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Les Livres

Une immense sensation de calme, Laurine Roux (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Une immense sensation de calme, Laurine Roux, Les éditions du Sonneur, mars 2018, 121 pages, 15€

 

ENCRE MIRACULEUSE, d’une sensation de calme, pour ainsi dire : atemporelle, comme il en existe, en émane, en surgit, autour des chats, à l’approche des cabanes, à la vue d’un livre (parfois), dans le halo cireux des cierges, à fleur un rai de pénombre, au pied des arbres fruitiers, aussi, dans le mûrissement amène d’une journée d’été, en lisière des forêts, le bruissement sismique d’une croissance ininterrompue ; sensation lacustre, que procure la lecture furtive, d’une traite, d’« Une sensation de calme » -, premier roman rédigé d’une plume frémissante, féminin palpable trempé de peauésie, qui jamais ne vacille, d’une seule flamme pourrait-on dire, pure et humble et scintillante et concrète depuis le cœur sans l’ombre d’une mièvrerie, « c’est ainsi » (dit-elle) « c’est bien », refrain ponctuant un livre de sagesse, livre de concorde de l’ivresse et du renoncement, de la vie et de la mort, perle brute essaimant ses sortilèges lents de rivière aux mains de Laurine Roux.

Forêt obscure, Nicole Krauss (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, L'Olivier (Seuil), La rentrée littéraire

Forêt obscure (Forest Dark), août 2018, trad. américain Paule Guivarch, 282 pages, 23 € . Ecrivain(s): Nicole Krauss Edition: L'Olivier (Seuil)

Nicole Krauss est de retour. Elle est de ces écrivains qui ont choisi la rigueur, l’exigence de la littérature. Ce roman est fascinant, bâti autour de deux personnages insaisissables, en quête d’une impossible et évanescente identité. La narration alterne les pistes, celle de Epstein, vieil homme « perdu » – au sens propre du terme, il a disparu de sa résidence à Tel Aviv – et Nicole, la narratrice des chapitres qui lui sont dédiés, dans laquelle Nicole Krauss semble avoir mis beaucoup d’elle-même, jusqu’à son prénom. Ces deux personnages, qui ne se connaissent pas, ont dès le début quelque chose en commun : leurs allers-retours entre leurs résidences, New-York et Tel Aviv.

Tel Aviv, d’une présence puissante tout au long du roman, avec ses personnages étranges, souvent un peu fous, ses rabbins savants et drôles, ses habitants pleins de vie malgré la menace permanente de la mort qui guette sous la forme des missiles lancés régulièrement de Gaza. Et, dans Tel Aviv, se dresse un personnage-clé du roman : l’Hôtel Hilton, une masse de béton de style brutaliste, hideux mais toujours empli de touristes du monde entier car au bord de la Méditerranée et de ses plus belles plages. L’Hôtel Hilton, tellement central dans ce récit que nous avons droit à trois photos en noir et blanc du bâtiment, l’Hôtel Hilton, ses rencontres improbables et ses secrets. Le Hilton de Tel Aviv, objet d’obsession pour Nicole :

Les mères qui blessent, Se libérer de leur emprise pour renaître, Anne-Laure Buffet (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Les mères qui blessent, Se libérer de leur emprise pour renaître, Eyrolles, juin 2018, 163 pages, 18 € . Ecrivain(s): Anne-Laure Buffet

« Quoi de plus parfait aux yeux d’un petit enfant que ses parents ? ». Il est réconfortant, même dans certaines circonstances extrêmes, de croire la vox populi qui prétend que les femmes posséderaient dans leurs gènes « l’instinct maternel ». Dans les livres saints on vante « La Vierge Marie », symbole de la mère sacrificielle. D’innombrables poèmes et chansons populaires célèbrent la mère dévouée à ses enfants. Le jour de la fête des mères, on incite les enfants à la glorifier. Quelle belle image pieuse ne nous a-t-on exaltée si longtemps ! La mère était intouchable jusqu’à, à certaines époques, offrir une médaille aux mères de familles nombreuses. Combien de livres pathétiques nous content les mères admirables qui ont donné naissance à des fils prodiges. Comment alors certains enfants ne se sentiraient-ils pas exclus de la normalité et même coupables de ne pas vouer à leur mère un impératif d’amour sans réserve ?

Un enfant qui ne reçoit pas à sa naissance un minimum d’amour et d’attention des personnes qui en ont la charge ne peut survivre. Alors, pour pouvoir se maintenir existant, l’enfant va accepter l’attitude de ces parents comme normale. « Il cherche à leur ressembler ou au moins à leur convenir ».

Dans l’attente de toi, Alexis Jenni (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Dans l’attente de toi, L’iconoclaste, 2016, 246 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Alexis Jenni

 

Les mots échappent. Les mots ne suffisent pas à l’auteur pour dire son amour ; rien ne l’universalise convenablement.

Cette obsession ravira l’intrigue que suscite ce roman qui traverse les siècles dans l’admiration des grands peintres : « J’aime chez toi cette inflexion de la courbe de ton corps, qui donne sa forme et son élan, comme la courbure d’un arc qui donne puissance et ressort ; et je sais gré à Bonnard de me montrer cet endroit exactement, par cette tache de lumière intense qui vibre au centre de ce tableau ».

En psychologie, s’il s’agissait de suggérer une personne à travers une autre, on appellerait cela un « transfert ». Ici, c’est l’idée même de l’abstraction de l’Amour qui est « transférée » dans quelques œuvres d’Art certes bien choisies et certainement pas au hasard : « Ce sont des figures, rondes et molles mais dentées, qui aboient à la base d’un crucifix où pend quelque chose d’encore vivant ». C’est de cette façon qu’Alexis Jenni ramène dans son sujet la référence au grandiose Francis Bacon, le peintre des extraordinaires « portraits du pape Innocent X » d’après celui peint par Velasquez.

Socrate et Jésus. Passeurs d’universel, Anne Baudart, par Gilles Banderier

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Socrate et Jésus. Passeurs d’universel, Anne Baudart, Le Pommier, février 2018, 364 pages, 10 €

 

Deux innocents condamnés à mort et exécutés. Quelle que soit la manière dont on scrute et retourne les textes qui nous sont parvenus, on ne peut résumer autrement la mort de Socrate et celle de Jésus. Des morts aux modalités différentes : Socrate absorbe dans sa cellule un poison insidieux, entouré de ses fidèles (l’absence de Platon, qui n’est pas sans évoquer les reniements de Pierre, est troublante) ; Jésus meurt seul, à la vue de tous mais abandonné de tous et dans des souffrances indicibles : la crucifixion, que les Allemands ont redécouverte dans les camps de la mort, avant que l’État islamique ne la pratique à son tour, est, avec le bûcher et la pal, un des plus monstrueux supplices inventés par l’être humain, dont l’imagination en ce domaine (comme en d’autres) est fertile. L’agonie sur la croix durait plusieurs heures, voire plusieurs jours, et si celle de Jésus fut relativement brève (quelques heures), ce fut parce qu’il avait été réduit à l’état de loque sanguinolente par les tortures qui avaient précédé la mise en croix. Deux morts dont l’ombre s’est étendue sur toute l’Histoire à venir. Des bibliothèques ont été remplies de commentaires sur les moindres faits et propos qui nous ont été rapportés, en particulier les derniers mots de Socrate et de Jésus.