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Le congrès de littérature, César Aira

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 20 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Christian Bourgois

Le congrès de littérature (El congreso de literatura), avril 2016, trad. espagnol (Argentine) Marta Martinez-Valls, 128 pages, 14 € . Ecrivain(s): César Aira Edition: Christian Bourgois

Ceci est le livre d’un auteur qui voulait écrire un livre. Ou, autrement dit, le projet de ce livre, c’est le livre que vous tiendrez dans les mains le jour où vous le lirez. Voilà une manière d’avancer sans trop se risquer, et pourtant… Et pourtant, les choses avancent à un rythme tel qu’il aura fallu près de deux décennies pour que nous en arrive sa petite centaine de pages et après 9 autres titres publiés par le même éditeur, plus quelques autres chez Gallimard, Maurice Nadeau ou Actes Sud, entre autres.

A la veille de rejoindre un congrès de littérature au cœur d’une cité andine, le narrateur commence par résoudre naturellement une énigme du Nouveau monde et saura tirer le « fil de Macuto », comme d’autres tirent le fil de leur histoire, et amener à lui les trésors des temps légendaires de la piraterie… se sauvant du coup du naufrage dans lequel le marasme de l’édition pourrait bien l’entraîner. Car le narrateur est, précisons-le, écrivain. Qu’irait-il faire sinon à ce congrès de littérature ? Raconter des histoires ? Racontez une histoire ? Peut-être celle de toutes les histoires ? Peut-être…

Il était une fois, donc… un scientifique qui menait en Argentine des expériences sur le clonage de cellules, d’organes, de membres et qui en était arrivé à la possibilité de reproduire à volonté des individus entiers en quantité indéfinie.

Seul le bleu reste, Samaël Steiner, estampes de Judith Bordas

Ecrit par Cathy Garcia , le Samedi, 20 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Arts

Seul le bleu reste, éd. Le Citron Gare, juin 2016, 87 pages, 10 € . Ecrivain(s): Samaël Steiner et Judith Bordas

 

Une traversée, voici ce qu’évoque ce recueil de Samaël Steiner. Ombre et lumière tissées par une langue dense et sensuelle. Traverser et être traversé et Seul le bleu reste. Des villes, des lieux, traversés par des corps, des corps qui marchent, des corps qui glissent,

« Nous allons ensemble,

la rue n’est plus bordée de portes

mais de larges entailles, par lesquelles

on peut se glisser

et apparaître ailleurs et autrement »

des corps qui se touchent, des corps et des êtres que seul un voile de peau sépare, des corps qui se désirent, des êtres qui s’aiment, des corps ouverts souvent comme des fruits ou des poissons, des corps qui tombent, des corps comme des morceaux de pays traversés de guerre, « les corps sont là / la tête traversée » comme celle du danseur de la place Maïdan :

Derniers Feux sur Sunset, Stewart O’Nan

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 20 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Roman, L'Olivier (Seuil), La rentrée littéraire

Derniers Feux sur Sunset, août 2016, trad. anglais (USA) Marc Amfreville, 396 pages, 23 € . Ecrivain(s): Stewart O’Nan Edition: L'Olivier (Seuil)

L’annonce d’un nouveau roman de Stewart O’Nan (1961) est une bonne nouvelle, si l’on veut bien laisser de côté le plutôt mitigé Joueurs (2013) : que ce soit par son hommage à Stephen King (avec qui il a coécrit une nouvelle, Un Visage dans la Foule, 2014), le puissant Speed Queen (1998), par son grand roman sur les séquelles de la guerre du Vietnam (conflit au sujet duquel il a publié une anthologie définitive en 1998, The Vietnam Reader : The Definitive Collection of Fiction and Nonfiction on the War, qui n’a malheureusement pas encore trouvé traducteur), Le Nom des Morts (1999), par son beau diptyque sur la vieillesse, Nos Plus Beaux Souvenirs (2005), et Emily (2012), ou encore par son intense roman sur l’Amérique d’après la Guerre de Sécession, le percutant Un Mal qui Répand la Terreur (2001), cet auteur a régulièrement démontré un grand talent de raconteur capable d’aller au fond des choses, d’extraire de sa matière narrative un sens auquel se confronte le lecteur.

