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Roman

Lisbonne mélodies, João Tordo

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 10 Juin 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Actes Sud

Lisbonne mélodies (O Ano Sabático), mai 2015, traduit du portugais par Dominique Nédellec, 240 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): João Tordo Edition: Actes Sud

 

Malgré son titre français, ce n’est pas de la ville de Lisbonne que nous parle ce roman, mais de musique et de création, et encore plus d’identité. Cela commence avec le retour au pays d’un musicien de jazz qui s’est découvert sur le tard une passion pour la contrebasse. Ses armes de jazzman, il les a faites à Québec où il a aussi appris la dépendance à l’alcool. Après quelques années où il s’est perdu lui-même, laissant derrière lui musique et amours rêvés, Hugo revient à Lisbonne, accompagné de son encombrante contrebasse dont il a juré qu’il n’en jouerait plus. Mais revenir là où on ne l’attend pas, où il n’a plus vraiment de place, c’est prendre des risques impossibles à imaginer. Comme celui de rencontrer son double, qui, lui, semble avoir « réussi » : le pianiste de jazz Luis Stockman, qui au cours d’un concert va le trahir, alors qu’ils ne se connaissent pas, en donnant à entendre la mélodie, le thème secret qui est comme l’âme du contrebassiste. Un thème qui le hante et qu’il n’a jamais pu achever et que l’autre lui a « volé ». Un autre qui pourrait être le frère jumeau qu’il aurait pu avoir mais qui n’a jamais vécu… Un frère par les yeux duquel il va apprendre ou réapprendre à voir le monde. La vie. Sa vie.

Bordeaux la mémoire des pierres, Jean-Michel Devésa

Ecrit par Theo Ananissoh , le Mardi, 09 Juin 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Bordeaux la mémoire des pierres, Ed. Mollat, février 2015, 229 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jean-Michel Devésa

C’est à la fois simple et complexe. Et réussi comme récit et comme atmosphère. François Lister, soixante-treize ans, prof de philosophie, revient à Bordeaux où il a grandi cinquante et un ans après l’avoir quitté. Lister est le fils unique de républicains espagnols réfugiés comme beaucoup d’autres en France dans les années d’après-guerre. Son père, engagé dans la lutte contre Franco, un « preux », est déjà mort quand sa mère et lui (il a alors six ans) arrivent à Bordeaux. A vingt-deux ans, précisément le 8 novembre 1962, Lister quitte… Quitte quoi exactement ? Bordeaux, oui, physiquement ; mais il y a plus. Pour lui, en effet, la pendule semble s’être arrêtée à cette date du 8 novembre 62. La veille, Julían Grimau, un dirigeant du Parti (communiste) infiltré dans l’Espagne franquiste a été arrêté. Il sera fusillé. Grimau aurait dû être dans Madrid en compagnie de Rosario Santiago, habile à jouer pour le Parti le rôle de compagne ou de maîtresse. Tombée malade au dernier moment, elle n’a pas pu fournir cet appui à Grimau. Rosario Santiago, qui réside à Bordeaux, est le grand amour de Lister, alors étudiant en philosophie. Mais Rosario vit corps et âme pour la cause ; elle est entièrement au service du Parti. Alors que Lister, lui, ne cesse de se poser des questions sur les stratégies et les décisions dudit Parti. Lister, c’est patent, est un observateur, pas un actif. En lui, l’amour ne se laisse pas aisément sacrifier, au point de le rendre très jaloux et soupçonneux quant aux liens exacts qu’entretiennent Grimau et Rosario.

La Poupée, Ismail Kadaré

Ecrit par Patryck Froissart , le Lundi, 08 Juin 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Bassin méditerranéen, Fayard

La Poupée, mars 2015, traduit de l’albanais par Tedi Papavrami, 155 pages, 16 € . Ecrivain(s): Ismail Kadaré Edition: Fayard

 

En recréant par petites touches, à partir de bribes de souvenirs personnels, de vieilles photos et d’éléments anecdotiques révélés par les uns et les autres, l’existence de sa mère, surnommée La Poupée dans toute la famille, décédée en 1999, Ismail Kadaré, auteur narrateur, plonge le lecteur dans l’intimité d’une famille albanaise, sa famille, dans le contexte historique particulier qui a marqué ce pays durant les deux derniers tiers du siècle dernier.

