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Critiques

Poèmes Western, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey , le Lundi, 17 Décembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions Lanskine

Poèmes Western, novembre 2018, 64 pages, 14 € . Ecrivain(s): Estelle Fenzy Edition: Editions Lanskine

 

Le dernier recueil d’Estelle Fenzy s’ouvre sur une naissance. Naissance d’un monde, naissance à la vie et, par là, une espérance : « Ici le voyage commence ».

Alors de la nuit naît l’aube. Des antinomies subsistent puisque restent « des ombres oubliées »  et « Si l’on s’approche, quelles ténèbres à lire sur (le) visage »« d’une madone en prière ».

Cette fois-ci la poète a choisi comme rythme celui du verset qu’elle écrit court, alternant avec des pièces de plusieurs lignes. Un creuset qui privilégie à la fois le balancement et le heurt par le choc de phrases brèves.

Ce road-trip, dont le travail photographique de Bernard Plossu a été l’inspiration, emmène le lecteur dans une Amérique fantomatique. Le journal de bord ainsi conçu œuvre comme un film. Du gros plan au plan d’ensemble. Des confettis de « la maison de Peter » – on sait le regard de l’auteure sur l’enfance et son génie à en traduire la magie – de la camionnette, de Susannah Gun, la vieille au pistolet, jusqu’au brouillard « qui recroqueville la terre », jusqu’aux « champs de coton »et aux« sillons de bitume ».

Là où la nuit / tombe, Stéphane Sangral (par Claire-Neige Jaunet)

Ecrit par Claire-Neige Jaunet , le Lundi, 17 Décembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions Galilée

Là où la nuit / tombe, avril 2018, 109 pages, 12 € . Ecrivain(s): Stéphane Sangral Edition: Editions Galilée

 

Chaque soir la nuit tombe, où que l’on se trouve – où l’on se trouve : quoi de plus banal, naturel, anodin… que ce phénomène cosmique quotidien qui rythme notre vie et notre temps terrestre.

Anodin ? Pas lorsque Stéphane Sangral entre dans les heures nocturnes et s’aventure dans un enchaînement de séquences qui, ayant mis « la vie en panne », proposent une matière à déchirer : la nuit.

La nuit : un espace pour les mots qui portent en eux « le fond », l’avers du jour qui, lui, est « la forme » de notre existence. Des mots qui donnent une nouvelle couleur à la ville, à la vie, aux rêves, et cherchent le chemin à travers l’informe, en quête de certitudes entre vérité et mensonges, en quête de « vrais soi » – au prix de doutes et au risque de noyade : le Néant qui accapare tout guette le moi.

Lais du Moyen Âge, Récits de Marie de France et d’autres auteurs (XIIᵉ-XIIIᵉ siècle) en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 14 Décembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Anthologie, La Pléiade Gallimard

Lais du Moyen Âge, Récits de Marie de France et d’autres auteurs (XIIᵉ-XIIIᵉ siècle), octobre 2018, traduction de différentes langues. Edition: La Pléiade Gallimard

 

« Entre 1170 et 1270 fleurissent de courts textes que d’aucuns ont pu comparer à des “nouvelles” rapportées au “roman” qui venait d’apparaître vers 1150 ». Un siècle, « c’est la période qu’assigne l’histoire littéraire à la naissance, à l’épanouissement puis à la dissipation de [ces] récits brefs que, dès le XVIIIesiècle, les érudits ont pris l’habitude d’appeler “lais” ».

Pourquoi lire ces courts récits – qui sont des racines plongeant dans le sol meuble d’un passé inatteignable – aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, il nous faut faire un détour. « Tout prend place d’emblée – remarque éloquemment Martin Heidegger – dans l’horizon de l’utilité, du commandement […] de ce dont il faut s’emparer… Plus rien ne peut apparaître dans la neutralité objective d’un face à face ». Dans cet « horizon de l’utilité », l’homme ne se trouve plus devant les « choses », il se trouve devant les « fonds disponibles », comme le précise Heidegger qui donne l’exemple de l’air « requis pour la fourniture d’azote » et du « sol » pour celle de minerai et de l’uranium dans la création de l’énergie atomique.

Gomorra, Dans l’empire de la camorra, Roberto Saviano (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 14 Décembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Gomorra, Dans l’empire de la camorra, octobre 2018, réédition avec l’ajout d’une préface de l’auteur, 480 pages, 9,40 € . Ecrivain(s): Roberto Saviano Edition: Folio (Gallimard)

 

Gomorra (publié en 2007) d’un Roberto Saviano de vingt-huit ans et en exil de sa Naples natale, est une vertigineuse plongée en terre infernale.

Dès l’entame – une virée dans un port de tous les trafics entre Chinois de la Triade, douanes et astuces anti-douanières –, le ton est donné. On ne va pas rigoler et en matière de mafia, de collusion, d’infection, la dose est tout, sauf homéopathique. On accompagne la mort d’une jeune Chinoise, plongée dans un puits pour avoir refusé quelques avances. On accompagne… et c’est aussi la vraie dimension d’une œuvre où l’empathie – Roberto témoin, observateur, fidèle à sa ville et dégoûté par elle – l’emporte sans cesser d’être atrocement critique, férocement vraie.

On suit Roberto en Vespa au nord de Naples, dans l’enceinte de ces villages bardés d’explosifs, de commerces illicites, de groupes, de cavales, de poursuites, de règlements de comptes.

On accompagne, écœuré. Les clans (Di Lauro, des Espagnols) se déchaînent.

L’herbe de fer, William Kennedy (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 14 Décembre 2018. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Belfond

L’herbe de fer (Ironweed), novembre 2018, trad. Marie-Claire Pasquier (Prix Pulitzer, 1984), 283 pages, 18 € . Ecrivain(s): William Kennedy Edition: Belfond

 

Vagabondage

Le roman de William Kennedy (né en 1928 à Albany), L’herbe de fer, a été écrit en 1983, puis transposé en film par Hector Babenco en 1987 sous le titre français La force du destin. Le récit de L’herbe de fer (plante de la famille des tournesols) est raconté à l’imparfait, à la fois introspection mnémonique et journal d’errance. Dès le début du roman, en quelques lignes, une partie de l’histoire américaine est évoquée grâce aux noms des défunts aux consonances anglo-saxonnes, la quête oubliée des pionniers et l’invisibilité des Indiens cloîtrés dans des réserves, les différentes confessions religieuses présentes aux États-Unis, le base-ball, la ruralité, etc. Dans le cimetière en bordure de la ville, les tombes recouvrent « les restes mortels des riches », et les caveaux les plus somptueux côtoient les fosses communes – ce que l’auteur met en vis-à-vis (avec un humour grinçant) : « les coffres-forts de la banque céleste » avec plus loin « le déferlement des masses » ; une topologie d’Albany. Et tel Charon de passage, en transit dans les marais de l’Achéron, le protagoniste, Francis Phelan, revient au pays de son enfance, hanté par les restes de sa mémoire et celle de ses proches.