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Roman

Sans lendemain, Jake Hinkson

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Jeudi, 15 Mars 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallmeister

Sans lendemain, février 2018, trad. De l’américain par Sophie Aslanides, 222 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Jake Hinkson Edition: Gallmeister

Á la fin des années 1940, à bord d’une station wagon Mercury bourrée de boites de films, Billie Dixon parcourt le Midwest. Elle (puisque Billie est une jeune femme, même si elle porte le pantalon) est chargée par la PRC, l’une des maisons de production de la Poverty Row, de la distribution de films série B, dans les villages les plus reculés. Un jour elle s’enfonce dans les Ozarks, à la limite du Midwest et de l’Arkansas et débarque à Stock’s Settlement. Là, trône, avec sa façade Beaux Arts marron, le cinéma Eureka. Claude Jeter dit Claude, le propriétaire de la salle, serait prêt à projeter les films de Billie si le pasteur Obadiah Henshaw maître de l’Église baptiste du tabernacle rachetée par le sang ne veillait, ô combien, à la pureté des âmes de ses ouailles ! Sa vision fanatique de la religion et de ses pratiques s’oppose à tout ce qui se rattache à la perverse Hollywood ! Les arguments de Billie resteront lettres mortes face à l’intolérance de l’exalté frère Henshaw. Mais, notre démarcheuse, peut-être, plus sensible aux plaisirs de la chair que son interlocuteur a remarqué chez Amberly, l’épouse de l’ecclésiastique, que les liaisons gomorrhéennes (comme l’eût dit Proust) ne semblent pas effaroucher, des charmes qui font naître de douces pensées et de délicieux vertiges. C’est l’équation de départ de ce livre. Un beau thriller, dont l’éclatante noirceur nous mène insidieusement dans un style classique et précis sur les rives de l’inconscient où (le sait-elle ?) la pauvre Billie va échouer avant qu’on ne la conduise devant la justice des hommes, au tribunal.

Double fond, Elsa Osorio

Ecrit par Cathy Garcia , le Mercredi, 14 Mars 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Métailié

Double fond, janvier 2018, trad. espagnol Argentine, François Gaudry, 400 pages, 21 € . Ecrivain(s): Elsa Osorio Edition: Métailié

 

« L’ananké. L’impossibilité d’échapper au destin ».

Nous sommes en 2004, sur la côte bretonne à La Turballe, proche de Saint-Nazaire, un pêcheur a retrouvé le corps d’une femme noyée. On découvre qu’il s’agit de Marie Le Boullec, un médecin apprécié, épouse d’Yves le Boullec, un photographe décédé quelque temps auparavant et issu d’une famille de notables locaux connue et respectée. La thèse du suicide semble la plus évidente et sans doute la plus arrangeante aussi pour cette famille sans histoire qui n’apprécie pas qu’on parle d’elle, si ce n’est pour en faire l’éloge, mais cette thèse ne satisfait pas Muriel, la jeune journaliste chargée d’écrire des articles sur la « femme de La Turballe » dans le journal local, depuis qu’elle a eu une conversation avec le commissaire Fouquet. Outre que le but d’un journal est forcément de capter et conserver l’attention des lecteurs, Muriel a un goût pour l’investigation et la vérité et Fouquet en lui révélant les origines argentines de la noyée, a aussi évoqué des assassinats jamais élucidés pendant la dictature, il la met sur une piste que lui-même, proche de la retraite, ne va pourtant pas creuser. Elle va donc mener sa propre enquête, même si elle ne pourra révéler publiquement toutes ses découvertes et encore moins quand l’affaire sera déclarée classée.