L’existence de La Poupée, tout comme celle des jeunes années de l’auteur, est profondément, émotionnellement, sentimentalement liée à celle de la grande maison familiale du clan Kadaré de Gjirokastër, jamais achevée, plutôt en cours de décrépitude, où, fraîchement épousée à l’âge de dix-sept ans, la jeune Madame Kadaré se retrouve brusquement transplantée et avec laquelle, d’entrée, elle entretient une relation de rejet, parallèlement aux rapports d’hostilité permanente qui marquent sa cohabitation avec sa belle-mère.

L’Ultime Auberge, Imre Kertész

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Vendredi, 05 Juin 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Récits, Actes Sud

L’Ultime Auberge, janvier 2015, traduit du hongrois par Charles Zaremba, Natalia Zaremba-Huzsvai, 320 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Imre Kertész Edition: Actes Sud

 

« On dit que je suis un écrivain très estimé mais que – si j’ai bien compris – personne ne lit ».

Pour qui, par hasard, n’aurait jamais lu Kertész, il serait totalement déconseillé de l’inviter à se saisir de ce dernier opus que l’auteur lui-même, sentant ses forces l’abandonner, déprécie sans cesse (en dépit du fait qu’il le considère en exergue comme « le couronnement de son œuvre »). « Il ne fait aucun doute que l’Ultime Auberge à laquelle j’ai consacré tant de temps (des années, de longues années) n’est pas un bon sujet. D’une part, le texte a de nouveau la forme d’un journal, forme galvaudée qui m’ennuie, d’autre part, le ton est trop sombre, ce qui n’est pas justifié, en fin de compte ». Imre Kertész n’en est pas à un paradoxe près.

Dans ce livre intitulé L’Ultime auberge, texte hybride entre journal et roman, mais toujours au plus près de l’autobiographie, le prix Nobel de littérature dont toute l’œuvre a fait le lien entre existence (ou non-existence, cf. Etre sans destin) et vie réelle, s’interroge, entre autres, à la fois sur la qualité de son écriture et sur l’évolution de la littérature : « pourquoi mon écriture s’est-elle à ce point aplatie », et « le roman est-il moribond ? ».

La grande santé, Frédéric Badré

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 04 Juin 2015. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Seuil

La grande santé, avril 2015, 200 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Frédéric Badré Edition: Seuil

 

« La maladie neurodégénérative m’extrait du monde. C’est une expérience douloureuse de la séparation. L’antidote au cauchemar, le moyen de rester éveillé, la grande santé a pour nom littérature ».

La grande santé est ce récit, ce roman d’un corps qui lâche, le corps d’un dessinateur, d’un peintre, d’un écrivain frappé au cœur par la SLA, la maladie de Charcot. La grande santé est cette expérience terrible de la fonte des muscles, de l’effondrement de la saveur et du savoir du corps, de la suspension des mots dans le territoire de l’invisible. La grande santé est cet acte de résistance à la ruine annoncée, acte d’écriture, donc de vie divine. Alors s’invitent Kafka – Jubilation du créateur –, Joyce, Paulhan – vision magique du langage –, Meyronnis – le Pic de la Mirandole du XXIe siècle –, Roth, Ponge, d’un livre et d’une métamorphose à l’autre. Si le corps lâche, la littérature sauve.

« Chaque matin, devant la glace, je dois envoyer des bises en l’air, étirer mes lèvres, faire claquer ma langue, gonfler mes joues, descendre la mâchoire, l’avancer comme un prognathe… Pourtant, rien n’y fait, l’affaiblissement progresse. L’art de la pointe comme stade suprême de l’esprit civilisé, je ne pourrai plus l’exercer qu’en silence. Et dans le silence, il se perdra ».