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Roman

Au revoir Monsieur Friant, Philippe Claudel

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 08 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Stock

Au revoir Monsieur Friant, novembre 2016, 83 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Philippe Claudel Edition: Stock

Ecrin de souvenirs, ce petit « roman » de Philippe Claudel, pré-texte à peindre, en demi-teintes, son passé.

Pourquoi ce titre ? Pourquoi ce peintre qui suit tellement Philippe Claudel qu’il pourrait coller à lui comme une ombre ? Mais, ce n’est pas tout : pourquoi cet « au revoir » ? Nous le saurons à la fin, quand le quitteront (?) ses souvenirs, légers comme un rire de jeune fille : « (…) pour courir enfin vers son amoureux qui, avant de partir à la guerre, l’attend là-bas, le chapeau sur la nuque, près de l’eau, dans cette fin d’été doré, sur une frêle passerelle de fer, alors qu’elle songe en riant que la vie sera pour elle un grand bouquet de roses » (p.78-79).

Mais aussi, des souvenirs lourds comme le pas titubant d’un homme ivre… Il n’est pas insignifiant non plus que la couverture de Quelques-uns des cent regrets soit encore un des portraits faits par Friant… recouvrement, poursuite : cette femme à la fois âgée et sans âge, accroupie en bord de falaise, dont la main pensive se souvient, résume ce livre-ci, le dit, le contient : une jeune fille, devenue vieille, vieille et lourde du temps qui passe, vieille et lourde de ses souvenirs, curieusement vivante par cette main qui retient et se retient, s’assied, et regarde en elle au bord du vide qui l’attire, et l’emplit toute. Elle balance et soupèse lourdement son passé.

La Porte de la mer, Youcef Zirem

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 07 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb

La Porte de la mer, éd. Intervalles, juin 2016, 141 pages, 16 € . Ecrivain(s): Youcef Zirem

 

Les miracles de la résilience


A peine entame-t-on la lecture de La porte de la mer, le dernier roman de Youcef Zirem, qu’une onde de choc parcourt notre corps et soulève notre cœur. Le malaise ! L’horreur ! Une scène de violence extrême nous prend à la gorge et masque notre vue. Dans un lieu reculé, loin de la ville et de sa foule terrorisée par la violence qui s’est enracinée dans la vie quotidienne de tout-e un-e chacun-e, une jeune femme est violée par son père ! Quelques années plus tard, Amina, la protagoniste de cette histoire qui nous montre une société sous les feux de la violence, de la répression et de la terreur, raconte : « J’étais presque hypnotisée et ne lui opposai aucune résistance. Il me fit allonger sur l’herbe sèche et se retrouva sur moi. Au bout de quelques minutes, Il poussa un affreux cri de jouissance et je sentis couler le sang dégagé par mon hymen ».

Ivanhoé, Walter Scott

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 03 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Folio (Gallimard)

Ivanhoé, avril 2016, trad. anglais Henry Suhamy, 880 pages, 8,70 € . Ecrivain(s): Walter Scott Edition: Folio (Gallimard)

 

Dans un texte qui ne cesse de remuer les neurones du lecteur amateur (au sens premier, celui qui aime), Calvino posait la question cruciale : pourquoi lire les classiques ? Sa réponse finale est satisfaisante : pour le plaisir de les avoir lus. Mais franchement, pourquoi se taper les huit cents pages d’Ivanhoé (1819), le neuvième roman de Walter Scott (1771-1832) alors qu’il suffit de regarder les cent quarante minutes de Robin des Bois, d’un autre Scott (Ridley de son prénom), pour avoir grosso modo la même histoire ? Car après tout, on la connaît par cœur, l’histoire de Richard Cœur de Lion qui revient de Palestine pour détrôner son félon de frère, ce Jean qu’une enfance passée sous influence disneyienne incitera à tout jamais à voir sous les traits d’un lion aussi malingre que sournois sous sa couronne trop richement ornée pour être honnête, et ce avec l’aide d’un Robin des Bois que Kevin Costner dans une autre adaptation n’interprétait pas trop mal, à la réflexion. D’autant que, finalement, ce roman intitulé Ivanhoé raconte une histoire qui se déroule pour l’essentiel sans son personnage principal, puisque celui-ci est blessé quasi à sa première apparition et reste allongé durant plus de cinq cents pages. Bref, aussi classique qu’il soit, la question se pose : pourquoi lire Ivanhoé en 2016 alors qu’on sait depuis longtemps que les usurpateurs sont au pouvoir et que, comme chantait le groupe anglais Housemartins sur Flag Day, « too many Florence Nightingale, not enough Robin Hoods » ?

