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Les Livres

Les yeux fermés, Federigo Tozzi

Ecrit par Philippe Leuckx , le Samedi, 03 Septembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Italie, La Baconnière

Les yeux fermés (Con gli occhi chiusi), juin 2016, trad. italien Philippe Di Meo, 206 pages, 18 € . Ecrivain(s): Federigo Tozzi Edition: La Baconnière

 

Véritable renaissance, grâce à cette découverte, d’un auteur largement omis par les anthologies, oublié, sinon totalement inconnu. Né en 1883, décédé en 1920 de la grippe espagnole, l’auteur italien, d’origine siennoise, a publié nombre de livres, dont ces Yeux fermés, en 1919. Le Robert des noms propres, édition 2014, signale qu’il est mort à Rome, qu’il a fait connaître ses nouvelles par l’entremise des écrivains Borgese et Pirandello, qu’il a écrit, entre autres, Les Bêtes, Trois croix, et Le Domaine, et que sa stature de narrateur insigne lui est aujourd’hui reconnue à l’instar de Svevo.

Cet exact contemporain de Saba propose donc avec ce roman nourri d’autobiographie une histoire autant âpre que révélatrice d’une époque où la ruralité était encore d’un poids massif, où la province – ici la Toscane – déroulait ses codes ancestraux et signait les derniers sursauts familiaux et terriens, entre domaine à sauvegarder et quête presque impossible de l’amour. Le tout jeune Tozzi a connu toute une série de traits qu’il partage avec son antihéros Pietro : un père autoritaire, la latifundia menée à coups de violence et de dressage des ouvriers agricoles, un tempérament d’une timidité maladive, une quête de sentiments que sa nature a bien du mal à maîtriser sinon éprouver, etc.

Généalogie d’une banalité, Sinzo Aanza

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 03 Septembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman, Vents d'ailleurs

Généalogie d’une banalité, 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Sinzo Aanza Edition: Vents d'ailleurs

« L’homme n’est pas étanche, il est d’une porosité inévitable, sournoise mais inévitable »

Sinzo Aanza

 

« Le véritable salaire de la désobéissance civique arrive. Ne fermez pas votre radio, ne changez pas de chaîne, car l’histoire va s’écrire sous vos oreilles ce soir… »

La clef de Généalogie d’une banalité de Sinzo Aanza est dans cette phrase. Mais avant, il faut faire preuve de patience. Car la lecture de ce livre au style riche, truculent, impétueux, inventif, pantagruélique, veiné de mots que la langue française a rayés de son vocabulaire depuis belle lurette, est en elle-même une ode à la lenteur de par la complexité du récit, à la fois épopée, chronique sociale et subtile autant que prudente critique politique d’un pays, le Congo, quasiment quatre fois plus grand que la France. Et il faut bien l’admettre : notre ignorance de lecteurs occidentaux formatés par Tintin au Congo est inversement proportionnelle à l’insignifiante connaissance que nous avons de ce pays. Oh bien sûr, nous avons vaguement en mémoire le fait que le Congo fut la danseuse belge maltraitée du roi génocidaire Léopold II.

Crue, Philippe Forest

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Vendredi, 02 Septembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire

Crue, août 2016, 272 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Philippe Forest Edition: Gallimard

 

« Quoi qu’on perde, on a le sentiment étrange d’avoir tout perdu avec l’être ou l’objet qui disparaît »

D’un roman à l’autre, Philippe Forest écrit le deuil. Chaque livre est une page qui tente de reconstruire une présence, celle du petit être parti trop tôt, quatre ans, sa fille, oui, et chaque page ne comblera jamais le manque.

« Ce fut comme une épidémie » nous dit l’incipit de Crue, le dernier roman de Philippe Forest. Ce fut comme une épidémie, un rapport et non un roman, une sorte de récit baroque, qu’il a voulu cette fois pour énoncer un mal qui se répand parmi les hommes, conséquent à la disparition des êtres, pour lequel ils n’auront jamais aucun médicament, un véritable fléau, « fatal à certains ». Pas pour tous. Un fléau qui nous engloutit tous, et que sans doute personne sauf lui n’en voit rien…

Il y eut pourtant tant de signes…

Il n’est pas un hasard si un jour il prend conscience qu’il a choisi cette ville, ce quartier, une cité fantôme, parce qu’au fond, si on y réfléchit c’est toujours chez des morts que l’on vit, des gens qui disparaissent et qui laissent leur place à d’autres…

Une Nuit d’Eté, Chris Adrian

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 02 Septembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Albin Michel

Une Nuit d’Eté, janvier 2016, trad. anglais (USA) Nathalie Bru, 464 pages, 25 € . Ecrivain(s): Chris Adrian Edition: Albin Michel

 

 

Chris Adrian (1970) fait partie de la nouvelle garde littéraire américaine : adoubé par The New Yorker en 2010, il a vu son troisième roman, The Great Night (2011), accueilli par de nombreuses louanges des deux côtés de l’Atlantique (The Guardian allant jusqu’à qualifier Adrian de « romancier le plus extraordinaire de notre temps ») ; celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’une (très bonne) traduction en français, l’occasion idéale de juger sur pièce. Et force est de convenir que, à quelques passages près, Adrian ne peut que convaincre le lecteur par sa collision magnifique entre le réalisme et le féerique, entre la petitesse des vies et la grandeur des rêves. Car si le roman est vendu comme une réécriture du Songe d’une Nuit d’Eté de Shakespeare, il s’agit plutôt de la rencontre, dans le Buena Vista Park de San Francisco, entre le petit peuple des fées, dirigé par Obéron et Titiana, et une poignée de mortels, dont trois principaux, avec ce que cette interaction peut donner de littéralement fantastique.

Et j’ai su que ce trésor était pour moi, Jean-Marie Laclavetine

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Vendredi, 02 Septembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Et j’ai su que ce trésor était pour moi, janvier 2016, 288 pages, 19 € . Ecrivain(s): Jean-Marie Laclavetine Edition: Gallimard

 

« Le jour où l’un de nous arrive sans une histoire à raconter, l’autre est tenu de le quitter sur-le-champ, sans explication, sans regret, sans retour. D’accord ? »

 

Et j’ai su que ce trésor était pour moi, paru cette année chez Gallimard, est un roman sur le sentiment amoureux qui se raconte des histoires comme pour alimenter à chaque instant le feu d’un amour clandestin, contrarié par les mensonges, les silences, d’un amour physique dévorant l’autre, comme une évidence, mais aussi d’un amour sur et par la littérature.

Comme si la fiction avait ouvert les grilles des cages, du mur de l’enceinte pour mieux émerger, « ivres de mots, sans les draps qui étaient le camp de base », de belles histoires. L’histoire d’une rencontre dans les plis de la guérison, dans le lit de la vie. Certes, vivant en amoureux de passage, il y en eût des étoiles filantes, les « vrais décevants », les magnifiques, les transparents suffocant dans la vaste mer de l’oubli, qui certains soirs dans son cortège d’ombres « donne la nausée avec ses balancements incessants, son écume noire, ses phosphorescences glauques ».