Identification

Les Livres

Mauvaise passe, Clémentine Haenel (Par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 20 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, L'Arpenteur (Gallimard)

Mauvaise passe, août 2018, 128 pages, 11,50 € . Ecrivain(s): Clémentine Haenel Edition: L'Arpenteur (Gallimard)

 

« Je conçois de le tuer, lui. Tuer celui qu’il est quand il se fait sombre et cassant, celui qui m’inquiète trop : quand il n’est plus en contact avec la vie, que ça le rend hostile. J’ai des sursauts de haine, mes doigts glissent le long de mes hanches et râpent ; ça colle et ça claque. J’en ai marre de ces mains qui sont des fontaines ».

Mauvaise passe est un roman électrique, violent, tremblant, hurlant. Un petit livre écrit au scalpel qui déchire le monde et l’art littéraire, et que pourrait saluer Georges Bataille. Mauvaise passe, comme on le dirait d’un corps marchandé, d’un corps qui se livre aux déchaînements des hommes – Je nettoie les plaies que la nuit a laissées sur mes côtes, et regarde mes seins, qui ont bleui–, ou d’un navire qui se risque dans un chenal de tous les dangers. Mauvaise passe est un roman qui sent l’alcool, le tabac, et le sperme, un roman qui se livre dans l’errance, et qui claque comme une paire de gifles, des coups et des mots. Un roman souffrant, et qui s’offre, comme le revendique la narratrice, un roman échevelé, glacé et glacial.

Marguerite Duras, Romane Fostier (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 19 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Folio (Gallimard)

Marguerite Duras, septembre 2018, 304 pages, 9,40 € . Ecrivain(s): Romane Fostier Edition: Folio (Gallimard)

 

Les Incursions secrètes de Duras

Dans l’œuvre de Duras chaque mot est une incantation – celui qui appelle l’esprit le fait apparaître – et l’auteure fit jaillir des lieux secrets contre lesquels on se penche, au bord de rien. Il y a là des nids d’errance, des espaces de repli qui sont comme des angles morts du monde à l’intérieur de soi.

Et Romane Fostier en remonte l’histoire à travers celle de Duras – de l’enfance rebelle en Indochine jusqu’à sa retraite à Neauphle-le-Château. Pas de scoop dans cette biographie mais cette façon de montrer comment les bourgeons portent des écailles pour renvoyer la lumière en éclats. Le chemin de Duras est un espace aux lisières presque closes, une sorte d’utopie dont l’accès est blotti derrière des paupières où se cachent bien des douleurs.

La biographe les pénètre pour montrer comment la romancière et cinéaste sut lâcher les freins, fendre l’œuf du monde, s’inclure dans l’élan jusqu’à pulvériser les restrictions du regard, accueillir l’éperdu dans la chambre flottante de l’esprit rebelle et acéré.

Schopenhauer, Thomas Mann (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 19 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Langue allemande, Buchet-Chastel

Schopenhauer, mars 2018, trad. Jean Angelloz, 236 pages, 12 € . Ecrivain(s): Thomas Mann Edition: Buchet-Chastel

Schopenhauer lu par Thomas Mann : à n’en pas douter, nous sommes en présence d’un éminent exemple de ce qu’on appelle « la critique des maîtres », très loin de la grisaille journalistique ou des rodomontades des gloses universitaires. Les premières lignes de l’opuscule (« Notre joie en face d’un système métaphysique, notre satisfaction en présence d’une construction de la pensée, où le monde trouve son organisation spirituelle dans un ensemble logique, cohérent et harmonieux, relèvent toujours, à un degré éminent, de l’esthétique ; elles ont la même origine que le plaisir, que la haute satisfaction, toujours sereine finalement, dont nous enrichit l’activité artistique quand elle crée l’ordre et la forme et nous permet d’embrasser du regard le chaos de la vie en lui donnant la transparence ») déjà installent sur les sommets cette rencontre entre Schopenhauer et son « suffisant lecteur ». Avec une déconcertante simplicité, l’auteur de La Montagne magique surplombe l’œuvre du philosophe, en rappelant sa dette envers Platon, qui distinguait les choses de ce monde, images mobiles, en perpétuelle mutation, des réalités éternelles, et lesdites réalités, les Idées, immuables. Cette distinction platonicienne n’est pas une théorie poussiéreuse comme on en trouve chez Aristote. Par elle, Platon préparait le terrain, d’une part, à la démarche scientifique (où l’on recherche des lois simples, abstraites, derrière la multiplicité des phénomènes concrets), d’autre part au christianisme à venir.

Le Chien rouge, Philippe Ségur (par Christelle d'Hérart-Brocard)

, le Mercredi, 19 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Buchet-Chastel

Le Chien rouge, août 2018, 240 pages, 17 € . Ecrivain(s): Philippe Ségur Edition: Buchet-Chastel

Quinquagénaire, Peter Seurg est professeur de droit à l’université. Il jouit d’une bonne situation, celle que ses parents ont pour lui toujours ambitionnée, puisque malgré son appétence, il aurait été tout à fait inconvenant qu’il se lance dans une carrière artistique, et pour preuve de l’absurdité d’une telle fantaisie : les artistes meurent jeunes (dixit sa mère). Mais le narrateur s’ennuie à mourir et présente tous les aspects du dépressif désabusé, observateur lucide d’un monde trop simplifié, trop connecté, dans lequel les idées sont fades, préfabriquées et délétères, et où tous les biens accumulés finissent par posséder, à leur insu, leurs propriétaires :

« Néanmoins, je détestais d’un même élan ce ramassis de mensonges et de dissimulation qui faisait l’esprit bourgeois […]. Cette certitude de soi et de ses convictions, ce goût des convenances et du paraître, cette obsession pour la sécurité, la propriété et le qu’en-dira-t-on, cet instinct grégaire et cette sacralisation des dogmes, de la morale et des traditions, des héritages jamais remis en question ».

« Chaque jour, je constatais que des bracelets de fer supplémentaires se refermaient autour de mes chevilles et que des chaînes aux maillons plus épais me reliaient à une énorme ventouse numérique, à des machines vampires qui, depuis la Silicon Valley, consommaient mon existence en me laissant croire qu’elle m’appartenait ».

Après la nuit après, Thierry Radière (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 19 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Après la nuit après, éd. Alcyone, coll. Surya, mai 2018, 67 pages, 18 € . Ecrivain(s): Thierry Radière

 

Le miel se fabrique ici dans la ruche des songes, Après la nuit après, juste au sortir du Rêve. La singularité de ce nouveau recueil de Thierry Radière se tient, non entre chien et loup mais, à ses antipodes analogues, dans l’entre-deux communicant du sommeil en phase terminale et du réveil qui n’a pas encore tout à fait mis pied à terre (« (…) cet instant-là entre deux nuits où le jour (sera) court (…) »).

La situation du paroxysme plonge l’auteur et les lecteurs de ces lignes dans le plaisir de l’Écrire, passerelle sous laquelle court l’appel de la lumière, suspendue dans « la nuit en apnée ».

Nous connaissions L’Expérience de la nuit ainsi que Marcel Béalu nous l’a retranscrite – pour citer en exemple un auteur s’étant toujours tenu, comme ici et souvent Thierry Radière, dans l’entre-deux créatif du rêve et du réel –, son écart énigmatique fascinant dans l’entre-deux où se meut le mystérieux pouvoir des mots quand les clés de la poésie y forgent des portes entrouvertes.