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Daech, le cinéma et la mort, Jean-Louis Comolli (2ème critique)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 16 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, La rentrée littéraire, Verdier

Daech, le cinéma et la mort, août 2016, 128 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Comolli Edition: Verdier

J.-L. Comolli, critique de cinéma aux Cahiers du Cinéma de 1962 à 1978, responsable de la rédaction entre 1966 et 1971, continue à écrire ponctuellement dans diverses revues comme Trafic, et Images documentaires. Il montre dans son dernier livre comment les formes du cinéma de Daech « plient et déplient des opérations de sens » afin que la manière de montrer devienne une forme de pensée sans pensée chez le spectateur. La « société du spectacle » chère à Debord devient à la fois agression et (paradoxalement) séduction que l’auteur identifie et décrit. Le cinéma ne se veut plus fiction, ni reportage. Il revendique « du » réel absolu propre à faire ingérer une croyance du même type.

Alors que dans le cinéma classique il n’existe jamais de « vraie » mort, tout ici se renverse. La mort de l’impie est donnée comme « pur » spectacle qui joue d’un côté sur le registre de la consommation d’image et, de l’autre, de la transformation du spectateur en suggérant en lui, et par l’horreur, une peur comparable à celle que devaient engendrer jadis (et parfois encore) les exécutions publiques. Il ne s’agit plus comme souvent dans le cinéma de proposer des images au goût du passé, de la nostalgie, mais d’impliquer des stimuli immédiats dans ce qui devient le point maximum de la pornographie : la mise à mort sans ligne de fuite pour le spectateur en de lancinantes répétitions des vagues meurtrières sur lesquelles la fascination (ou on l’espère le dégoût) du spectateur vient se briser inlassablement.

Un Singulier Garçon, le mystère d’un enfant matricide à l’époque victorienne, Kate Summerscale

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 15 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Christian Bourgois, La rentrée littéraire

Un Singulier Garçon, le mystère d’un enfant matricide à l’époque victorienne (The Wicked Boy), traduit de l’anglais par Eric Chédaille, septembre 2016, 468 p., 24 € . Ecrivain(s): Kate Summerscale Edition: Christian Bourgois

Rarement l’écriture d’un livre, d’un roman authentique, n’a autant mérité le nom de travail que cet opus de Kate Summerscale. La somme de recherches, fouillées jusqu’à la plus extrême minutie, entreprises par l’auteure, est proprement fascinante. Imaginez un instant Michel Foucault écrivant un roman à partir de sa reconstitution documentaire célèbre d’un multi crime non moins célèbre, « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère » (et quand on connaît le talent stylistique de Foucault, cela eût été tout à fait imaginable). Eh bien c’est là le tour de force de ce roman – car c’en est bien un, même si chacun de ses éléments est rigoureusement fondé sur une vérité historique quasi méticuleuse. Nous avons tous les documents de police, de médecins, de juges, d’avocats, de compagnons, de voisins, de maîtres d’école etc. qui vont venir constituer le dossier de cette affaire, commencée en 1895.

Le lundi 8 juillet 1895, pour être précis, Robert Coombes a tué sa mère dans son lit de plusieurs coups de couteau, avec la complicité (passive ?) de son jeune frère Nathaniel. On est en Angleterre, « à Plaistow, quartier ouvrier, pauvre mais respectable, du vaste arrondissement des docks d’East London. » Robert a 13 ans, son frère, 12.

