiquement clairement distincts, l’un étant une fiction et le second renvoyant au travail de la mémoire, le roman de Daniel Pennac fait écho à celui de Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance. Là s’arrêtent les similitudes, puisque ce dernier donne à voir la défaillance de la mémoire et la volatilisation incompréhensible des souvenirs alors que l’autre, motivé par la disparition d’un frère, tente au contraire de réinvestir presque physiquement la présence du disparu. Ce sont plutôt la comparaison et la recherche de parallélismes entre les deux textes enchevêtrés qui s’imposent au lecteur.
Les chapitres pairs, en italiques, reproduisent de façon stricte bien que fragmentaire la nouvelle d’Herman Melville, Bartleby le scribe (traduite par Pierre Leyris). Quant aux chapitres impairs, ils recueillent un récit que l’on devine autobiographique, sans pour autant connaître la vie de l’auteur. Dès l’incipit, ce dernier nous renseigne sur l’omniprésence de l’intertextualité, à savoir son désir de monter au théâtre le Bartleby de Melville et les motifs qui y ont présidé.
Chaque extrait de la nouvelle est alors prétexte aux commentaires, aux anecdotes, aux souvenirs de l’auteur-narrateur, qui juxtapose ingénieusement discours critiques (observations sur le texte mis en scène, annotations sur le théâtre) et comptes rendus des événements qui ont marqué sa relation avec Bernard, ce frère qu’il a tant aimé. Au fil des aveux, on découvre assez rapidement qu’en s’attribuant le rôle du notaire qui cherche à résoudre le mystère du célèbre I would prefer not to, le narrateur-acteur a voulu incarner, sur scène, la discussion qu’il n’aura jamais eu avec le frère, qui dans une formule tout aussi énigmatique que celle de Bartleby, ne voulait pas ajouter à l’entropie. Si dans le choix de la nouvelle de Melville, Daniel reconnaît l’impossibilité de percer à jour les ressorts souterrains de la personnalité de Bernard, la démarche autobiographique de l’écrivain qui prolonge la quête de l’acteur-réalisateur de théâtre semble, quant à elle, finalement consoler du manque et déchiffrer quelques non-dits.
Éminemment subtil, par sa structure et son écriture puissante et dense dans sa justesse et sa sobriété, le roman de Daniel Pennac nous livre un remarquable témoignage d’amour et une précieuse leçon de modestie dans nos relations avec les êtres aimés. A lire et à relire, sans modération, puisque le roman est court, et qu’une fois n’est pas coutume : on aurait bien aimé qu’il s’éternise.
Christelle d’Hérart-Brocard
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