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Nouvelles

La maison de Salvatore

, le Mardi, 09 Avril 2013. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

A Venise, toutes les maisons sont numérotées. Comme les Vénitiens ambitionnent, à juste titre, de se distinguer du monde entier, la numérotation qu’ils ont adoptée est incompréhensible pour les non-initiés. Et pas seulement pour eux, les autochtones s’y perdent aussi, il paraît que même les facteurs ne s’y retrouvent pas.

Toutes sont numérotées, sauf une qui s’élève dans la Calle del Forno (1).

C’est une petite rue qui doit son nom au four à pain qui s’y trouvait jadis ; elle est située dans le Sestier Dorsoduro, celui qui est au sud de Venise, au-delà du Grand Canal, et qui englobe l’île de la Giudecca. La Calle del Forno débouche sur le Campo San Margherita (2). Quant à l’unique maison vénitienne dont la façade est demeurée vierge de tout numéro, elle est très ancienne, inhabitée et sa décoration intérieure n’a jamais été achevée. Pourquoi ? C’est une vieille histoire qui remonte au 16è siècle.

Le chant des baleines

Ecrit par Gilles Brancati , le Mercredi, 31 Octobre 2012. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Je me souviens l’avoir vu dans les mains de mon grand-père lorsque j’étais enfant. Personne après lui ne s’en est soucié. Parfois quand l’un de nous posait la question « il est passé où le violon de grand-père ? », maman répondait « je ne sais pas trop ». Elle aurait dit la même chose à propos de sa carabine ou de son arc mais s’agissant du violon elle ajoutait « quel dommage, votre grand-père jouait si bien. Vous savez qu’il avait été sélectionné pour entrer dans l’orchestre d’Olaf Nivel. Mais c’était juste avant la grande guerre et finalement ça ne s’est pas fait ». Bien sûr que nous le savions. Blessé à la main à Verdun il n’avait plus jamais eu la dextérité requise pour faire de la musique un métier. Mais il jouait encore, parfois avec difficulté à cause de son doigt resté raide, mais l’archet glissait bien. Nous étions des enfants et notre jeune âge ne nous a pas permis de goûter le plaisir et le drame que grand-père nouait derrière chaque note. Je le regrette aujourd’hui, assise à même le plancher poussiéreux du grenier. J’ai soufflé plusieurs fois dessus pour ôter la poussière mais je n’ai pas osé passer un chiffon de peur de rayer les volutes du bois. Je suis redescendue prendre un vieux gilet de laine dans une armoire et je l’ai doucement enveloppé, sans serrer, il pourrait avoir des fissures. Il manque l’archet. J’ai fouillé tout autour mais je ne l’ai pas trouvé.

L'été sarde - I Kallisté

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 14 Septembre 2012. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

I Kallisté

 

Elle est à bord du Kallisté. Ligne Marseille/Porto-Torres. Elle est à bord de ce bateau qu’elle n’a jamais pu prendre avec Jean. Grève dure des marins. Pirates. Elle monte sur le pont supérieur pour assister au départ,  à l’arrachement de la terre du continent, à l’arrachement de son immense chagrin. Le bateau pilote, petit jouet si puissant, conduit le ferry ; vers le large. Arenc. Les lignes verticales, horizontales de la ville sont un mur de décor. Elles se croisent ; s’harmonisent ; se brisent : tour de verre irakienne au milieu du flot des voitures, cheminée bleue aux tuyaux noirs du Kallisté, orgues industrielles de la nef ; grues rouges qui tournent sur les chantiers, lignes d’immeubles. Défilent les façades de la ville qui sont des blocs de sa mémoire des anciens docks à la corniche vers Endoume. Une amante n’est jamais veuve, la femme au long voile noir qui pleure, qui pleure. Elle est seule. Le bateau dépasse les feux noirs et jaunes qui clignotaient devant sa fenêtre, puis les rochers de Malmousque qu’elle gagnait à la nage. Elle se reposait sur l’îlet et ses pieds se blessaient sur les coquilles des petites moules devenues lames de couteau.

La transe du corps (2 et fin)

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 31 Janvier 2012. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

– Ça va, ma sœur ? Tu te sens bien ? lance soudain le vendeur de cartes de postales qui se lève d’un bond de sa chaise.

Décidément ! Rien n’avait échappé au dormeur de la Casbah qu’elle croyait avoir sombré dans les profondeurs des sinuosités d’une existence qui glisse lentement sur la pente de la banalité et de l’insignifiance. D’un geste presque machinal, il réajuste sa veste à moitié froissée. Ôte ses lunettes noires. Et tout en s’appliquant à mettre en évidence sa marchandise, il mime un grand sourire. Et lui souhaite la bienvenue dans un français marqué par un fort accent. Ses grands yeux noirs brillaient de tout leur éclat. Ils riaient. Dansaient dans le vague du silence laissant transparaître une lueur qui ressemblait à de la satisfaction. On aurait dit qu’ils jubilaient. Elle avait l’impression que sa présence répondait à une attente qui venait combler un ennui. Un besoin. Une lassitude. Un vide.

Au moment où elle s’apprête à quitter ce lieu, elle sent son corps se recroqueviller sur lui-même. Elle a le sentiment que le regard du vendeur vient la bouleverser dans son for intérieur, générant un énorme sentiment de gêne. Ses grands yeux noirs sont source de trouble voire de confusion. Heuu… Heuu… Comment dire ? Gêne… ? Trouble… ? Confusion… ? Elle essaye de se concentrer. Met de l’ordre dans ses idées. Et dans le fatras des souvenirs, elle cherche… Fouille… Creuse… Déterre… Met ses sens dessus dessous… Fouille encore… Encore… Et encore…

La transe du corps (1)

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 17 Janvier 2012. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

C'est sur son chemin vers Sidi Abderrahmane, ce lieu d'inspiration spirituelle qui fait danser les peurs et bousculer les équilibres, à proximité de l'entrée du mausolée, qu'elle remarqua la boîte en carton à moitié déchirée. Elle était entreposée  à même le sol, aux pieds d'un homme d'une soixantaine d'années. Il était assis sur une chaise en bois de couleur bleu turquoise. Il portait une veste en velours noir. Sa tête était légèrement baissée. Ses yeux étaient cachés derrière une paire de lunettes noir mat. Son esprit semblait perdu dans des absences qui tournoient dans les bas-fonds d’une inconscience encombrée. Elle aurait juré qu'il somnolait.

A première vue, la boîte contenait trois petits paquets enveloppés dans du papier journal. Sur chaque tas, elle pouvait apercevoir des photos en noir et blanc. A la couleur et à la qualité du papier,  elle compris qu'il s'agissait de cartes postales de Dzaïr el kh'dima*. Ces dernières années, Alger d'antan était devenue un objet d'intérêt pour beaucoup d'Algérois. Des vendeurs de ces images du passé avaient proliféré dans les rues de la capitale. Pour certains, la vente de cartes postales anciennes était une véritable profession. Ils passaient beaucoup de temps à faire des recherches. A collecter. A classer. A catégoriser leurs trouvailles avant de les disposer soit dans des boîtes en carton soit sur des petites tables pliantes pour les proposer à la vente le long des trottoirs des artères principales d'Alger la Blanche.