La peine capitale, Santiago Roncagliolo

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 15 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Polars, Amérique Latine, Roman, Métailié

La peine capitale, avril 2016, trad. espagnol François Gaudry, 382 pages, 20 € . Ecrivain(s): Santiago Roncagliolo Edition: Métailié

 

Quatrième livre d’un jeune auteur (né à Lima en 1975), déjà fêté pour son premier roman Avril rouge (2008), ce thriller politico-social entraîne le lecteur dans un imbroglio haut en couleur, dont le contexte est admirablement bien rendu. Sur fond de Mundial 1978 au Pérou, quand les activités publiques et privées sont réduites à leur plus simple expression, puisque tout le monde suit à la télévision les retransmissions des matches, un simple employé, assistant aux archives du Palais de Justice de Lima, enclenche presque sans le savoir une mécanique d’enquêtes, d’éclaircissements, de courses poursuites, et tout ça à partir d’un document mal classé, petite boule de neige de papier qui va huiler toute une intrigue.

Ce petit employé s’appelle Félix Chacaltana. Il vit encore chez sa mère, très dominatrice, très pieuse, très encombrante. Il a un directeur des archives qui passe le plus clair de son temps à regarder le foot. Félix est bien le seul à se préoccuper de son travail, et il doit joliment emmerder tout son petit monde par ce que les autres appellent des lubies : marottes de classement, souci précautionneux de ne pas faire de gaffes ; bref un employé modèle dans un monde qui s’en fout, endormi dans les conventions, assommé par la chaleur et anesthésié par le Mundial, sans parler bien sûr de la chape de plomb du régime militaire qui voit des subversifs partout.

Parages 01, La revue du Théâtre National de Strasbourg

Ecrit par Marie du Crest , le Jeudi, 15 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Revues, Les solitaires intempestifs

Parages 01, La revue du Théâtre National de Strasbourg, juin 2016, 200 pages, 15 € Edition: Les solitaires intempestifs

 

« Première »

L’histoire du théâtre s’écrit non seulement à travers sa littérature, celle de la scène, mais aussi celle des revues qui ont marqué ses conceptions, ses esthétiques, ses genres et formes. La nouvelle revue du TNS s’inscrit dans une filiation revendiquée, celle notamment des Cahiers de Prospero dans les années 90, ou celle de Vitez une décennie auparavant. Chacune à leur manière, ces revues envisagent leur publication comme un moment, un lieu consacré à une réflexion sur la matière théâtrale autour essentiellement d’auteurs, de metteurs en scène et de concepteurs. Le propos de Parages s’adresse-t-il ainsi certes à des professionnels de la scène contemporaine mais également à tout lecteur, spectateur en quête de sens, d’approches nouvelles du langage dramatique.

Stanislas Nordey dirige, depuis 2014, le Théâtre National de Strasbourg. En 2016, il initie la création de la revue Parages, et Frédéric Vossier est en charge de sa réalisation. Parages propose une série de contributions autour des écritures contemporaines théâtrales, faisant appel aussi bien à des universitaires, des auteurs, des metteurs en scène, des journalistes (Mohamed El Khatib, Claudine Galéa, Joêlle Gayot, Lancelot Hamelin, Bérénice Hamidi-Kim, David Lescot).

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Salman Rushdie

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mercredi, 14 Septembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Actes Sud, La rentrée littéraire

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, septembre 2016, trad. anglais Gérard Meudal, 313 pages, 23 € . Ecrivain(s): Salman Rushdie Edition: Actes Sud

 

Salman Rushdie aime l’univers des contes orientaux, d’origine persane ou indienne, et en fait un usage très personnel, proche du conte philosophique, en liant la part de réalisme magique proche de l’enfance aux événements du monde contemporain provoqués ou subis par les adultes.

L’ouvrage est une vaste métaphore du combat contre le radicalisme, le fondamentalisme religieux et les catastrophes écologiques à l’échelle planétaire, quand le monde des jinns investit le monde des humains lors de « cette époque chaotique que nous appelons le temps des étrangetés, laquelle dura deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, c’est-à-dire mille nuits plus une ».

Les jinns, bons ou mauvais, influencent les humains en leur murmurant pendant leur sommeil des injonctions à l’oreille, pour faire le bien ou surtout pour faire le mal, « ce qui donne à penser que l’espèce humaine penche plus naturellement vers l’obscur ».