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Roman

Ni vivants, ni morts, Federico Mastrogiovanni

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 28 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Métailié

Ni vivants ni morts, février 2017, trad. espagnol (Mexique) François Gaudry, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Federico Mastrogiovanni Edition: Métailié

 

Ce livre est terrifiant, il donne la nausée et ici le macabre n’est pas juste un folklore. Le Mexique a déjà une très longue histoire de violence et de luttes, mais on aimerait croire aujourd’hui que le pire est derrière. On se souvient notamment de la date du 2 octobre 1968, où plus de 200 étudiants sont assassinés lors d’une manifestation.

Le Mexique est donc une république démocratique et la population doit pouvoir faire confiance aux institutions, et au gouvernement qu’elle a élu. Confiance dans les efforts du gouvernement actuel pour lutter contre le crime organisé et réduire les inégalités, protéger ses citoyens. Nombreux d’ailleurs sans doute sont ceux qui ont confiance ou qui en tout cas n’ont pas envie de creuser au-delà du message officiel. Seulement voilà, il y a des faits et il y a des chiffres, et même si on s’en tient aux officiels, ces chiffres sont déjà effarants et ils ne cessent de grimper de façon exponentielle depuis 2006. Ces chiffres sont ceux des disparus, les ni vivants ni morts, celles et ceux dont les familles ne peuvent faire le deuil, trouver un peu de paix dans la certitude de savoir au moins la vérité, de pouvoir récupérer un corps, un morceau de corps, des ossements, « des lambeaux de vêtements en putréfaction », quelque chose à quoi se raccrocher, quelque chose à quoi donner une sépulture et une mémoire.

Premières neiges sur Pondichéry, Hubert Haddad (2ème critique)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Lundi, 27 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zulma

Premières neiges sur Pondichéry, janvier 2017, 192 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Zulma

 

Le récent livre de Hubert Haddad est un hymne à l’amour, dans chacune des formes qu’il peut prendre dans cette vie et sur cette terre.

C’est d’abord l’amour porté à une ville : Si je t’oublie Jérusalem est inscrit en lettres blanches sur le bandeau rouge de la couverture de l’ouvrage, comme un leitmotiv subliminal. Jérusalem considérée comme un paradis perdu, en quelque sorte retrouvé au cours d’un voyage en Inde, de Pondichéry à Chennai. L’Inde comme refuge, « destination privilégiée des jeunes refuzniks de Jaffa et de tel-Aviv ».

Hochéa Meintzel, violoniste virtuose maintenant âgé, a échappé par miracle, avec sa fille adoptive Samra, à un attentat à Jérusalem ; il s’agit d’un drame qui a eu lieu il y a vingt-sept ans et qui l’a marqué à vie.

« Chez nous, au Kerala – lui raconta Naudi-Naudi un jour de verve –, les juifs ont été accueillis à bras ouverts par les rajahs, voici des siècles. […] Les juifs se sont si bien intégrés à la société indienne qu’ils ont adopté ses festivités petit à petit, sa cuisine, ses modes vestimentaires, et même ses castes, Blancs et Noirs bien séparés, les Pardesi et les Malabari ! »

Deuxième chambre du monde, Jean-Philippe Domecq

Ecrit par Stéphane Bret , le Samedi, 25 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Serge Safran éditeur

Deuxième chambre du monde, février 2017, 131 pages, 14,90 € . Ecrivain(s): Jean-Philippe Domecq Edition: Serge Safran éditeur

 

Dans ce roman, Jean-Philippe Domecq nous entraîne dans la métaphysique fiction, genre littéraire tendant vers un enrichissement de la perception du monde aux confins du romanesque et de l’interrogation de nature métaphysique. Deuxième chambre du monde met en scène un homme, qui semble vivre médiocrement, habité par la routine et la répétition mécanique de ses gestes et actes les plus quotidiens. Il semble ne pas avoir d’ailleurs une très grande estime de lui-même. Pour tromper son ennui, ou peut-être rechercher des sensations intenses, il scrute tout : son quartier, les lumières des immeubles voisins, la présence réelle ou supposée de ces derniers. Pourtant, un soir, sa persévérance est sur le point d’être récompensée : il voit le reflet d’une fenêtre qui s’allume, croit-il, au-dessus de chez lui. Il est envahi par cette présence, il en devient obnubilé. Le récit nous révèle, très graduellement, l’idée que le personnage central se fait de lui-même :

