Identification

Critiques

Enfin le royaume, François Cheng (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 13 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Enfin le royaume, Quatrains, février 2019, 224 pages, 7,40 € . Ecrivain(s): François Cheng Edition: Gallimard

 

Les poèmes de François Cheng sont autant de raccourcis de temps où s’invitent la permanence et la continuité : « A l’apogée de l’été/ Retient ce qui a été : / Tous les fruits suspendus/ Toute la soif étanchée ».

Avec son éternelle soif de l’attente, quel que soit le moment et quelle que soit l’attente, le poète est à la fois dans l’expectative et l’émerveillement nourri d’optimisme incité par une source initiale coulant en filigrane : « Toi, tu entends le bruit des étoiles qui passent ».

C’est que ce poète de stature a besoin de cet écho multiplié pour se rendre à l’évidence de sa plénitude qu’il compte bien transmettre à autrui : « Tout d’ici t’est offert, offre, toi à ton tour ! ».

Si parfois le crépuscule « s’exténue », c’est pour mieux se rendre à l’évidence d’un matin tournant la page à l’appui de « l’habitable étincelle » puisque « Ici/ Nous avons tracé le trait/ Nous avons laissé vacant/ Afin qu’un jour advienne ».

Le Récidiviste, Alain Fleischer (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 10 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Seuil

Le Récidiviste, janvier 2019, 352 pages, 21 € . Ecrivain(s): Alain Fleischer Edition: Seuil

 

« Avant d’avoir vu passer, dans une rue de la ville de Brno en Moravie, le jeune Léo que j’ai été il y a trente ans, j’aurais pu me dire en regardant une photo de moi à cette époque : cet être n’existe plus, il a disparu, il n’est nulle part, il est mort, sa matérialité physique s’est volatilisée, comme les cendres d’un corps après incinération, et pourtant je suis là, issu de lui, et relié à lui par le fil ininterrompu, invisible, d’une même existence, dans une suite continue de jours et de nuits, au point que, bien éloigné de cet individu-là, je suis encore lui ».

Le Récidiviste est l’éblouissant roman de cette vision, le roman des souvenirs qui se matérialisent sous l’œil du narrateur. Il se voit, se croise dans une rue, tel qu’il était, l’adolescent qu’il fut se reflète dans son regard, alors qu’il est en recherche d’un tueur récidiviste László Kovács. Son histoire pourrait devenir un roman. Comme un éclat, dans cette rue de Brno c’est le Temps retrouvé qui lui saute aux yeux, et sa quête, son enquête, sa recherche, vont être saisies par ce passé, cette présence saisissante, troublante, étourdissante, un passé qui s’invite au présent. Léo est là devant lui, Léo et ses seize ans que trouble la belle Mila, l’amour adolescente qui a embrasé sa vie. A son contact, il a affûté, comme on le dit d’un couteau, sa vie et ses passions.

Mauvais anges, Mènis Koumandarèas (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Vendredi, 10 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman, Quidam Editeur

Mauvais anges, avril 2019, trad. grec Michel Volkovitch, 236 pages, 20 € . Ecrivain(s): Mènis Koumandarèas Edition: Quidam Editeur

Ce livre nous plonge dans l’Athènes de l’après-guerre dont l’auteur se fait le témoin, lui qui « avait entendu dans son enfance le bruit des bottes allemandes ».

Unité de temps (1945-1950) : « quelque chose de terrible s’était passé dans le monde alors que je jouais, enfant insouciant, dans le Parc ».

Unité de lieu : « le nombril de la ville » – la station Omònia, le cinéma Krònos en ruine « où se retrouvaient les soldats et où Matìna contemplait les photos de Gary Cooper », le théâtre de bois Olympia, la place Kyriakou et, bien sûr, l’immeuble où il vit, au-dessus du métro : « la nuit pendant que je dors un bruit part du sous-sol ».

Ça démarre doucement avec de simples phrases. Quelques clins d’œil humoristiques ici ou là : « mon premier film américain : Par la porte d’or, avec Olivia de Havilland […] et Charles Boyer, tout juste arrivé à Hollywood, qui va la voir à l’hôpital et dit avec un terrible accent français “I love you darling”. C’était à peu près ce qu’aurait pu dire Séraphin à Matìna devant le Krònos, dans un style un peu plus grec : “Tu me plais, ma poule !” ».

Solombre, Florence Noël (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 10 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Solombre, éditions Le Taillis Pré, avril 2019, 96 pages, 14 € . Ecrivain(s): Florence Noël

 

Il existe une force de persuasion comme il existe une force de dissuasion. C’est ce que révèle, notamment, Florence Noël activant le soleil et l’ombre dans la même idée jusque dans le titre de son évocation.

La maturité de cet auteur touche au sublime dans l’entrechoc des idées, exactement à la charnière où tout pourrait basculer dans un sens ou dans un autre, avec, en direct, des images suggérant une humanité très immédiate : « tes murs sont peints au café froid/ grande table, une seule chaise/ personne/ n’a l’adresse de ta demeure ».

Ainsi « faudrait-il (il faudrait) de la blancheur/aux lèvres soudoyées à l’ange/ annonciateur de faim ».

Le corps se fait vertige à rejoindre ainsi les grandes œuvres humaines (« crisse le papier de soie sous la voûte du pied »).

Le temps des livres est passé, Juan Asensio (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 09 Mai 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le temps des livres est passé, éditions Ovadia, mars 2019, 655 pages, 35 € . Ecrivain(s): Juan Asensio

 

Pour quiconque aime vraiment la littérature, la vraie, celle dont l’unique projet est la justesse et la perfection, ce livre est un don du ciel. Juan Asensio, dont on sait la force de travail et le talent qu’il déploie dans son Blog littéraire Stalker*, nous y offre quelques-unes de ses études critiques, plus de soixante au total. Travail de Titan qui fait et qui fera trace dans l’histoire de la critique littéraire.

Le mot est dit, critique littéraire – ce qui semble tirer l’objet de ce livre vers un exercice dont il faut dire qu’il n’existe quasiment plus. Aujourd’hui – les Américains nous ont tendu le mot – on fait des « revues » (reviews) de livres, on dit aussi en français des recensions. De quoi s’agit-il ? D’un exercice de compte-rendu de lecture : de quoi parle ce livre (ah les résumés de livres !), comment c’est écrit, quel en est le degré, non pas d’intérêt mais de plaisir qu’il procure. Le journaliste littéraire aujourd’hui est un bateleur du livre. Les plus intelligents d’entre eux parlent aussi de la situation du livre, de son champ de signification et de son importance littéraire. Les autres se contentent de leur propre plaisir (« J’ai aimé », « J’ai adoré », délayés à l’envi…) brandi comme une preuve de la grandeur du livre traité.