Lorsqu’on apprend de surcroît que le nouveau roman de Stewart O’Nan s’intitule Derniers Feux sur Sunset, et raconte l’expérience hollywoodienne de Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), on se réjouit de cette rencontre entre deux grands auteurs : certains romans sur la littérature sont de franches réussites, on pense en particulier à L’Auteur ! L’Auteur, de David Lodge, sur l’expérience dramaturgique de Henry James, et au Voyage de Shakespeare, de Léon Daudet, sur l’éveil artistique du Barde, et on n’en attend pas moins de celui-ci.

Eclipses japonaises, Éric Faye

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 19 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil, La rentrée littéraire

Eclipses japonaises, août 2016, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Eric Faye Edition: Seuil

 

Nagasaki et Malgré Fukushima ont mis en lumière le talent d’Éric Faye (1963), auteur d’une trentaine de livres. Parfois, il faut un prix d’automne ou un séjour littéraire à l’étranger – ce fut le cas du Prix du roman de l’Académie française 2010 pour le premier titre cité, et pour le second, une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto – pour qu’un auteur accède à une notoriété de bon aloi.

Le nouveau roman de l’écrivain épris de culture orientale comblera plusieurs publics de lecteurs : tout d’abord, ceux qui éprouvent pour le style une ferveur particulière ; ceux pour lesquels un vrai roman ne fait pas d’impasse sur l’intrigue ; tous les vrais liseurs de littérature française de qualité d’aujourd’hui : voilà un nom à ajouter depuis quelque temps déjà à ces « jeunes » écrivains qui honorent les lettres romanesques françaises. Je citerai, entre autres, L. Mauvignier, O. Adam, L. Gaudé, M. Enard…

Comment faire d’une réalité historique brevetée par des témoignages un roman de fiction : voilà la mission littéraire que s’est donnée Faye pour traduire des faits de disparitions étranges dans les années 60 et 70 sur les côtes japonaises ou à la frontière coréenne. Le titre suggère déjà ces êtres qui se volatilisent un beau jour, dans le plus grand mystère.

Daech, le cinéma et la mort, Jean-Louis Comolli

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 19 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Essais, La rentrée littéraire, Verdier

Daech, le cinéma et la mort, août 2016, 128 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Comolli Edition: Verdier

« On peut imaginer que les décapitations filmées à Mossoul ont pu être vues moins de deux heures plus tard à Londres ou à Pékin. Par cette seule synchronisation, Daech apparaît comme maître du temps, régleur de calendrier. C’est l’une des raisons qui font que ces clips, brefs, ne soient pas montés, ou alors si peu : deux ou trois plans mis bout à bout. Retour de l’immémorial fantasme de l’image immédiate, image divine, apparition ».

Daech, le cinéma et la mort, condense dans son titre ce qui est en jeu dans la propagande maléfique filmée par les terroristes. Il s’agit de mettre la mort réelle en scène, de la rendre visible dans le monde entier et sur l’instant. Jean-Louis Comolli en cinéaste-penseur aiguisé, et en penseur-cinéaste affuté, met avec justesse ce projet funeste en lumière. Le support numérique qui a déjà enterré la pellicule cinématographique en finit là avec la mort jouée et toujours recommencée – le merveilleux clap, son silence et moteur, ça tourne –, qui n’a cessé d’habiter le cinématographe depuis les premiers films des frères Lumière. Les cinéastes artistes ont toujours pris leur distance avec la mort – Ford, Hitchcock, Bergman, Fuller (The Big Red One filme l’horreur des camps sans la montrer), Tourneur –, jeu de cache-cache scénarisé et cadré, mis en scène, il faut savoir la cacher, jouer sur ses fugaces apparitions et ses disparitions, dans tous les cas, préférer l’imaginaire à sa représentation.