« C’est là que la nuit m’a dit, ou elle, l’ombre : Pourquoi avoir honte, c’est regimber contre ton inconsistance, quand telle est ta substance. N’est-il pas doux de se sentir creux au creux de l’air ? »

Le dimanche des mères, Graham Swift

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 24 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Gallimard

Le dimanche des mères, janvier 2017, trad. anglais Marie-Odile Fortier-Masek, 142 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Graham Swift Edition: Gallimard

 

En gros, la pieuvre, c’est une tête et des bras multiples. Le dimanche des mères présente une forme (pas un aspect !) comparable à cela. Le narrateur – écriture limpide, traduction remarquable – se tient en quelque sorte fixement au mitan d’une journée de dimanche et compose un récit qui marie présent, passé et avenir avec un art de la variation focale tout simplement magistral. Le passé et l’avenir immédiats, un peu éloignés ou à plusieurs décennies de distance – d’où l’usage fréquent du futur dans le passé qui est un pur plaisir de lecture. Le corps fixe du propos, le pivot, c’est donc le dimanche ensoleillé du 30 mars 1924. Ça se passe à la campagne, dans le Berkshire, comté bucolique du sud de l’Angleterre parsemé de propriétés aristocratiques. Les employés de maison y sont à demeure ; laissant donc au loin, ailleurs, des parents, en particulier des mères auxquelles ils ne rendent visite qu’un dimanche précis dans l’année, celui donc dit des mères. L’absence pour ainsi dire générale des domestiques pendant cette fameuse journée, pour convenue ou contractuelle qu’elle soit, n’en est pas moins un « désagrément momentané » pour les maîtres. Afin de remédier à cela, les Niven et les Sheringham, voisins, se retrouvent chez les Hobday pour un « jamboree ». De plus, dans quinze jours exactement, Emma, la fille des Hobday, épouse Paul, le fils des Sheringham ; et les Niven sont invités d’honneur au mariage.

La langue oubliée de Dieu, Saïd Ghazal

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 24 Février 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Québec, Moyen Orient

La langue oubliée de Dieu, Erick Bonnier Editions, janvier 2017, 232 pages, 20 € . Ecrivain(s): Saïd Ghazal

 

C’est un livre travaillé par la mémoire. Le lecteur comprend au fur et à mesure des mots et des phrases combien il peut être difficile de se souvenir comme d’oublier : « Wardé, ma grand-mère, avait la hantise de la mémoire disloquée, elle pratiquait le délire obsidional. J’étais l’entonnoir dans lequel son passé se déversait avec un amour mâtiné de haine ».

Aram est le descendant d’un peuple de confession syriaque parlant l’araméen, il est le dépositaire du cahier de son grand-père, personnage à la fois truculent, rempli d’une sincérité et d’un vouloir vivre hors du commun. « J’ai la langue mouillée par le ressac alphabétique d’un syriaque rouillé, d’un arabe trahi et d’un français adopté ».

Il faut qu’il traduise ce cahier, il n’a pas le choix, s’il veut enfin vivre avec lui-même. Rejeton d’une histoire d’amour et de meurtre, il vit avec une prostituée qu’il honnit, entre autre pour le rôle qu’elle a joué dans cette histoire qui le hante. « Didon, inconnue multiplicatrice de toutes coordonnées dans l’équation de mon existence. Ton émergence a fait chavirer l’opération d’addition simple de ma vie familiale et amicale ». Le style de l’auteur est flamboyant, il force l’admiration tant il est travaillé par une poésie du corps et des émotions :