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Red Voluption, Roman ultra-sensoriel, Hélène Chabaud

Ecrit par Patryck Froissart 02.10.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Red Voluption, Roman ultra-sensoriel, Edition BoD, mai 2017, 261 pages, 14,50 €

Ecrivain(s): Hélène Chabaud

Red Voluption, Roman ultra-sensoriel, Hélène Chabaud

 

Dans le domaine de la lecture, il est des rencontres déconcertantes. Le livre d’Hélène Chabaud en est un remarquable exemple…

L’auteure le classe en sous-titre dans le genre du roman. Provocation ? Incitation à réfléchir sur ce qu’est un roman ? Quoi qu’il en soit, on pourrait parodier Magritte et affirmer que « ceci n’est pas un roman ».

Quoique…

Justement…

Depuis Robbe-Grillet…

Tranchons ! Ceci est un roman, puisque son auteure en a voulu ainsi.

Red Voluption a bien son « héroïne », Elvire Aurouge d’Amarante.

Elvire est présente, ultra-présente, archi-présente tout au long du roman. Red Voluption est le roman d’Elvire, qui en est le seul personnage, ou presque. Les protagonistes potentiels n’apparaissent que vagues, flous, quasiment inexistants, et pour cause : ils n’ont guère d’importance pour Elvire.

Red Voluption est somme toute un portrait, un « caractère » qui s’étale sur deux-cent-soixante et une pages. Tout est centré sur Elvire, tout tourne autour d’Elvire, dont la prime présentation annonce et résume dès la deuxième page la personnalité :

Elle, c’est Elvire. Ecrivaine touchante et sexy qui appréhende la vie avec beauté, rire et flambées de folie.

L’action est simple, l’intrigue est réduite, le lieu en est Paris, et le temps celui d’un retour à la maison à la fin de la journée : unité presque théâtrale. Car, avant toute chose, Elvire est parisienne. Paris et elle sont indissociables. C’est le prétexte, pour l’auteure-narratrice, à une plongée délirante et sensuelle dans un Paris by night en symbiose totale avec son Elvire.

Elle a l’impression de bouffer la vie toute crue, de copuler avec la poésie haletante de l’Île de la Cité…

Elvire est belle, séductrice, pourvue d’une puissance d’attraction phénoménale.

Nous sommes en train de parler de rien de moins qu’une bombe. […]. Bref, le genre de poupée à consommer sur place […]. Une ligne haute tension.

Elvire est une jouisseuse. Avec elle, Hélène Chabaud jouit de faire monter au fouet les thèses d’Epicure à la puissance dix. Car il ne s’agit pas ici d’un hédonisme passif, mais d’une recherche décidée, objectivée, de « ce qu’il y a de plus beau, de plus haut, de plus fort ».

Elvire, par exemple, se délecte des visions, des couleurs, des odeurs qu’offre la nature en plein Paris, et s’en enivre au point d’en savourer les subtilités les yeux fermés et de percuter un chêne…

Elvire en marche dans Paris pense à ce qu’elle est, à ce qui est, à ce qui doit être ou ne pas être (c’est la question essentielle dans l’analyse, ou plutôt la psychanalyse, à laquelle l’auteur soumet son personnage).

Comme vous le savez maintenant, pour en arriver à ses conclusions de haute voltige philosophique […], notre Miss s’est penchée très sérieusement sur la profondeur de son âme.

Elvire, écrivaine en marche dans Paris, pense à ce qu’elle écrit, à sa raison d’écrire, à sa façon d’écrire, à son besoin d’écrire.

Si Elvire écrit de toute sa fièvre, c’est parce qu’une sacrée tentation l’envahit de souffler la bourrasque de la vérité.

L’écriture est l’une de ses sources de jouissance.

Alors, ne pouvant pas faire l’amour vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle écrit.

Poursuivant sa marche, Elvire philosophe, rêve, se souvient, évoque Freud, jusqu’à son arrivée à sa destination, la grande maison où elle est née et réside, l’Isolela, « son Palais Royal ».

Son retour en cet ombilic donne lieu à une délirante reconstitution de l’arbre généalogique de l’héroïne, sous la forme d’une galerie hallucinante de portraits d’ascendants excentriques, tous et toutes aussi décalés, chacun dans son époque, les uns que les autres.

La description détaillée du lieu renforce le caractère d’Elvire. Tout y est en effet en accord avec l’égocentrisme voluptueux du personnage. Le moindre détail de la « capiteuse Isilela » concourt à procurer à sa propriétaire les sensations voluptuaires que réclame son tempérament.

Les splendides tapis persans, chinois ou indiens qui ornent le parquet en déployant leurs cieux damasquinés fracassants de roses extatiques, de violines lévitants, d’oranges lubriques ou d’absinthes vertigineux sont dignes des palais des maharadjahs…

Tout est à l’avenant.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté ».

Boissons, mets, couleurs, mobilier, bibliothèque, et, de façon centrale, le lit luxueux où s’accomplissent les ébats conjugaux avec un mari au physique évidemment parfait (correspondant à un poil près aux critères contemporains de la beauté masculine cinématographique), tout, absolument tout, est idéalement fait pour Elvire.

Il est temps d’aller s’embusquer, grâce quel lit, sur le terrain d’atterrissage velouté qui lui sert de pieux. A poil. Histoire d’aérer un peu sa remarquable anatomie. Il faut dire que l’impudeur lui va à ravir. Et de se lover dans un guet-apens de draps de soie nacrés, aussi doux que de la poudre de lin…

On aura remarqué dans cet extrait le jeu de mot, l’humour, et l’expression poétique. Le livre fourmille de calembours, de quiproquos, de boutades, de concettis, de traits d’esprit, qui jaillissent comme pétarades au milieu d’un style volontairement composite associant expressions populaires à la mode des jeunes d’aujourd’hui et écriture classique à plusieurs registres.

Parce qu’il faut bien conclure, on dira, en se demandant jusqu’à quel point Elvire est le double schizophrénique d’Hélène, qu’on assiste à un feu, à un jeu, à un déferlement d’artifices stylistiques ayant pour finalité de mettre une distance là où il n’y en a pas entre ce qu’est et ce que voudrait être l’auteure…

 

Patryck Froissart

 


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A propos de l'écrivain

Hélène Chabaud

 

Hélène Chabaud est psychanalyste, psychosomaticienne et spécialisée en psychogénéalogie. Egalement collagiste et écrivain, passionnée d’art, elle a été membre de l’institut d’éthique contemporaine à Paris et élève de l’Académie Charpentier.

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)