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Magie et Rhétorique en Grèce ancienne, Jacqueline de Romilly (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando 27.08.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Les Belles Lettres

Magie et Rhétorique en Grèce ancienne, avril 2019, trad. anglais Nicolas Filicic, 160 pages, 19 €

Ecrivain(s): Jacqueline de Romilly Edition: Les Belles Lettres

Magie et Rhétorique en Grèce ancienne, Jacqueline de Romilly (par Sylvie Ferrando)

 

Ces quatre conférences ont été données en avril 1974 à Harvard, dans le cadre des conférences Carl Newell Jackson et à l’invitation de Glen Bowersock, directeur du département d’études classiques. Ecrites en anglais, elles n’avaient été jusqu’à présent jamais traduites en français. Jacqueline de Romilly nous offre ici un lent et remarquable voyage dans l’art du discours tel que les Anciens le concevaient, de la magie à la logique.

La grande helléniste remarque tout d’abord que les mots « grimoire » et « grammaire », tout comme les mots « glamour » et « grammar » sont issus de la même racine : « le lexique associe donc à l’origine l’aspect magique et la dimension rationnelle du langage ». Le premier exposé concerne Gorgias et son Eloge d’Hélène, discours qui a pour but de disculper l’Hélène de la Guerre de Troie. Le sophiste Gorgias insiste sur le merveilleux pouvoir du discours, qui oscille entre poésie et magie, la poésie étant elle-même de nature magique.

Selon Gorgias, la poésie est un discours accompagné de rythme. Le discours gorgien est en effet empreint de style et de figures, en particulier l’antithèse. La poésie ressemble à la magie tant par l’influence irrationnelle qu’elle exerce sur les émotions de ses auditeurs que par son caractère incantatoire proche de la fonction de guérisseur. Ce rapport posé avec la médecine instaure un parallèle avec la notion aristotélicienne de ‘catharsis’ et a suscité l’opposition de Platon, décidé à chasser les poètes de la Cité en raison de leur art de la tromperie.

En effet, Platon s’érige contre la falsification de la vérité propre aux sophistes. Selon Platon, la rhétorique en tant qu’art de l’illusion est d’autant plus dangereuse qu’elle a une fonction politique : elle est destinée à « persuader les juges au tribunal, les sénateurs au Conseil et le peuple à l’Assemblée ». Chacune des thèses opposées peut être défendue avec la même force, quel que soit son degré de moralité ou de justice. Que ce soit dans le Gorgias, le Protagoras, la République, le Ménexène, le Sophiste, le Politique, Platon affirme que ce qui est irrationnel et fait perdre la lucidité est trompeur et très/trop relatif. Socrate lui-même et sa rhétorique n’échappent pas à la critique platonicienne. Mais la magie de Socrate diffère de celle des sophistes en ce qu’elle a quelque chose de divin et s’appuie sur une logique implacable, une redoutable capacité d’analyse.

Selon Platon, on ne peut être à la fois orateur et magicien : ces deux arts sont antinomiques. La classification des arts des Anciens distinguait, pour le corps, la gymnastique et la médecine, avec leurs contrefaçons que sont la cosmétique et la cuisine ; pour l’âme, la législation et la justice corrective, avec leurs contrefaçons, la sophistique et la rhétorique. Platon élève la rhétorique au rang de la philosophie, tandis que l’orateur attique Isocrate abaisse la philosophie au niveau de la rhétorique. La rhétorique n’a alors plus rien à voir avec la magie, mais plutôt avec l’éthique (terminologie d’Aristote) ou la politique (terminologie de Platon), art qui se préoccupe de l’âme et science morale reposant sur la dialectique.

La rhétorique, lucide et logique, a acquis ses lettres de noblesse à partir de Platon, Aristote et les écrivains postérieurs. La rhétorique repose alors sur la preuve et le témoignage, elle est subordonnée à l’argumentation. Susciter les émotions des auditeurs selon un procédé « magique » n’y a plus qu’une part secondaire.

 

Sylvie Ferrando

 

  • Vu : 1888

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A propos de l'écrivain

Jacqueline de Romilly

 

Jacqueline de Romilly, académicienne, helléniste, a publié de nombreux ouvrages, dont La grandeur de l’homme au siècle de Périclès, Les révélations de la mémoire ou L’élan démocratique dans l’Athènes ancienne.

 

A propos du rédacteur

Sylvie Ferrando

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

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