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Les Livres

Un bâtard en Terre promise, Ami Bouganim (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Israël

Un bâtard en Terre promise, Editions La Chambre d’Echos, février 2018, 173 pages, 16 € . Ecrivain(s): Ami Bouganim

La parution de Sérotonine, de Michel Houellebecq, fut l’occasion de rappeler ce principe bien connu des études littéraires : la distinction entre auteur et narrateur. Non, ce n’est pas Houellebecq qui a critiqué telle ville de l’Ouest de la France, mais son narrateur ; de même que c’était le narrateur d’Extension du domaine de la lutte qui affirmait que « Rouen a dû être une des plus belles villes de France ; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution. Je ne sais pas qui est le maire, mais il suffit de dix minutes de marche dans les rues de la vieille ville pour s’apercevoir qu’il est complètement incompétent, ou corrompu » (chapitre 3).

D’un côté, on ne peut s’empêcher de penser que cette distinction entre auteur et narrateur dégage un net parfum de sophistique, qui permet à l’auteur d’écrire ce qu’il a envie d’écrire et de s’abriter ensuite derrière un être de papier. Mais, d’un autre côté, admettre l’existence d’un narrateur permet de résoudre d’inévitables contradictions, voire des apories (qui est le porte-parole de l’auteur, à supposer qu’il y en ait obligatoirement un ?). Le narrateur des Particules élémentaires ou de Sérotonine est et n’est pas Michel Houellebecq. Du point de vue de la logique aristotélicienne, c’est difficile à admettre, mais si Aristote jugeait la fiction supérieure à l’histoire au point de vue de la vérité, il aurait pu en dire autant de la fiction par rapport à la logique.

… commence une phrase, Michaël Glück (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Lanskine

… commence une phrase, février 2019, 63 pages, 13 € . Ecrivain(s): Michaël Glück Edition: Editions Lanskine

Au commencement du Langage le souffle du silence rumine/malaxe la phrase, avant l’articulation du mot, avant toute énonciation. Ici le titre est ponctué de ce silence de la Langue, avant toute manifestation textuelle : …commence une phrase. L’ante-sémantique, l’ante-syntaxe vont puiser le souffle dans le corps enfoui de la lettre et de l’esprit, la chair du Dire sera extirpée/modelée par le regard entier respirant en soi et au-dehors de soi, par une totalité de l’être qui en émettra les bribes brassées d’un univers total intégré. Ainsi… commence la phrase : par sa propre articulation, par sa propre énonciation et les prismes de l’écriture diffusés dans la blancheur expérimentale, tels corps nus âmes mises à nu, de l’Écrire ausculté en abyme dans la danse poétique. Sur le rythme d’une « ritournelle » entonnée très doucement sur le bord des lèvres du murmure :

« Comme une simple ritournelle, une chanson douce, un manège

des jours, en un lieu, devant une fenêtre, une phrase commence

sur les lèvres et très vite je sais, qu’elle a commencé

depuis longtemps… et me tourne la tête ».

Le Dernier cerisier, John Taylor (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Dernier cerisier, John Taylor, éditions Voix d’encre, mars 2019, ill. Caroline François-Rubino, trad. Françoise Daviet-Taylor, 88 pages, 19 €

 

L’arbre

Le Dernier cerisier de John Taylor présente divers intérêts. D’une part, parce que ces poèmes courts – et en un sens de nature orientale, dans la mesure où l’art japonais par exemple ne travaille pas sur le motif, mais le réinvente à partir d’une observation préalable – ont cette qualité de simplicité d’expression, celle d’une littérature dense et légère. Du reste, que ce livre s’accompagne d’aquarelles – qui m’ont laissé l’impression de fluidité, avec parfois la rudesse de traits charbonneux – n’est pas indifférent à la relation que j’ai eue au poème. Ce recueil est à la fois gazeux, éthéré et paradoxalement tendu par des images obsessionnelles : celles d’un arbre. Un cerisier qui se décrit et se déconstruit comme dans le très fameux travail autour de l’arbre de Piet Mondrian, lequel est passé d’un pommier, à des formes régulières de carrés de couleurs primaires.

Vercingétorix, Jean-Louis Brunaux (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin , le Mardi, 30 Avril 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard, Histoire

Vercingétorix, février 2018, 330 pages, 22 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Brunaux Edition: Gallimard

 

Nos connaissances sur la Gaule non provinciale, du temps où elle perdit sa libre indépendance pendant le premier siècle avant notre ère, relèvent essentiellement des témoignages de guerre (les Commentarii de bello gallico) que Jules César façonna entre les années 58 et 52. Ce fut la période de ses interventions militaires poursuivies dans presque toutes les régions de ce vaste territoire composite et peuplé, dont il rendit compte point par point au sénat romain. Fédérateur de la résistance ultime face au futur dictateur romain lors de ses incursions en Gaule dite « chevelue », Vercingétorix apparut au final comme le dernier plus sérieux adversaire militaire que le proconsul trouva sur son chemin avant de soumettre à Rome l’ensemble de l’ouest européen continental. Mais la Guerre des Gaules, écrits uniques rapportant ces épisodes très largement à la gloire de leur rédacteur, suffira-t-elle jamais à raconter la vérité objective de cette courte décennie historique ? On sait que non. Montaigne reprochait déjà à César « les fausses couleurs de quoi il veut recouvrir sa mauvaise et pestilente ambition ». Parmi les observateurs critiques et contemporains du texte-rapport de Jules César publiciste de sa victoire, Jean-Louis Brunaux ouvre à son tour une perspective un peu moins manichéenne et orientée des évènements relatés, en suggérant les qualités méconnues du profil présomptif du grand vaincu d’Alésia.

Ce lointain de silence, Jean-Louis Bernard (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 29 Avril 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Encres vives

Ce lointain de silence, octobre 2018, 16 pages, 6,10 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Bernard Edition: Encres vives

 

Le nouveau recueil de Jean-Louis Bernard se déploie comme sur un fil tendu dans l’espace, un fil de silence considéré à son horizon, comme projeté à son « lointain ». Fil suspendu entre un point de départ et un point d’arrivée si l’on veut les appeler ainsi, entre les deux premiers poèmes et le dernier. Parti d’une sorte de bilan, d’un constat (au temps de « nos stridences », nous n’avons rien fait pour prévenir « l’arche de solitude »), comme un regret des occasions manquées et qui « fixe » la situation du poète lui-même (« à terre perdue / je compte les collines »), le recueil aboutit dans son dernier poème à une sérénité nouvelle, une forme d’apaisement : un autre silence s’ouvre alors, un « silence des mots / échappés de leur cage », où « la parole s’absente ». Un passage du « silence diluvien à recoudre » au « silence étiré », jusqu’à ce point d’aboutissement que constitue l’amnésie, qui se fait au prix d’une tension, d’une évolution en tout cas, peut-être d’une transformation.