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Une année studieuse, Anne Wiazemsky

Ecrit par Matthieu Gosztola 09.10.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Récits, Roman

Une année studieuse, 272 pages

Ecrivain(s): Anne Wiazemsky Edition: Folio (Gallimard)

Une année studieuse, Anne Wiazemsky

Chapô de la rédaction : Anne Wiazemsky est décédée la semaine dernière. Cette publication est un hommage qui lui est rendu.

 

De cet ouvrage, il ne faut pas retenir une certaine violence de Godard (comme en témoigne sa stupéfiante agressivité abritant le mépris envers un policier – qui n’est pas sans évoquer À bout de souffle –, alors qu’il est surpris avec une mineure, dans les baisers, dans l’impatience des baisers), sa tyrannie, sa possessivité, sa jalousie, son goût sincère mais maladroit pour le mélo

De cet ouvrage, il faut retenir sa rencontre – sommet de détermination – avec Anne Wiazemsky, et son goût – profond – pour Nadja (il faut revoir et réécouter ses films – particulièrement Vivre sa vie, film en douze tableaux, 1962 ; Le Mépris, 1963 ; Une femme mariée, fragments d’un film tourné en 1964, 1964 ; Pierrot le fou, 1965 ; Masculin féminin, 1966 ; Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1966 ; Passion, 1982 ; Je vous salue, Marie, 1985 ; Puissance de la parole, 1988 ; Nouvelle vague, 1990 ; For Ever Mozart, 1996 ; Éloge de l’amour, 2001 ; Notre musique, 2004 et Adieu au langage, 2014 – à la lumière – aveuglante – de cet amour pour le livre de Breton).

Anne Wiazemsky : « Un jour de juin 1966, j’écrivis une courte lettre à Jean-Luc Godard adressée aux Cahiers du Cinéma, 5 rue Clément-Marot, Paris 8e. Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin. Je lui disais encore que j’aimais l’homme qui était derrière, que je l’aimais, lui. […] Ma lettre était bien arrivée aux Cahiers du Cinéma et si mon interlocuteur avait tardé à me répondre, c’est qu’il se trouvait alors au Japon. J’avais aussi omis de mettre mon adresse et mon numéro de téléphone. [Godard] avait aussitôt appelé la productrice [du film Au hasard Balthazar de Robert Bresson] Mag Bodard, puis mon domicile. Ma mère lui avait répondu que « je me trouvais quelque part dans le Sud et que j’étais difficile à joindre ». Il avait beaucoup insisté en lui disant que c’était très important et que même à 10 heures du soir, il devait d’urgence me parler. Avec réticence, elle avait fini par céder.

– J’ai besoin de vous voir demain. Où êtes-vous ? Comment puis-je vous retrouver ?

Je lui passai Nathalie, plus à même de répondre. Elle expliqua : avion jusqu’à Marseille, location d’une voiture, direction Avignon, le petit village de Montfrin était ensuite indiqué. Je repris le téléphone.

– Dites-moi le nom d’un café ou d’un restaurant où nous pourrions nous retrouver.

Ne quittant jamais la propriété, je n’en connaissais pas.

– Alors, devant la mairie. Dans n’importe quel village de France, il y a toujours une mairie…

Je l’entendis calculer à voix basse.

– À midi.

Et avant de raccrocher :

– Devant la marie, n’oubliez pas.

Nathalie et moi nous regardâmes en silence. La radio, dans le salon, diffusait une valse de Strauss et brusquement, l’une entraînant l’autre, nous nous mîmes à danser comme des folles dans le vestibule désert, riant à en avoir les larmes aux yeux, de joie, d’impatience, d’énervement, on ne savait pas.

[…]

[I]l était là, à midi, devant la mairie, en costume de ville, un livre à la main. Des lunettes noires dissimulaient en partie ses yeux mais beaucoup moins que ne le disaient les journalistes. Je les voyais pétiller de gaieté, en accord avec son sourire, franc, enfantin. Nathalie et moi nous étions quittées un quart d’heure auparavant avec le sentiment qu’une journée importante commençait.

