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Les Livres

Désordre du jour, Henri Droguet

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 30 Novembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Désordre du jour, novembre 2016, 168 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Henri Droguet Edition: Gallimard

 

 

Henri Droguet poursuit sa route en franc-tireur. Dans la poésie francophone du temps, il reste solitaire car inclassable (et vice versa). Plus son œuvre avance, plus elle devient profonde et vivace. Poète « classique » – c’est-à-dire travaillant de l’intérieur de l’histoire de la poésie – il crée dans une tension permanente entre tradition et révolution, et se dresse contre la vulgarité contemporaine de la fabrication et de l’usage des mots. Pour lui, la vie véritable n’est pas dans un ailleurs. Elle est dans notre banalité ordinaire, un peu dérisoire, un peu magique également, comme le sont les beaux moments de lumière sur la mer. Et ce, même si comme le rappelle le liminaire du livre emprunté à Karl Kraus, « plus on regarde de près les mots, plus ils vous regardent de loin » (Karl Kraus). Reste cependant à tirer des bords. Qu’importe si « canardent » un vent désordonné ou le fracas des mouvements urbains.

Pas bouger, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 30 Novembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Actes Sud/Papiers

Pas bouger, 56 pages, 9 € . Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers

 

« Soit le point A, soit le point B »

Il y a A, un homme qui marche parce que « ceux du départ » lui ont dit que « là-bas » il rencontrera un, une cycliste. C’est un ordre, une mission, le but peut-être de sa vie. Il progresse droit devant, en direction du coucher du soleil. Il y a B, un homme figé, immobile qui, lui, attend le signal qui l’autorisera à entrer dans le mouvement. Il est celui qui répète dans l’économie maladroite, sans respect de la syntaxe : « Pas bouger ». Commandement qu’il se donne à lui-même, dans la répétition, dans un refus buté de tout autre vécu, semblable à un soldat de terre cuite de l’empereur Qin Shi Huang.

Ils se rencontrent, s’éloignent l’un de l’autre puis se retrouvent, font un bout de chemin ensemble et à nouveau se séparent comme nous le faisons dans notre vie. Le jour et la nuit se succèdent selon la construction de la pièce, en 6 parties ou scènes. Chacun d’entre eux affirme son point de vue sur la vie. D’un coté le Mouvement, la découverte du monde (p.45) et de l’autre la Contemplation. Cosmique. B dit à A (p.31) :

Meilleur ami, meilleur ennemi, James Kirkwood

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Novembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Joelle Losfeld

Meilleur ami, meilleur ennemi (Good Times/Bad Times), octobre 2016, traduit américain Etienne Gomez, 435 pages, 25 € . Ecrivain(s): James Kirkwood Edition: Joelle Losfeld

 

 

Ce roman repose sur un art consommé de la narration. Dans les moments drôles – et il y en a beaucoup –, les passages tristes, les cassures douloureuses, James Kirkwood montre une maîtrise absolue du « storytelling » et nous mène par le bout du nez à travers l’histoire de Peter, Jordan et M. Hoyt. Pas un instant de faiblesse ne vient ternir cette affaire, ce livre offre quelques heures d’une lecture haletante, passionnante, avec des éclats de rire, du suspense, des émotions profondes.

Peter est en prison. On apprend tout de suite qu’il est là pour accusation de meurtre. Son avocat lui demande le récit des événements qui l’ont conduit au drame (dont nous ne savons rien). C’est donc une écriture en flashback qui tisse ce roman. C’est cette situation narrative qui est source de la tension de ce roman : on sait un peu, mais quoi ? Qui ? Pourquoi ?

Au pays de la fille électrique, Marc Graciano

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) , le Mardi, 29 Novembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions José Corti

Au pays de la fille électrique, août 2016, 160 pages, 19 € . Ecrivain(s): Marc Graciano Edition: Editions José Corti

 

Dans son nouveau roman, paru aux éditions José Corti, tout l’art envoûtant de Marc Graciano réside dans cette façon singulière qu’il a d’épouser l’épaisseur du visible par la grâce de la description. Existence muette de l’inconfort, rivière de l’élaboration du vivant qui cherche la rédemption par la quête des origines et des métamorphoses. Au pays de la fille électrique est un conte magique, charge électrique intense qui vous laissera inerte entre la vie et le monde du mal séparés par les lumières incandescentes, les entrelacs du rêve et de la réalité où l’ambiguïté de la tragédie contribue au caractère dérangeant et insoutenable de la narration.

Berceau de la vie, lieu et lien « placentasmique » du renouveau, mais pas dans le même corps ! Pas dans la même tête, mais dans un monde qui sans cesse a besoin d’un nouvel être telle une bûche dans une cheminée. Pour que le feu brûle, pour que la flamme des désirs crépite par une couleur sang dans le couloir de la mort, dans la cheminée de l’immortalité. Marc Graciano nous parle du « viol-rance » de la violence, violence immémoriale de l’humanité, révélée par le théâtre macabre des bêtes assoiffées de haine envers les femmes ; comme pour mieux se libérer de leurs semences maudites.

Elle lui bâtira une ville, Raj Kamal Jha

Ecrit par Martine L. Petauton , le Lundi, 28 Novembre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman, Actes Sud

Elle lui bâtira une ville, octobre 2016, trad. anglais (Inde) Eric Auzoux, 411 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Raj Kamal Jha Edition: Actes Sud

 

Avant le livre, il y a L’auteur. Journaliste expérimenté, directeur de la rédaction à l’Indian Express, il avait écrit (2008, Actes Sud) un précédent roman, Et les morts nous abandonnent. D’un tel chef d’œuvre, tellement à part, à plus d’un titre bouleversant, dire – et, si vous ne lisez qu’un livre… apparaissait comme allant de soi, jusqu’à ce second ouvrage, presque 10 ans après. Autre pur chef-d’œuvre totalement dans la veine du précédent, avec sujet, cadre, architecture du récit, et leur dose de nouveautés, mais toujours dans ce regard sur l’Inde actuelle – lorgnettes croisées du fantastique, du rêve, du reportage. Écriture (et traduction des plus pertinentes), philosophie ; sociologie aussi, qui relèvent de cette magie venue d’une – très grande – littérature indienne, contemporaine, ou (et) intemporelle… Sans oublier, également, le film-documentaire, qui passe, implacable, entre les mailles de cette formidable histoire déjantée. Jamais bien loin de l’écrivain bouillant dans son imaginaire, le reporter, le citoyen, qu’on devine engagé, de l’Inde d’aujourd’hui ; celui qui donne à voir – autrement – et qui pointe : « une montagne d’ordures ; six canalisations d’égouts géantes qui attendent d’être installées Dieu sait où. Elles servent de domicile à des mères et à leurs bébés, qui viennent y dormir après leur journée de labeur sur un chantier voisin… ».