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Roman

La tête de l’anglaise, Pierre d’Ovidio

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Vendredi, 18 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Jigal

La tête de l’anglaise, septembre 2016, 232 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Pierre d’Ovidio Edition: Jigal

 

Dans une interview de 2013 donnée à BFMTV, le criminologue Laurent Montet expliquait que « les joggeuses ont un profil de victime que l’on considère comme désirable sexuellement ». Puis de comparer ces meurtres aux agressions de prostituées : « Dans les deux cas, nous avons des victimes féminines, isolées, et qui représentent une forme de désir sexuel. Mais la différence est que la joggeuse est en mouvement. Pour le tueur, cela suppose une traque, une chasse ».

Dans un petit village du centre de la France, la chasse on connaît. La chasse, la pêche, l’élevage des vaches laitières, la culture du maïs. Ça fait partie du quotidien du paysan, fils et petit-fils d’autres paysans qui ont remué avant lui cette terre, semé et récolté parce que l’avenir c’est de rentrer dans les bottes glaiseuses du père, se caler les fesses sur le tracteur et de continuer le même labeur sans se poser de questions.

Ce que le paysan connaît moins c’est la joggeuse, en l’occurrence dans ce trou du cul de nulle part, une anglaise soucieuse de garder la forme la soixantaine passée, venue avec son mari retaper une vieille ferme abandonnée, goûter aux charmes de la campagne française, se repaître de la bonne cuisine du terroir, tout bêtement profiter de la retraite.

Du vent, Xavier Hanotte

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 15 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Belfond

Du vent, octobre 2016, 432 pages, 19 € . Ecrivain(s): Xavier Hanotte Edition: Belfond

 

Voilà, commis par le romancier belge, un roman bien enlevé, brillant et intrigant. Ou comment tisser deux histoires en une, sans quitter l’à-propos ni verser dans le décousu main.

Ainsi, nous suivons en parallèle, poussées par le vent de l’histoire ou le bien réel météorologique, les narrations d’une relation historique à la Yourcenar et d’un fait divers crapuleux de séquestration. Nous verrons assez vite que des liens se nouent entre les deux histoires.

En quatre chapitres, le personnage de Jérôme Walque, romancier de son état, réinvente le triumvir Lépide, collègue d’Antoine et d’Octave, en pleine action d’occupation de la Sicile. Un héros tourmenté par l’éthique, renonçant à la violence et donc au pouvoir. Le portrait que Walque en fait est d’une justesse psychologique assez profonde, et la comparaison avec Yourcenar vient assez vite sous la plume, tant l’écriture reconstitue avec sagacité et flair cette époque révolue de luttes romaines pour le pouvoir. Les légions, les manœuvres de palais, les mouvements de troupes, tout y est vraisemblable.

Cartographie de l’oubli, Niels Labuzan

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 15 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jean-Claude Lattès

Cartographie de l’oubli, août 2016, 522 pages, 20 € . Ecrivain(s): Niels Labuzan Edition: Jean-Claude Lattès

 

Que sait-on de l’action des Allemands en Afrique ? Et plus particulièrement dans le Sud-ouest africain, région sur laquelle l’Empire allemand avait réussi à établir son protectorat dans les années 80 du XIXe siècle ? Peu de choses, à vrai dire, et le roman de Niels Labuzan vient à point combler cette lacune et répondre à nos interrogations légitimes.

En 1889, un groupe de soldats allemands débarque dans le Sud-ouest africain. Jacob Ackermann en fait partie, il est jeune, âgé de dix-neuf ans. C’est un lieutenant discipliné, patriote, qui pressent que sa vie sera bien plus utile, bien plus passionnante ici qu’en Allemagne. Au milieu de ce décor, de ces déserts, ces étendues infinies, tout lui semble possible. En 2004, un jeune Namibien, métis d’Allemand et d’Africain, assiste à une cérémonie commémorant le massacre des Hereros, une tribu composant autrefois la population du Sud-ouest africain. Les deux personnages vont dialoguer durant tout le roman, à plus d’un siècle de distance.

Un gâchis, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 14 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Verdier

Un gâchis, 96 pages, 10,14 € . Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Verdier

 

« L’homme-enfant »

Emmanuel Darley écrira quatre romans. Un gâchis est le deuxième et constitue comme un diptyque avec son premier texte, Des petits garçons (1993) édité chez P.O.L. Diptyque de la voix intérieure, de l’enfermement. Ses deux derniers textes eux seront ouverture sur le monde, sur l’humanité en guerre et en exil.

Le mot « gâchis » résonne ici comme une sorte de commentaire sur le roman à lire. Parmi ses sens, il faut retenir celui d’histoire embrouillée. Le court roman d’Emmanuel Darley se donne en effet comme un jeu entre l’auteur et son lecteur. La lecture avance comme le personnage qui parle. Ce narrateur est moins d’ailleurs un personnage qu’une voix. Il a oublié son prénom (p.10) ; il n’a pas d’âge. Il évolue dans une campagne abstraite même si quelques toponymies nous ramènent dans le département de l’Aube. Un monde de paysans pauvres sans réels repères chronologiques. Il ne fait que dire mais dans une sorte de silence, celui d’un monologue intérieur ou d’un soliloque de fou. En outre, la famille, autour du père André, les frères, la mère, sont tous des taiseux (p.9).

Le Commis, Bernard Malamud (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 10 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Rivages

Le Commis (The Assistant, 1957), octobre 2016, trad. américain J. Robert Vidal, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Bernard Malamud Edition: Rivages

 

Avec L’Homme de Kiev, mais aussi avec Le Meilleur, on avait compris que Bernard Malamud compose des univers et des trajectoires surdéterminés. La psychologie de ses personnages, leur volonté, leurs forces ou leurs faiblesses, comptent peu face à la puissance des situations et des événements. Les « héros » de Malamud subissent leur vie, ils ne la font pas. En cela, ils s’inscrivent dans une tradition juive séculaire des contes et légendes des villages juifs d’Europe centrale, dans lesquels le malheur souvent, le bonheur rarement, s’abat sur les gens, comme une fatalité, comme un destin écrit d’avance, ou bien comme un hasard.

Le Commis est un roman extraordinaire. Dans une unité de lieu quasi parfaite – la petite épicerie d’un Juif pauvre, Morris Bober, et ses environs immédiats – Malamud déploie un récit au souffle universel. Il sculpte au burin des figures éternelles, comme les ombres d’un destin funeste : Le Juif maudit condamné à la malchance et la pauvreté (« On ne peut pas s’appeler Morris Bober et être riche. Un nom pareil est inconciliable avec la notion de propriété : comme si c’était dans votre sang et votre histoire de n’avoir rien »), le marginal, Frank Alpine, perdu en quête de morale et de dignité, la jeune fille vieillissante, Hélène Bober, soumise au poids de la Loi Divine et parentale, l’épouse juive, Ida Bober, dépressive et paranoïaque.