– J’ai eu le temps de regarder autour de moi, il n’y a rien… Le mieux serait de déjeuner près d’Avignon. Vous avez faim ? J’ai loué une voiture ».

 

Le trajet ?

« Je crus comprendre qu’il s’apprêtait à tourner deux films en même temps, j’allais lui poser des questions mais il avait déjà changé de sujet : quels étaient mes écrivains préférés ? Est-ce que j’aimais Mozart ? […] »

 

Le restaurant ?

« […] [A]lors que j’étudiais avec gourmandise la carte, il choisit n’importe quoi ».

 

Au sortir du restaurant…

« Chez un disquaire, il m’offrit des quatuors de Mozart ; dans une librairie Nadja d’André Breton ».

 

Et Anne Wiazemsky lut Nadja avec autant de force que possible, car là se nichait, oiseau tremblant, le secret :

« […] C’est cette histoire que, moi aussi, j’ai obéi au désir de te conter, alors que je te connaissais à peine, toi qui ne peux plus te souvenir, mais qui ayant, comme par hasard, eu connaissance du début de ce livre, es intervenue si opportunément, si violemment et si efficacement auprès de moi sans doute pour me rappeler que je le voulais “battant comme une porte” et que par cette porte je ne verrais sans doute jamais entrer que toi. Entrer et sortir que toi. Toi qui de tout ce qu’ici j’ai dit n’auras reçu qu’un peu de pluie sur ta main levée vers “LES AUBES”. Toi qui me fais tant regretter d’avoir écrit cette phrase absurde et irrétractable sur l’amour, le seul amour, “tel qu’il ne peut être qu’à toute épreuve”. Toi qui, pour tous ceux qui m’écoutent, ne dois pas être une entité mais une femme, toi qui n’es rien tant qu’une femme, malgré tout ce qui m’en a imposé et m’en impose en toi pour que tu sois la Chimère. Toi qui fais admirablement tout ce que tu fais et dont les raisons splendides, sans confiner pour moi à la déraison, rayonnent et tombent mortellement comme le tonnerre. Toi la créature la plus vivante, qui ne parais avoir été mise sur mon chemin que pour que j’éprouve dans toute sa rigueur la force de ce qui n’est pas éprouvé en toi. Toi qui ne connais le mal que par ouï-dire. Toi, bien sûr, idéalement belle. Toi que tout ramène au point du jour et que par cela même je ne reverrai peut-être plus…

Que ferais-je sans toi de cet amour du génie que je me suis toujours connu, au nom duquel je n’ai pu moins faire que tenter quelques reconnaissances çà et là ? Le génie, je me flatte de savoir où il est, presque en quoi il consiste et je le tenais pour capable de se concilier toutes les autres grandes ardeurs. Je crois aveuglément à ton génie. Ce n’est pas sans tristesse que je retire ce mot, s’il t’étonne. Mais je veux alors le bannir tout à fait. Le génie… que pourrais-je encore bien attendre des quelques possibles intercesseurs qui me sont apparus sous ce signe et que j’ai cessé d’avoir auprès de toi !

Sans le faire exprès, tu t’es substituée aux formes qui m’étaient les plus familières, ainsi qu’à plusieurs figures de mon pressentiment. […] Tout ce que je sais est que cette substitution de personnes s’arrête à toi, parce que rien ne t’est substituable, et que pour moi c’était de toute éternité devant toi que devait prendre fin cette succession d’énigmes.

Tu n’es pas une énigme pour moi.

Je dis que tu me détournes pour toujours de l’énigme.

Puisque tu existes, comme toi seule sais exister, il n’était peut-être pas très nécessaire que ce livre existât. […] »

 

Et, ailleurs : « J’ai vu [t]es yeux de fougère s’ouvrir le matin sur un monde où les battements d’ailes de l’espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n’avais vu encore que des yeux se fermer ».

 

Matthieu Gosztola

 


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A propos de l'écrivain

Anne Wiazemsky

 

Née le 14 mai 1947 à Berlin et morte le 5 octobre 2017 à Paris, est une écrivaine, comédienne et réalisatrice française. Elle a été la muse et l'épouse du réalisateur suisse Jean-Luc Godard à ses débuts.

 

 

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com