Une nuit, Markovitch, Ayelet Gundar-Goshen

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 02 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Presses de la Cité, Israël

Une nuit, Markovitch, août 2016, trad. hébreu Ziva Avran, Arlette Pierrot, Laurence Sendrowicz, 476 pages, 23 € . Ecrivain(s): Ayelet Gundar-Goshen Edition: Presses de la Cité

 

Yaacov Markovitch, le transparent, celui qu’on ne voit pas, qu’on ne remarque pas, sur qui les regards glissent, n’a qu’un ami, Zeev Feinberg, son opposé : Si Yaacov est mince, fluet, insipide, pâle aux yeux pâles et se fond dans le paysage, Zeev est un colosse à moustache luxuriante, grand amateur de femmes :

« Yaacov Markovitch, pour vous servir !

(…) Bref, son intervention tomba comme un cheveu sur la soupe. Le lieutenant-commandant le toisa d’un regard identique à celui du médecin de campagne qui examine un prélèvement de selles, puis reprit le fil de sa conversation » (p.36).

Le premier est prêt à tout pour son seul ami, le seul qui l’ait remarqué et pour qui il donnerait sa vie. Après avoir été surpris par le mari de Rachel, boucher grand égorgeur de moutons, Feinberg et Yaacov qui a tenté de détourner l’attention du mari sont expédiés de toute urgence en Europe par le lieutenant-commandant ami de Feinberg. Nous sommes au temps de la montée du nazisme, des Juifs célibataires sont envoyés en Europe pour y épouser – en mariage blanc – et ramener en Palestine de jeunes femmes Juives européennes.

Attachement féroce, Vivian Gornick

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 31 Janvier 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Récits, Rivages

Attachement féroce (Fierce Attachments), traduit de l’américain par Laetitia Devaux, Février 2017, 222 p. 20 € . Ecrivain(s): Vivian Gornick Edition: Rivages

Quelques clichés dans les premières pages, inévitables dans la période où le livre a été écrit (1985) : la mère juive, les rues juives de New York. Mais qu’on se rassure pleinement, l’intelligence et la justesse du trait de Vivian Gornick emportent très vite l’adhésion, et s’éloignent de tout pathos pour bâtir le superbe récit d’une terrible histoire de femmes.

Une mère juive prototypique (et communiste au demeurant, dans les années 50 ça se faisait beaucoup). Une fille juive qui ne l’est pas moins mais que la modernité aspire vers l’émancipation sociale, sexuelle. Toutes les deux sont soudées par un lien monstrueux, fait de passion. Passion filiale et maternelle, tissée par un authentique amour et une haine farouche non moins authentique.

Le cadre de cette liaison – on peut parler de liaison au sens amoureux du terme – c’est New York. Pas le New-York gigantesque et flamboyant dont on a l’habitude en littérature. Un New York-Village, provincial, presque rural, dans lequel les deux femmes habitent le quartier juif, entre le Bronx, Brooklyn et Manhattan. Un village que mère et fille arpentent avec conviction, rue après rue, à pied le plus souvent, parfois en bus et qui, peu à peu, se constitue en décor topographique au roman.