L’Infinie Comédie, David Foster Wallace (2ème critique)

Ecrit par Grégoire Meschia , le Mardi, 13 Mars 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, L'Olivier (Seuil)

L’Infinie Comédie, David Foster Wallace, L’Olivier, coll. Replay, novembre 2017, trad. anglais (USA) Francis Kerline, 1487 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): David Foster Wallace Edition: L'Olivier (Seuil)

 

 

Si vous n’avez pas peur d’hiberner pendant quelques mois, de comprendre le sens exact de l’adjectif « infini » et de lire constamment avec un dictionnaire à proximité, faites l’expérience « replay » de l’Infinie Comédie, qui sort en poche (mais vous ne ferez pas rentrer ses 1487 pages dans votre poche). Vous ne le regretterez pas. La lecture d’un tel mastodonte peut s’apparenter à du masochisme. Elle coupe du monde et en fait découvrir un autre. On lit David Foster Wallace comme on regarde la saison 3 de Twin Peaks. Il faut apprécier perdre son temps en tournant des pages incompréhensibles, se laisser porter par l’enchaînement des points-de-vue : ne pas chercher à tout prix le sens, directement. Qui n’est pas spécialiste de chimie moléculaire ou de grammaire prédictive va certes se trouver perdu à certains moments.

La patience du baobab, Adrienne Yabouza

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 09 Mars 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions de l'Aube

La patience du baobab, février 2018, 166 pages, 16,90 € . Ecrivain(s): Adrienne Yabouza Edition: Editions de l'Aube

Bien après l’heure des cadeaux, il en est encore, et ce petit joyau en est la preuve…

Histoire délicieuse, et en même temps profondément sérieuse ; un sourire d’Afrique noire, comme il en est là-bas : humain d’abord, même au cœur des ennuis, avec cette aptitude (ou cette obligation) à plier sans rompre sous les pires orages. Leçon, pour ces « Blancs de France ; (ceux à qui il) faut beaucoup plus de gris-gris qu’aux Africains pour vivre en paix avec les autres… ».

« L’amour, c’est pas plus facile que le reste de la vie… c’est à cause des bâtons dans les roues sous toutes les latitudes », nous dit celle qui parle et palabre, racontant à l’Africaine – c’est-à-dire tellement mieux et passionnant qu’ailleurs – des histoires autour de mariage(s) entre une Noire et un Blanc de France, de Bourgogne-pays du vin, carrément. Deux copines de Bangui – République Centre Afrique ; Ambroisine, celle qui « se mariera le mois prochain, juste avant la saison des pluies » et notre Adrienne-Aisssatou, à moins qu’Aissatou-Adrienne, qui suivra le mouvement. Il est donc question du mariage, ses usages, ses falbalas, en terre africaine – un autre mariage suivra en pays de France (après avoir atterri à « Charlie Di Golle »), mais entre les deux mariages, il faut « avoir survolé une bonne partie du monde, dont le grand désert », et ajouterons-nous, pas mal d’embêtements – mot très faible, en ayant traversé tout ça avec la patience et l’obstination africaine, un sujet en soi.

Microfictions, Régis Jauffret

, le Vendredi, 09 Mars 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Gallimard

Microfictions, janvier 2018, 1024 pages, 25 € . Ecrivain(s): Régis Jauffret Edition: Gallimard

 

500 microfictions dans lesquelles hommes et femmes se racontent, sans pudeur, avec une honnêteté si déconcertante qu’elle donne à ces récits des allures d’aveux libérateurs consignés dans des journaux intimes. C’est alors aux lecteurs, anonymes, de tenir lieu de réceptacle. Mais les confessions sont souvent si sordides, immondes, immorales ou amorales, si froidement haineuses ou si douloureusement intenables qu’on peine à croire y être entrés sans effraction. L’écriture, ciselée, incisive, provocante ou irrévérencieuse accentue encore cette impression de violation d’intimité. Personnelles et singulières, les vies se résument sans condescendance ni pathos excessifs ; chacune d’elles se recroqueville sur deux pages comme le font les narrateurs dans le carcan de leurs aigreurs et obsessions, de leurs âmes perdues, de leurs corps abîmés. Aucun d’eux ne semble pour autant chercher à s’apitoyer sur son sort. Car si l’heure est à l’introspection, la tendance générale est plutôt au constat froid ou au bilan irréversible : les récits se font factuels, précis, réfléchis et distanciés ; logiquement agencés, ils convergent vers leur note finale, toujours assez foudroyante pour susciter le malaise ou l’effroi, et marquer le point de non retour. Poésie, métaphores, tournures colorées, dérision et humour, sur soi ou sur la vie, viennent savamment alléger ou désamorcer la charge émotionnelle.