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Poésie

Duende, Jean de Breyne (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 01 Juillet 2021. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Duende, Jean de Breyne, Propos Deux éditions, avril 2021, 158 pages, 14 €

Il existe peu de poètes de la timidité, de la réserve psycho-sociale, puisque la timidité est avant tout une hantise de se montrer trop expressif, alors qu’une ardeur poétique craint de ne l’être jamais assez. Et Jean de Breyne (né en 1943) est un poète de la timidité :

« J’attends ce moment de dire

C’est dans la phrase

Il faut l’entendre

Cela n’est jamais facile

Cependant dite » (p.124)

Il existe, de même, peu de poètes du maintien, de la correction posturale, de la juste appréhension par un corps de ce qu’il lui convient de goûter ou éviter, car la même voix qui, dans le maintien, contrôle la tenue d’un corps entre les autres, donne corps (dans la poésie) à l’entre-tenue des mots. « Vous avez raison tous deux » s’empresse de dire Mr Jourdain aux maîtres à danser et de musique qui logiquement s’empoignent. Notre poète est pourtant un poète du maintien :

Ouvrière durée, Gilles Lades (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ouvrière durée, Gilles Lades, éditions Le Silence qui roule, avril 2021, 104 pages, 15 €

Le poème-paysage

Dès les premiers vers du recueil Ouvrière durée, l’on est pris par l’attention que porte le poète à son pays. Je dirais même que l’on y trouve le goût d’une espèce de road-movie à la française, devenant ici un road-poetry. Cette durée notamment signifie la patience qu’il faut avoir pour vagabonder dans les collines et les bois d’un pays que j’ai identifié comme un paysage du Lot. Vagabonder ne voulant pas dire paresse, mais au contraire travail au-dedans du poète en ses images, en son répertoire, en sa vision et son chant (champs devenant contrechamp du poème). Oui, un herbier, mais composé de plantes et de végétaux simples, abordables, pas exotiques, ceux d’une terre sobre et laborieuse. Car il s’agit tout à fait de l’habitation du poète, de celui qui veut habiter le monde en poète.

Cette durée bergsonienne, celle du sucre qui se défait lentement de sa compacité pour infuser dans un liquide, prend, sature, infuse justement la durée du labeur du poète. Écrire le paysage, c’est abandonner son temps pour le temps primordial du poème, de la naissance du texte au milieu d’une colline et de sa fin dans le livre. C’est une question d’infusion.

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 25 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Mercure de France

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata, juin 2021, 128 pages, 14,50 € Edition: Mercure de France

Modeste à se sentir « fissure pour engouffrer le peu », Vénus Khoury-Ghata, plume majeure de notre poésie et aussi romancière, vit de précipités minéraux à se poser la question de la solitude ou de l’écartement : « Eloignez-vous de ma fenêtre/ ne revenez qu’après la fermeture définitive de la planète/ quand mes os seront de pierre sèche/ mes gestes de vents retenus ». C’est que la présence des disparus peut être tenace : « il faut être très mort pour ne pas revenir ». Les dédicaces en disent long pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un enfermement mais d’une sorte de pause d’incompréhension où les mots creusent le sol, les arbres, les passants interrogés, le lecteur sans doute également.

La vie semble étrangement se passer par contumace et très à l’étroit dans l’étriquement des mots resserrés comme autant d’interpellations à tenter l’impossible écoute : « Ecoute/ écoute le terreau au-dessus de ta tête/ suis les dédales de l’obscurité pour ne pas t’égarer ». La vie, bonne conseillère donc, essaie de trouver la faille à tenter l’impossible : « on vit de ce qui ne peut mourir dit la vieille qui plume la volaille/ sur le seuil de la cuisine/ et elle s’essuie le visage avec un pan de son tablier maculé de sang ». L’idée de l’auteur est scénique d’autant qu’elle manie une poésie à la limite de la prose.

Ainsi parlait, W. B. Yeats (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 23 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ainsi parlait, W. B. Yeats, éditions Arfuyen, avril 2021, trad. anglais Marie-France de Palacio, 176 pages, 14 €

 

Exploration

J’ai été frappé par ce « ainsi parlait » du poète irlandais et prix Nobel de littérature, W. B. Yeats, car ce que relatent ses dits et maximes recoupe tout à fait des préoccupations qui me traversent. En effet la quête spirituelle de tout lecteur, de tout créateur aussi, en passe par cette aporie : figurer une abstraction dans des termes concrets, contenir dieu dans un langage qui par essence se prête à tout, alors que la divinité est seulement hauteur. Donc appuyer une recherche métaphysique sur la physique du langage, les règles de la prosodie. Et Yeats y arrive et contribue à donner de l’espoir pour ceux qui cherchent cette exploration du domaine de l’esprit.

Cependant, nous n’assistons pas à une opposition du profane et du sacré, mais à leur mélange : L’homme sous la lumière et Dieu, la tension terrestre sous la vivacité de l’existence céleste, activité poétique se distinguant de la pensée matérialiste. Donc, le chant, la psalmodie, la musique du poème.

L’Iris sauvage, Louise Glück (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 21 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallimard

L’Iris sauvage, Louise Glück, mars 2021, trad. anglais (USA), Marie Olivier, 160 pages, 17 €

 

Un prix Nobel glauquissime. Un traité de désespérance ?

Un Glück glauque, à se flinguer. Un livre du temps du Covid. Woolf revisitée.

L’Iris sauvage signe la responsabilité d’un dieu absent dans le naufrage humain. A force de plantes, dans un jardin souillé, entre aubépines et coréopsis, l’âme est bien sauvage, plaintive, inutile, sans place sans dieu, sans référent. Le jardin symbolique est poussif et la douleur là derrière la porte du vivre.

Glauque, inutile, l’âme ? Glück en est persuadée, avec sa froideur entomologique, sa désespérance de petite vieille qui scrute le ciel sans ciel, le jardin sans âme, et sa pauvre vie.

On dévide l’absurde ruban de l’existence sans existence, cloué dans un jardin, on n’ouvre pas les portes, on s’inhume avant que de naître.