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Au bonheur des îles, Bob Shacochis

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 06 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Nouvelles, Gallmeister

Au bonheur des îles, janvier 2016, trad. américain Sylvère Monod et François Happe, 336 pages, 9,60 € . Ecrivain(s): Bob Shacochis Edition: Gallmeister

 

Ce doit être une manie américaine : quand on vit une expérience, quand sa vie se passe à un certain endroit, à un certain moment, quand on assiste à certains événements, au lieu de se livrer au pénible exercice de l’autofiction, cette littérature voyeuriste même pas marrante dans ses perversions, on écrit un grand roman ou au moins une poignée de nouvelles tout à fait fréquentables. Ainsi donc de Bob Shacochis (1951) qui, après avoir voyagé dans les Caraïbes, surtout les Grenadines, avec le Peace Corps, en a tiré la matière de son premier recueil de nouvelles, Au bonheur des îles (Easy in the Islands, 1985), dont les éditions Gallmeister proposent la première traduction intégrale (la précédente chez Gallimard était amputée de quatre nouvelles).

Les neuf nouvelles ici recueillies sont donc autant de tranches de la vie telle qu’on la vit dans les Caraïbes, surtout dans ces petites îles qui semblent autant de miettes jetées sur la voie maritime entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, des Bahamas à la Grenade, avec des références appuyées à Cuba et à la Jamaïque – entre autres, par l’omniprésence du reggae, bande-son insistante parfois remplacée par le calypso (Lord Short Shoe Veut le Singe).

A Oui, Boris Wolowiec

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 06 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie

A Oui, Editions du Vide Immédiat, 2016, 432 pages, 20 € . Ecrivain(s): Boris Wolowiec

 

L’œuvre de Boris Wolowiec s’inscrit, quant à la structure, plus du côté de Levinas que de l’aphorisme. S’il reprend la formulation de ce dernier, c’est pour immédiatement le mettre an abîme afin de casser ce que ce type d’écriture a de trop fringant et de faussement définitif.

L’auteur ne pense et n’écrit jamais par idées distinctes et simples ou dichotomiques, mais par un feuilletage progressif fondé sur l’exactitude et l’épaisseur du sentiment. Il faut son tribunal de nécessaire déraison sans quoi tout jugement rationnel ne serait qu’une vue de l’esprit, une quintessence statique. A l’inverse, tout chez Wolowiec est en mouvement.

Les textes eux-mêmes ne cessent de muter et restent en état provisoire même lorsqu’ils paraissent définitifs. Proche d’un Michaux (l’ironie en moins), il démaquille les apparats. Si bien que l’aphorisme devient l’apostille qui évite les réductions simplistes au profit d’une diaphonie.

Dans ce livre, division du discours n’est qu’apparente : s’y instaure tout un jeu de « répons » visant à embrasser l’humain un peu à la manière dont Ponge embrasse les choses entre altération et confrontation.

A la fin le silence, Laurence Tardieu

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 03 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil, La rentrée littéraire

A la fin le silence, août 2016, 176 pages, 16 € . Ecrivain(s): Laurence Tardieu Edition: Seuil

 

Les aléas de la vie constituent bien souvent le ferment des romans, et celui de Laurence Tardieu n’y fait pas exception. A la fin le silence s’inspire de deux malheurs à la fois, l’un prévisible, la vente d’une maison de famille tendrement aimée, à Nice, et l’autre imprévisible, les attentats meurtriers du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, à l’hyper casher de Vincennes et à Montrouge, puis celui du 13 novembre 2015 au Bataclan. Les souvenirs familiaux, teintés de bonheur et de tristesse, font surface et se mêlent au ressenti de l’actualité, d’abord le jour même des attentats, puis après-coup.

Dans la maison méridionale, nommée Cybèle, « si belle, plus belle que tout autre lieu au monde », dans le jardin de l’enfance, le temps est aboli : « J’ai six ans, quinze ans, trente ans, quarante ans, je suis une petite-fille, une fille, une orpheline, une mère […] Ici, je porte tous mes âges ». La narratrice y retrouve les odeurs, les présences et les voix du passé, empêchant ainsi « que le temps recouvre tout » : « Les enfants, rendez-vous compte, c’est divin ». « Oh, viens voir, maman, la tourterelle boit l’eau de la piscine ! ». « Vous avez vu comme le cèdre a grandi ? »

Les yeux fermés, Federigo Tozzi

Ecrit par Philippe Leuckx , le Samedi, 03 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Italie, La Baconnière

Les yeux fermés (Con gli occhi chiusi), juin 2016, trad. italien Philippe Di Meo, 206 pages, 18 € . Ecrivain(s): Federigo Tozzi Edition: La Baconnière

 

Véritable renaissance, grâce à cette découverte, d’un auteur largement omis par les anthologies, oublié, sinon totalement inconnu. Né en 1883, décédé en 1920 de la grippe espagnole, l’auteur italien, d’origine siennoise, a publié nombre de livres, dont ces Yeux fermés, en 1919. Le Robert des noms propres, édition 2014, signale qu’il est mort à Rome, qu’il a fait connaître ses nouvelles par l’entremise des écrivains Borgese et Pirandello, qu’il a écrit, entre autres, Les Bêtes, Trois croix, et Le Domaine, et que sa stature de narrateur insigne lui est aujourd’hui reconnue à l’instar de Svevo.

Cet exact contemporain de Saba propose donc avec ce roman nourri d’autobiographie une histoire autant âpre que révélatrice d’une époque où la ruralité était encore d’un poids massif, où la province – ici la Toscane – déroulait ses codes ancestraux et signait les derniers sursauts familiaux et terriens, entre domaine à sauvegarder et quête presque impossible de l’amour. Le tout jeune Tozzi a connu toute une série de traits qu’il partage avec son antihéros Pietro : un père autoritaire, la latifundia menée à coups de violence et de dressage des ouvriers agricoles, un tempérament d’une timidité maladive, une quête de sentiments que sa nature a bien du mal à maîtriser sinon éprouver, etc.

Généalogie d’une banalité, Sinzo Aanza

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 03 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Afrique, Roman, Vents d'ailleurs

Généalogie d’une banalité, 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Sinzo Aanza Edition: Vents d'ailleurs

« L’homme n’est pas étanche, il est d’une porosité inévitable, sournoise mais inévitable »

Sinzo Aanza

 

« Le véritable salaire de la désobéissance civique arrive. Ne fermez pas votre radio, ne changez pas de chaîne, car l’histoire va s’écrire sous vos oreilles ce soir… »

La clef de Généalogie d’une banalité de Sinzo Aanza est dans cette phrase. Mais avant, il faut faire preuve de patience. Car la lecture de ce livre au style riche, truculent, impétueux, inventif, pantagruélique, veiné de mots que la langue française a rayés de son vocabulaire depuis belle lurette, est en elle-même une ode à la lenteur de par la complexité du récit, à la fois épopée, chronique sociale et subtile autant que prudente critique politique d’un pays, le Congo, quasiment quatre fois plus grand que la France. Et il faut bien l’admettre : notre ignorance de lecteurs occidentaux formatés par Tintin au Congo est inversement proportionnelle à l’insignifiante connaissance que nous avons de ce pays. Oh bien sûr, nous avons vaguement en mémoire le fait que le Congo fut la danseuse belge maltraitée du roi génocidaire Léopold II.