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Critiques

L’Homme hors de lui, Valère Novarina (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 06 Novembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Théâtre, P.O.L

L’Homme hors de lui, septembre 2018, 160 pages, 014 € . Ecrivain(s): Valère Novarina Edition: P.O.L

 

Le nouveau drame de la vie

L’Homme hors de lui reprend la mise en abîme vertigineuse du travail et de la destinée de l’acteur dans la langue et sur la scène absurde, désordonnée du monde. Valère Novarina a décidé de publier ce drame au milieu d’une petite forêt de noms, en partie dérivée d’un « Nominaire » en constitution, pour créer un îlot théâtral cerné par le flot des noms qu’il a commencé et poursuit depuis des dizaines d’années. Fait pour le théâtre, ce texte – comme ceux de Beckett – nourrit tout autant le lecteur qui le lit hors du monde et en un voyage autour de sa chambre. Mais, et à l’inverse de ce que le titre indique, celui-là se retrouvera plus en lui par un flot verbal aussi drôle que cérémonial.

Novarina reste le magicien de la langue et il doit être toujours placé au sommet des littératures francophones. Il est celui qui nous interpelle : « Gens du réel, cessez de vous prendre pour des agents de la réalité ! ». Et pour nous secouer, un homme entre, déroule, scande une cosmogonie de mots qui convoque les brins d’herbe et les supermarchés, les chiffres de hasard et les jeux d’enfant, les pierres et les bêtes, la mort et la vie, le souffle de la parole.

Quitter les mots ?, Corinne Lellouche (par Fanny Guyomard)

Ecrit par Fanny Guyomard , le Mardi, 06 Novembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Quitter les mots ?, Editions Michel de Maule, janvier 2018, 168 pages, 20 € . Ecrivain(s): Corinne Lellouche

 

Au début, ce livre peut rebuter (le lecteur est d’ailleurs prévenu dès la première phrase). Mais il faut lui laisser sa chance. Sa langue erratique, obscure, exige un effort : la poésie se mérite.

Parce qu’au début, on peut se perdre avec ce personnage tantôt féminin, tantôt masculin. Parfois, on n’y comprend rien, on se bat un peu avec la syntaxe, on ne saisit pas où l’auteure nous entraîne, le sens de cet écheveau d’idées. Mais laissons-nous entraîner par ce flux de parole.

Il faut lui laisser sa chance, parce qu’à certains moments, la langue s’éclaire en formules d’une extraordinaire clarté : tout à coup, l’auteure assène une idée, qui jaillit d’une éblouissante fulgurance.

Alors, on finit par être transporté dans ce flot d’écriture, a priori désordonné. Au fur-et-à-mesure, les pages se répondent entre elles, un réseau se tisse, et l’on comprend comment les idées disparates font sens.

C’est un long monologue, sur la perte de l’être cher, sur la marchandisation et la virtualisation du monde. Sur la précarité sociale et mentale de la société. Sur la perte de la parole.

Aperture du silence, Carole Carcillo Mesrobian (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 06 Novembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Aperture du silence, PhB éditions, juin 2018, 58 pages, 10 € . Ecrivain(s): Carole Carcillo Mesrobian

 

Dans une langue volontiers altière, mais non guindée, riche dans ses rythmes et son lexique, la poète n’écrit pas pour passer le temps mais cerner au plus près l’acte d’écrire. Chargée d’ellipses qui décontenancent et donc attisent l’intérêt du lecteur, cette poésie joue aussi d’une densité bienvenue qui ne va jamais fleureter avec un minimalisme desséchant :

La nuit jamais ne t’apprivoise

Elle est sauvage comme aucune bête

La solitude est son habit comme au fauve (p.16)

 

Ou

Pour une fois que tu es beau, Jean Cagnard, par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 05 Novembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Pour une fois que tu es beau, 2018, 90 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Jean Cagnard Edition: Espaces 34

 

« Le monde est un cyclone enroulé autour de son œil »

La nouvelle pièce de Jean Cagnard est comme un cyclone, un ouragan qui emporte la froide logique. Elle a été écrite et montée pour deux comédiens et des marionnettes. Le corps des comédiens attachés au fils des créatures articulées semblables à des doubles grotesques. Ajoutons à cela un pianiste jouant du Léonard Bernstein ou du Michel Legrand ainsi que le décor d’une toile peinte. La fantaisie fait que les deux personnages, la mère et le fils, jouent la poésie des métamorphoses, celle des transformations animales (le cochon et le cerf) et celle de leur propre corps grandissant démesurément du fils et à l’inverse, rétrécissant de celui de sa vieille génitrice. Le monde a bien subi un profond chambardement, celui qui traverse la planète, le réchauffement climatique qui fait disparaître tour à tour le Groenland puis l’Afrique du sud. Il ne reste plus qu’à délocaliser en Europe la fabrication des bouillottes, à la suite du Tibet. La lecture du texte nous embarque, nous donne le mal de mer dans les tangages du sens : en mer, il faut toujours fixer un cap pour se prémunir des méchantes nausées. La représentation sans doute rend plus doux ce voyage hasardeux.

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Jean-Chat Tekgyozyan, par Cathy Garcia

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 05 Novembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Belleville éditions, octobre 2018, trad. arménien Mariam Khatlamajyan, 176 pages, 18 € . Ecrivain(s): Jean-Chat Tekgyozyan

 

Pas facile de faire une critique de La ville en fuite, probablement du fait que tout comme la ville, le roman dans son entier semble nous échapper en permanence, quand on en a attrapé un bout et qu’on commence à suivre le fil – bim ! – on se retrouve sens dessus-dessous et il faut à nouveau chercher un bout de fil auquel se raccrocher mais en vain, car tout le roman est un nauséeux mélange de réel et de rêve-cauchemar hallucinatoire, nous sommes enfermés dans la tête des deux protagonistes principaux, Gagik et Grigor.

Le roman est divisé en deux parties, deux versions décousues d’une même histoire, à charge au lecteur d’essayer d’en tirer quelques bribes de cohérence. L’écriture vacille, se pose pour aussitôt réapparaître ailleurs, retourne sur ses pas et on finit par ne plus chercher à comprendre tellement on a le tournis. Alors, on se laisse en quelque sorte malmener, bousculer, l’humour est là et la poésie aussi, notamment dans les magnifiques passages qui parlent de la grand-mère de Gagik et son incroyable chevelure dotée elle aussi d’une vie propre :