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La Une CED

De plus en plumes -5- Elodie en si majeur, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Vendredi, 29 Avril 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis

 

Suivi d'un long murmure admiratif comme une torpille l'est de son sillon, le docteur Brillet arpentait le couloir,  stéthoscope en bandoulière en un classieux négligé. Ses étudiants inscrivaient leurs pas dans ceux du Maître et pénétraient dans les chambres les yeux baissés. Ils écoutaient ensuite la Sainte Parole, répondant aux questions patriarcales recroquevillés dans leurs fringues à l'idée de proférer une inadéquation. Les patients, émus et flattés en tant qu'objet de ces attentions emblousées ne s'apercevaient pas qu'ils étaient, pour beaucoup, des objets tout court.

D'étude.

Ainsi le rituel de la visite se déroulait-il sans accroc jusqu'à la chambre vingt-quatre.  Là, Brillet accélérait le pas et faisait ce qu'il pouvait pour mettre sous contrôle une fébrilité détestable. Un jour, une jeune recrue transparente de candeur avait formulé une question au milieu d'un océan de crainte :
- Monsieur... Pourquoi... ?
- Parce que je vais me faire jeter. 

« Toute vie est un roman » : entretien avec Laurent Herrou, 12 avril 2016, par Arnaud Genon

Ecrit par Arnaud Genon , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

 

Journal 2015, Laurent Herrou, Jacques Flament éditions, avril 2016

 

Laurent Herrou est né à Quimper en 1967. En 2000, il a publié Laura, sa première autofiction, aux éditions Balland, dans la collection Le Rayon dirigée par Guillaume Dustan. Il met au cœur de ce premier livre les thématiques et problématiques qui hantent désormais son travail : la difficile quête identitaire d’un sujet tiraillé entre le masculin et le féminin, le bonheur et son impossible réalisation, l’écriture du corps – le sien – et des corps – les autres, fantasmés ou réels – et de leurs désirs…

De là émerge un « je » fragmentaire, multiple et insaisissable (Le bunker, Jacques Flament éditions, 2015) qui se dit et s’invente, se projette et se décuple à travers romans, autofictions, journaux personnels, textes courts publiés en revues ou petites vidéos.

Il vient de publier, aux très sérieuses et indépendantes éditions Jacques Flament, son journal de l’année 2015.

L’Après-départ, par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Il se retrouve à l’intérieur après avoir refermé avec soin en passant la main sur le lisse de la porte, façon instinctive de confirmer un nid pour deux à la fourche des murs. La nuit grise et l’amour appuyé et hâtif y flottent encore, comme leur lever au dernier moment, gestes gauches, bousculades et rires. Et lui se sent flotter avec, dans l’imminence du quotidien. Tous ces jours à venir où contrarier le retrait des chères traces – où faire que ce retrait bascule vers la mémoire du cœur par un renversement que la patience ourdit.

La nuit a été longue au fond, s’efforce-t-il de penser en s’asseyant près de la table, les yeux tournés vers la fenêtre mais distinguant mal au dehors à cause de la dernière pénombre. Repasser les heures les étire et les fixe dans un supplément de large, esplanade à rêver en maraudeur d’amour bien que la suite approche.

Cette suite n’est autre chose que l’attente, il le sait bien. Quel que soit le recours contre le vide résonnant. L’attente évasive qui fait durer sa mélopée de halte sans promettre d’autres étapes, lui réservant peut-être la solitude.

« Quatre filles et un Violoncelle », par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 25 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

La pièce de Michel Bellier, Les filles aux mains jaunes, a été créée en 2014 au théâtre Le Sémaphore à Port de Bouc et reprise ensuite tant en France qu’à l’étranger, dans une mise en scène de Joêlle Cattino. Le théâtre Joliette-Minoterie, scène conventionnée, à Marseille, la propose les 23, 24, 25 et 26 mars à nouveau.

Il est posé sur le sol, ce drôle d’instrument qui ne tient debout que sur sa pointe, que si l’on décide de le faire jouer, assis sur une chaise et installé entre ses jambes comme une amante installée sur les genoux d’un amoureux. Tout est obscur autour de lui ; des lampes industrielles suspendues dans les cintres rappellent sans doute que le théâtre est ce moment suspendu entre le noir et la lumière, et le retour au noir. Le violoncelle, en quelque sorte, dit que Les filles aux mains jaunes ne sont plus seulement le texte de Michel Bellier mais une représentation, une mise en scène matérielle, affaire d’objets et d’accessoires choisis, du son et de la lumière, des corps et des voix. Il n’y avait pas de musique entre les pages de la pièce écrite. Le Violoncelle est là, du début du spectacle, étrange et unique présence masculine puisque c’est Jean-Philippe Feiss qui tient l’archet, fait des pizzicati, le transforme en percussion.

Sur "Eureka Street" de Robert McLiam Wilson

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 23 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Si l’on doit assigner une fonction à l’art, ce pourrait être la suivante : permettre de voir le monde, le traduire en une œuvre qui, si elle ne donne pas du sens au monde, permet au moins de l’appréhender. La mélancolie et les yeux qui s’humidifient avec dignité – Les Larmes, de Rachmaninov. La paternité et l’envie de dire la vie à son enfant – Mistral Gagnant, de Renaud. La solitude urbaine – The Nighthawks, de Hopper. La splendeur de la bêtise – Bouvard et Pécuchet, de Flaubert. Une œuvre d’art, à ce titre, ne pourrait être décrétée telle qu’en tant qu’elle donne à voir, qu’elle ouvre à l’esprit des portes jusque-là fermées, ou du moins à peine entrouvertes. Voilà pourquoi Eureka Street (1996), le troisième roman de l’Irlandais du Nord Robert McLiam Wilson (1966) est un grand roman, pourquoi il doit être célébré et lu par tout le monde en ces jours d’inquiétude : mieux que tout autre, ce roman a traduit l’intraduisible, la vie au quotidien au temps du terrorisme, au temps de la violence incompréhensible d’une guerre civile insensée ayant duré « vingt-cinq ans et cent jours » : « Trois mille personnes étaient mortes, plusieurs milliers d’autres avaient été battues, blessées ou amputées, et nous avions tous connu une trouille bleue pendant presque tout ce temps-là. A quoi cela avait-il servi ? Qu’avait-on ainsi accompli ? »