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Les Chroniques

Une Lumière au cœur de la nuit, Georges Banu (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 17 Mars 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Une Lumière au cœur de la nuit, Georges Banu, Arléa, février 2020, 128 pages, 17 €

 

Mémoire de la lumière

Aller dans la lecture du dernier livre de Georges Banu, c’est un peu comme aller au spectacle. Non pas seulement parce que beaucoup de ces pages relatent et témoignent de différents spectacles, mais aussi pour le profit que l’on acquiert de la personne du critique. Ce dernier nous permet à la fois de vagabonder dans les théâtres, dans les villes, et pour finir, avec sa personne elle-même. La base, d’ailleurs, de la dissertation élégante et juste assez brève de cet ouvrage, permet par son sujet, le lustre, de revenir à l’enfance, en une manière proustienne, enfance d’un Roumain qui a choisi adulte la France. Et puisque j’évoque Proust, il me vient à l’esprit ce que dit Walter Benjamin de la phrase proustienne, qu’il considère comme une crue, la crue du Nil qui enfle et se dilate. Ici, c’est le lustre lui-même dont la lumière s’agrandit et se diffuse, de la petite enfance jusqu’à l’histoire de l’auteur depuis son installation à Paris en 1970 et la découverte d’un spectacle de Robert Wilson. Ce Roumain venu d’un pays angoissé, disons mieux, terrorisé par des années où l’éclairage était rationné par le gouvernement de Ceausescu, l’arrivée à Paris et ce premier spectacle parisien en sa débauche de feux et d’illuminations situent bien le contexte de ce livre important, qui déborde de beaucoup la stricte critique théâtrale.

Ma Jian (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Vendredi, 13 Mars 2020. , dans Les Chroniques, La Une CED


« La vie : on croit avoir tout vu comme par la vitre d’une voiture qui roule à travers les villes, les foules, les campagnes, mais les choses n’ont fait que défiler ».

« La mémoire se fourvoie dans une histoire imaginaire qui ressemble à la vie. La petite enfance, l’âge amoureux, les jours malheureux : c’est le lot de tous. Pour nous qui menons des existences identiques, qui vivons dans les mêmes logements, avons les mêmes idées, les mêmes sourires, une crise de larmes ou un fou rire sont salutaires »

(Ma Jian, Nouilles Chinoises)

Journaliste, photographe, peintre, poète, être multifacette et turbulent, à l’allure peu orthodoxe, en rupture du monochromatisme dans lequel est enfermé le peuple chinois, Ma Jian est sommé en 1983 de faire son autocritique publique dans le cadre de la campagne contre la « pollution spirituelle » lancée par Deng Xiaoping (successeur de Mao).

Écrits spirituels du Moyen Âge, en La Pléiade (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 12 Mars 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Écrits spirituels du Moyen Âge, Gallimard, La Pléiade n°643, octobre 2019, Édition et trad. latin, Cédric Giraud, 1210 pages, 63 €

Le film théologique (quel autre adjectif employer ?) de Terrence Malick, Tree of Life (une double référence explicite à saint Bonaventure et à la Kabbale) s’ouvre par deux citations ; l’une – écrite – du livre de Job (38, 4 et 7), l’autre – dite par une voix off féminine – sur les rapports de la nature et de la grâce, tirée d’un des livres les plus diffusés au monde, L’Imitation de Jésus-Christ, composée au XVe siècle par le chanoine Thomas a Kempis. Et – cela fait partie du génie de Malick – cette citation d’un texte vieux d’un demi-millénaire s’insère de façon naturelle dans la trame du film. On retrouve l’Imitation dans la magnifique anthologie de la Pléiade consacrée aux Écrits spirituels du Moyen Âge.

La constitution de toute anthologie pose la double question du goût personnel de celui qui l’assemble et du caractère représentatif des textes choisis. Le critère retenu ici est simple : la renommée de ces œuvres en leur temps, attestée à la fois par le nombre de manuscrits (d’une époque où la copie et la diffusion d’un livre sont des entreprises coûteuses et fastidieuses, nous avons conservé 512 manuscrits des Soliloques du pseudo-Augustin) et la présence d’un titre parmi les listes de lectures alors conseillées (p.XVII). L’agencement des textes est à la fois le plus simple et celui qui prête le moins à discussion : l’ordre chronologique.

L’Échelle de la mort, Mamdouh Azzam (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 12 Mars 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

L’Échelle de la mort, Mamdouh Azzam, trad. de l’arabe par Rania Samara, éd. Sindbab/Actes Sud, parution 8 janv. 2020, 12,80€

 

Moisson funeste

Le roman commence par une séquestration. Une trappe, invisible aux yeux, recouvre un trou creusé profondément, dans lequel la jeune Selma est quasiment enterrée vivante. Les geôlières (des femmes de sa propre famille), lacèrent les habits de leur prisonnière, emballent de la nourriture dans des lambeaux de ses vêtements, qu’elles lui jettent à travers la trappe. Ainsi, débute l’histoire tragique de Selma, son agonie atroce dans l’air pétrifié de la cave verrouillée. Nous apprenons lentement l’existence et la survivance de coutumes implacables, de la brutalité des privilèges d’une famille sur une autre, du droit de vie et de mort sur autrui. Des mœurs patriarcales sévissent en toute impunité, les jeunes filles « fautives » en meurent (dans des conditions épouvantables). Du reste, les familles sont bannies à jamais et déshéritées. Le jeune garçon – le promis de Selma -, éprouvé par le deuil, la perte de sa bien-aimée, subit un viol. L’auteur syrien Mamdouh Azzam, néanmoins, dédicace L’Échelle de la mort, son dernier livre, à son père.

Alors ? Tu m’aimes ?, Thomas Baignères (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 11 Mars 2020. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Alors ? Tu m’aimes ?, Thomas Baignères, Le Nouvel Athanor, décembre 2019, 85 pages, 15 €

 

Poème psychique

Ce qui est le plus intéressant pour le lecteur de poésie que je suis, et qui plus est, exprimant son sentiment et essayant de dégager de ses lectures des principes communs à la poésie, mon intérêt, donc, s’appuie sur la variété des propositions littéraires, dont certaines font univers. À ceci près que je ne disserte pas souvent sur les textes de notre patrimoine, mais plutôt sur ce qui est contemporain, ce qui paraît aujourd’hui, poésie vivante et souvent émouvante.

Ici, avec le livre de Thomas Baignères, je crois que je peux dégager une réflexion, organisée comme celle dont je parle à l’instant. Ainsi, j’ai trouvé trois mouvements distincts : un premier où l’ouvrage s’écrit à la manière d’un pamphlet, de slogans – que j’ai rapprochés dans mes notes de l’activité de l’imprimerie des Beaux-Arts de Paris –, des affiches produites en regard de la révolution de 1968, au travail graphique manifestant un goût pour la surprise, en un ton presque impertinent.