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La Jérusalem d’or, Charles Reznikoff (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 22 Octobre 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

La Jérusalem d’or, Editions Unes, octobre 2018, trad. anglais (USA) André Markowicz, 48 pages, 15 € . Ecrivain(s): Charles Reznikoff

 

Charles Reznikoff : vers un nouveau « nouveau monde »

Né à Brooklyn de parents russes émigrés aux Etats-Unis (pour fuir les pogroms russes), Charles Reznikoff grandit dans ce qu’il nomma « le ghetto juif de Brownsville ». Il fonde, avec ses amis George Oppen et Louis Zukofsky, le mouvement « objectiviste » soutenu par Ezra Pound et William Carlos Williams.

Ses premières études de juriste sont essentielles pour comprendre les propos de ses travaux poétiques, dont Témoignage Les Etats-Unis 1885-1890 (fondé sur les archives des tribunaux de la fin du XIXe siècle) et Holocauste (instruit sur les compte-rendu des procès de Nuremberg et d’Eichmann et publié aux éditions Unes en 2017). L’auteur y développait une vision factuelle et volontairement « généraliste », dépassionnée le plus possible, des horreurs de l’Histoire, ses cruautés, ses injustices, son arbitraire et l’inhumanité des hommes envers les autres. Mais son livre La Jérusalem d’or est un peu différent. Il s’agit du livre de la réconciliation des identités juives et américaines.

Les jours de silence, Phillip Lewis, par Fanny Guyomard

Ecrit par Fanny Guyomard , le Mardi, 16 Octobre 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Belfond

Les jours de silence, août 2018, trad. américain Anne-Laure Tissut, 448 pages, 22 € . Ecrivain(s): Phillip Lewis Edition: Belfond

 

Quête du père, quête de l’autre et des mots pour exprimer l’amour. Avec sa plume sensible et élégante, Phillip Lewis offre un magnifique roman qui interroge les silences de notre enfance, les questions demeurées insolubles sur nos pères impénétrables dont on cherche la reconnaissance.

Comme ces romans qui se déroulent sur plusieurs décennies, Les jours de silence convoque un puissant et tendu sentiment de nostalgie. Nous ressentons les sept années qui ont été nécessaires pour écrire ce roman, ce temps qui infuse l’écriture et qui la fait traverser plusieurs phases.

Le regard enchanté de l’enfant narrateur devient lors de son exil le récit d’une longue déchéance, d’une errance destructrice. Un déni du passé, qui ne cesse pourtant de resurgir. Car en fuyant et en s’oubliant, le narrateur ne fait que redevenir ce père alcoolique. Il devient (involontairement ?) son double, comme pour mieux le comprendre. Et dans cette quête s’exprime en filigrane l’essence ambivalente de la littérature : elle est autant force d’illusion que de désillusion.

Les jours de silence, Phillip Lewis (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 11 Octobre 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Belfond

Les jours de silence, août 2018, trad. américain Anne-Laure Tissut, 427 pages, 22 € . Ecrivain(s): Phillip Lewis Edition: Belfond

 

Un roman passionnant et bancal

Une pluie de références et citations des plus grands écrivains américains, traversée de traits d’esprit et de personnages aussi improbables que drôles et attachants – à commencer par le jeune narrateur –, voilà de quoi faire de cette lecture un vrai moment de plaisir littéraire. Parce que la littérature, et les livres, on y plonge jusqu’au cou dans ce roman tout entier baigné dans l’amour des auteurs et de leurs œuvres.

Tout commence par une citation de Thomas Wolfe, dont le père du narrateur est fou d’admiration. La famille s’installe – les parents et le jeune narrateur – dans une invraisemblable maison nichée dans un coin des Appalaches, en Caroline du Nord. Une maison biscornue, construite quelques décennies plus tôt par des propriétaires originaux. Une bibliothèque immense et bien garnie, en est le centre. Et le reste se distribue dans une architecture improbable, dans le désordre. Un antre menaçant et terrifiant dans lequel vont grandir deux enfants.

Les aventures de Mao pendant la Longue Marche, Frederic Tuten (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 04 Octobre 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Les aventures de Mao pendant la Longue Marche (The Adventures of Mao on The Long March), traduit de l’américain par Maurice Rambaud, Gallimard 1974. 195 p. . Ecrivain(s): Frederic Tuten Edition: Gallimard

L’expression « OVNI littéraire » a été tellement galvaudée qu’on peut hésiter à l’utiliser encore. Cependant cette image s’impose pour ce roman (??), cet épisode de l’Histoire (??), cet exercice de style (??), cet essai sur l’art (??) que Frederic Tuten écrivit dans les années qui suivirent le vent de folle liberté qui soufflait sur le monde occidental, dans les années 70.

Ce livre bouscule de manière inouïe tous les codes du romanesque ou de la narration. On y trouve enchâssés les uns dans les autres, des paragraphes, d’Histoire de la Chine pendant la Longue Marche entreprise par Mao-Tsé-Toung et son Armée Rouge au début des années 30, des passages romanesques ayant pour cadre la même période — Mao est un formidable personnage de roman en vérité —, des pages de considérations sur l’Art moderne et sa création, des pastiches formidables de grands écrivains américains — Faulkner, Malamud, Dos Passos, Hemingway, Lowry, Kerouac, des citations de pages entières d’Emerson (Walden) ou de Joyce. Et, au passage, des considérations où le discours intellectuel sur l’art ou la littérature en prend pour son grade ! Et c’est souvent à se tordre de rire.

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 21 Septembre 2018. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Zulma

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu (Their Eyes Were Watching God, 1937), septembre 2018, trad. Sika Fakambi, 320 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Zora Neale Hurston Edition: Zulma

Les premières phrases de Mais leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston, écrit durant la ségrégation raciale, mettent en lumière le rapport différencié hommes/femmes, et la création des grands mythes. Les hommes voguent sur on ne sait quelle mer et les femmes, plus pragmatiques, reviennent à la terre pour honorer les rites funéraires. Comme une prophétie, l’une de ces femmes se distingue. En s’en approchant, on découvre une créature très belle, objet de tous les désirs, un peu inquiétante, dont la présence ouvre la voix aux sans-voix. Zora Neale Hurston puise dans le sociolecte de celles et de ceux acculés dans les bas-fonds de la société américaine blanche, y exhume leurs fables, leurs échecs, leurs facéties. Par un procédé stylistique très compliqué, la narration s’imbrique au passé, et de la mémoire de l’héroïne principale, Janie Mae Crawford, surgissent les péripéties d’une population esclavagisée, devenue amnésique de ses origines africaines. À la place, les sinistres points de repère de la doxa littéraire américaine balisent le roman : les chiens lâchés contre l’homme noir, le lynchage d’innocents, la haine, la faim, les logements indécents, la misère, l’ostracisme incessant. L’intérêt du récit fait que cette condition intenable s’évoque par le biais d’une sorte de rescapée sans famille et va droit au but, sans les détours pudiques d’un Faulkner, par exemple.