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La Une CED

Deuil pour deuils, Christophe Stolowicki (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 10 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Deuil pour deuils, Christophe Stolowicki, éd. Lanskine, octobre 2018, 88 pages, 14 €

Amours mortes

Que retenir du deuil ? C’est là une question universelle. Et dans le dernier livre de Christophe Stolowicki, on réfléchit au fur et à mesure sur le temps qui dépasse le deuil, celui de la mort de sa compagne allant jusqu’aux morts de la Shoah. Cela dit, le deuil fait, il reste à construire un livre de petits paragraphes avec parfois de simples aphorismes. Ainsi, cet amour qui se vit dans le chagrin de la perte de l’aimée s’apparente aux amours mortes qui peuplent la littérature, même si peut-être ici, la douleur n’est pas de papier mais de sang. Donc ne pas hésiter à ne pas comprendre les formules creuses qui accompagnent souvent un disparu, mais faire avec cette disparition une description presque en creux de celle qui ne reste pas, et qui laisse sombrer l’autre dans la douleur. L’insanité n’est d’ailleurs pas exclue et fait partie du protocole de la disparition. Donc, c’est une vision du deuil réaliste, qui a le mérite d’être une déploration de celle qui fut, mais évoquée sans pathos ni exagération. Ce portrait de l’aimée s’accompagne d’une écriture tendue vers le sensible et le corps, qui n’hésite pas à emprunter la voix du jazz ou la voie des plaisirs du vin par exemple. On devine ainsi la femme morte derrière ce qu’en rapporte l’auteur, au sujet de photographies de celle qui fut mannequin puis styliste, cependant sans aucun alourdissement, ni passion pathétique ; et justement, il me semble, grâce à ce qui compose la vie, à ce qui s’oppose à mourir : la musique, le vin, la littérature.

Commémoration du centenaire de l’armistice du 11 Novembre 1918 Russes et marocains au secours des français (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Vendredi, 07 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

A l’occasion de la commémoration du centenaire de l’armistice du 11 Novembre 1918à Paris, Vladimir Poutine, en escapade de la messe officielle, a déposé une gerbe, sous pluie battante, sur le monument en hommage au corps expéditionnaire russe de quarante mille hommes, engagés aux côtés des français pendant la Première Guerre mondiale. Noires limousines et rouges églantines sur statue de bronze. Contrairement à la grande kermesse de l’Arc de Triomphe, la cérémonie sur berges de Seine se déroule dans une étonnante intimité. Le secteur est largement isolé et sécurisé. Ne se profilent sous les arbres qu’uniformes sombres et gendarmes en surnombre. La discrétion des autorités françaises n’est pas anodine. Cette histoire singulière concerne des soldats inclassables, irrécupérables, qui se distinguent autant par leur bravoure sur les champs de bataille que par leur refus des horreurs de la mitraille (Héros et mutins Les soldats russes sur le front français 1916-1918, Eric Deroo, Gérard Gorokhoff,  Gallimard, 2010). (La Révolte des soldats russes en France, Rémi Adam, éditions Les Bons caractères, 2007).

Nouvelles brésiliennes (III) - Hector Bisi, Les paons albinos boivent du champagne

, le Vendredi, 07 Décembre 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Pete Doherty descend du black cab à Tite Street avec ce style mou-titubant qui ne permet jamais de savoir s’il est ivre ou à moitié et il se rend dans un sous-sol où le doorman est en soutane violette et confirme son nom sur la liste. Oh Mr Doherty, notre seul invité de la soirée. Il est rare que nous ayons cet honneur. C’est un Borsalino ?, j’aime les chapeaux de votre phase Libertines, enjoy your night, et Pete Doherty entre par un tunnel rouge où les murs sont couverts d’une flopée de selfies tous encadrés, Whatahell is this ? Attends, celui-là c’est pas Oscar Wilde ?, bordel, comme il est jeune sur cette photo, et il y a une lumière rouge à la fin du tunnel et des mecs avec des manteaux en fourrure par-dessus leur costume Paul Smith ou Gareth Pugh ou McQueen ou Saint-Laurent ou Gucci voire Saville Row, Ah non, encore un de ces clubs anglais ennuyeux à mourir, j’espère qu’il y a quelque chose de bon à boire au moins, et le salon est décoré avec des sièges Chesterfield cliché des lambris cliché et des étagères cliché prouvant que l’Angleterre victorienne n’était pas un pays mais une bibliothèque monster, On gèle, la clim est à zéro ?, où est donc ce putain de serveur ?, et Pete-Doherty-Esquimau titube en direction de types qui sont debout au milieu de la grande pièce et qui ont tous ce bronzage crevettesque d’anglais en liberté sur la plage et voilà qu’arrive la crevette en chef,

Route du Rhum, métaphore du monde (par Laurent LD Bonnet)

Ecrit par Laurent LD Bonnet , le Jeudi, 06 Décembre 2018. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

Rien ne sert de manger ses pairs, il faut courir à point.

Mai 79. J’avais 20 ans, lui 40.

Lulu, natif de Deshaies, tenait un bar sur la côte ouest de Guadeloupe. Il m’offrait mon premier rhum, ma première cuite. En désignant la goélette sur laquelle j’allais traverser l’Atlantique, il m’assena : « Ton bateau là ? C’est un vieux ! Le Canadien est passé en décembre avec sa mouette jaune, i bon memm ! Ce gars c’est un moderne ! ».

Cet Antillais exprimait au plus juste ce que je ressentais de plus intime à cet instant de mon parcours naissant de navigateur. Étrange affaire, puisque 27 jours de mer plus tard, habité de mes premiers élans d’écriture, j’avais lu et relu Pourquoi j’ai mangé mon père, roman de Roy Lewis dont la récente traduction française traînait à bord. Il en était donc ainsi de notre condition et son inévitable corolaire, le progrès ? En art de survivre comme en tout domaine, existerait toujours une querelle des anciens et des modernes ?

Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 05 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier, Gallimard, novembre 2018, 64 pages, 12 €

 

Le poème-action

Ce qui est déterminant à la lecture du recueil posthume du poète limousin Georges-Emmanuel Clancier, c’est le caractère ancré, ancré dans un temps historique et dans le temps quotidien dans lesquels se déroule l’aventure humaine de ce poète qui a traversé la totalité du vingtième siècle jusqu’à aborder le vingt-et-unième ; et cela avec l’esprit toujours clair, clair au point de revisiter sa propre poésie à cinquante ans de distance. Je dis temps, mais je devrais ajouter espace, topologie, topographie des poèmes écrits dans les années 60-70, qui vont toujours vers l’être et vers le sud – comme si Georges-Emmanuel Clancier faisait sienne la définition de Bonnefoy pour qui la poésie était temps d’été, de lumière. En ce sens le poète ici est éloigné du pays de sa naissance, le Limousin, pays plus froid et plus capiteux, où se jette le tourment des forêts, des ruisseaux vifs et des ciels quasi de montagne, au profit de la blancheur éclatante du soleil et de la Méditerranée.