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La Une Livres

Carnet du soleil, Christian Bobin

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Samedi, 11 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Livres décortiqués, Poésie

Carnet du soleil, Lettres Vives, 2011, 64 p. . Ecrivain(s): Christian Bobin

Alors que Christian Bobin vient de faire paraître Un assassin blanc comme neige chez Gallimard, il est plus que jamais nécessaire de se replonger dans son précédent ouvrage, Carnet du soleil, paru chez un petit éditeur : Lettres Vives.

Avec sa délicatesse, sa ferveur et sa mélodie habituelles et uniques, affinées dans le sens d’une épure livre après livre, Bobin compose une musique de mots pour non pas dire quelque chose de la grâce, mais nous la donner à ressentir. La grâce qui est une grâce de tous les jours et de tous les temps. La grâce que l’on peut expérimenter au plus intime et qui nous est donnée à vivre à chaque inflexion que fait la vie sur le ruisseau du temps, faisant des ricochets qui ont valeur de monde.

La grâce qu’il y a à être nu et sans paroles dans la vie, sans paroles pour pouvoir exprimer cette vie qui nous excède de toutes parts et que l’on ne peut que vivre, que l’on ne peut qu’être.

Et Bobin cherche à dire justement ce qui est sans mots pour être dit, mais sans retirer son caractère ineffable – son silence – à la chose dite, pour qu’elle soit encore vivante dans le langage. Voilà pourquoi son langage aphoristique confine au langage des enfants et des saints. Voilà pourquoi il se tient dans l’entre-deux entre les mots les plus simples que l’on hasarde sur le versant de la mort et le silence heureux de l’enfant qui sait être bientôt face à une surprise.

Environs et mesures, Pierre Senges

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 11 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Gallimard

Environs et mesures, Le Promeneur Gallimard, 2011, 101 p. 15 € . Ecrivain(s): Pierre Senges Edition: Gallimard


Ce tout petit livre est un compromis entre précis de géographie et imprécis de cartographie imaginaire. Il raconte comment, du moins jusqu’au tout début du XXème siècle, des hommes – souvent plus « scientifiques » que poètes – ont tenté de situer dans le monde sensible des lieux aussi improbables et au moins aussi évanescents que le paradis, l’ultima Thulé, l’Atlantide ou la porte des enfers, les lieux d’errance d’Ulysse étant, peut-être, les plus faciles à repérer.

Au-delà de la mystique, du rêve, de l’imagination, cela démontre aussi comment l’homme, si sage ou si fou soit-il – ce qui revient parfois au même –, cherche à encadrer et, dans le même élan et le même temps, paradoxalement, à repousser les abords de l’autre, l’ailleurs, l’au-delà. L’altérité du « pays où l’on n’arrive jamais » ou d’où l’on ne revient jamais si tant est qu’on y soit arrivé, véritable trou noir, intervalle entre deux événements.

Dans un jour ou deux, Tony Vigorito

Ecrit par Yann Suty , le Dimanche, 05 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, USA, Roman, Gallmeister

Dans un jour ou deux, 360 p, 23,50 € . Ecrivain(s): Tony Vigorito Edition: Gallmeister

Quel drôle de livre que ce Un jour ou deux !

Tout commence par un graffiti. Blip, professeur de sociologie en passe de perdre son emploi, et meilleur ami du narrateur du livre, Fountain, devient soudainement un adepte du graffiti. Sous un pont, il écrit à la peinture blanche les mots « OH OH ». Le graffiti a un effet inattendu, provoque réactions et interrogations.

« Le graffiti de Blip offrait aux gens quelque chose à partager, si bizarre fût-elle, et un esprit de corps littéralement inédit se pose sur la ville comme un enivrant nuage de gaieté ».

Puis quelqu’un écrit une réponse : « Quand ».

Et Blip d’inscrire ensuite : « Dans un jour ou deux ».

Mais que va-t-il se passer dans un jour ou deux ? Blip a une intuition. Un complot mondial est en route. Un complot mondial ??? Mais quand un champignon est pour lui une sonde extraterrestre, on peut penser qu’il souffre d’une légère paranoïa.

Quoique…

Nues, Bénédicte Heim

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Dimanche, 05 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Livres décortiqués, Roman, Les Contrebandiers

Nues, 2011, 15 euros. . Ecrivain(s): Bénédicte Heim Edition: Les Contrebandiers

Nues. Ce sont bien des femmes, deux très belles femmes, qui le sont, nues, et non les hommes qui les regardent, un peintre, un photographe, qui ne sont que regard, que désir, que déchiffrement du regard et du désir, que volonté de retourner leurs vêtements, et même leur peau, et même leur intériorité la plus absolue, qu’elle soit de l’ordre de la psyché ou de l’organique, à la façon du narrateur de Lolita expliquant que « [s]on seul grief contre la nature était de ne pouvoir retourner Lolita comme un gant et plaquer [s]es lèvres voraces contre sa jeune matrice, son cœur inconnu, son foie nacré, les raisins de mer de ses poumons, ses deux jolis reins ». Et cette mise du désir sur le corps désiré suivant le scalpel et l’acide se passe dans un souffle, d’une seule façon de poser les yeux qui apparaît pourtant comme une caresse. Ces hommes sont des artistes mais avant tout des hommes nourrissant de leur désir d’homme leur œuvre, c’est-à-dire leur désir d’absolu, leur désir d’inscription de l’absolu sur la toile et sur le papier photographique d’abord via le bain révélateur du regard, cherchant à mettre à nu jusqu’à la nudité même de ces deux jeunes femmes afin de faire affleurer ce qui les constitue en propre et qui serait transmutable en art. On l’aura compris : tous ces personnages ne sont qu’un prétexte à faire qu’une parole sur le désir et la vérité du désir ait lieu.

Le poids du papillon, Erri de Luca

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Dimanche, 05 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Critiques, Bassin méditerranéen, Récits, Gallimard

Le poids du papillon, mai 2011, 9 euros 50. . Ecrivain(s): Erri de Luca Edition: Gallimard


Il faut s’asseoir au coin d’un feu imaginaire et écouter le merveilleux conteur qu’est Erri De Luca, ce livre mince comme un papillon ouvert dans les mains qui gardent le poids des images contenues dans les pages. Des pages, qui, quand elles sont tournées, restent présentes quelque part. La langue de De Luca est nue, rocailleuse parfois, un peu à l’image de l’homme qui aime les choses simples, le café, les aliments que l’on trempe dans la tasse et que l’on mange en s’ébouillantant presque, en écoutant le chant du silence, à l’ombre des arbres qui murmurent leur solitude. Ou le cœur pris dans le chant des grillons.

Ici la langue de ce grand écrivain atteint l’épure (grâce aussi au talent de Danièle Valin – cet ouvrage fut initialement publié en italien en 2009), suivant les fils d’un premier conte (« Le poids du papillon ») qui est presque une parabole (le livre est constitué de deux courts textes) et suivant l’harmonie d’un récit (« Visite à l’arbre ») non pas clôturant l’ouvrage mais le suspendant dans un silence plein de tous les mots qui se sont précipités jusque-là avec leur rudesse et leur simplicité chantante, un silence qui se découvre, presque à sa propre surprise, harmonique.