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Critiques

Mémoires d’un aventurier juif, Du Shtetl de Lituanie au Soudan du Mahdi, Getzel Sélikovitch (par Paul Rodrigue)

Ecrit par Paul Rodrigue , le Jeudi, 03 Février 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Mémoires d’un aventurier juif, Éditions de l’Eclat, trad. yiddish Paul B. Fenton, 309 pages, 29 €

Un Juif francophone d’origine lituanienne écrivait-il en yiddish ses Sept Piliers de la Sagesse en même temps que Lawrence d’Arabie ? Les mémoires de Getzel Sélikovitch n’ont pas la dimension des autres grands récits du genre. De forme plus modeste, ils ont pour but, selon leur auteur, « d’enrichir la littérature juive de la fin du XIXe siècle en apportant des éclaircissements sur des aspects de la science du judaïsme et des événements historiques » (1). Ces mémoires survolent et dépeignent, de 1879 à 1885, diverses sociétés d’Europe, d’Afrique du Nord et du Levant, avec, toutefois, un regard, sinon unique, du moins singulier.

Un Sorbonnard, tout compte fait, fraîchement sorti du shtetl, se passionne de mythologie égyptienne. À Paris, il est aussi courtisan de cercles prestigieux : Ernest Renan, le baron Joseph Günzburg, Eliezer Ben-Yehuda, le baron Maurice de Hirsch. Des études parisiennes au journalisme hébraïque, il part enquêter à Londres, puis il devient interprète d’arabe pour l’armée britannique et s’engage en Égypte pour participer à la répression des forces rebelles soudanaises. Il combat aux côtés des Anglais quand Osman Dhiqna, principal général du Mahdi Muhammad Ahmed, chef des troupes insurgées, attaque son camp.

Le Cauchemar, Hans Fallada (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 02 Février 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Folio (Gallimard)

Le Cauchemar, Folio, octobre 2021, trad. allemand, Laurence Courtois, 336 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Hans Fallada Edition: Folio (Gallimard)

 

Der Alpdruck (1947), en allemand signifie le cauchemar, mais aussi le mauvais rêve, celui dont on s’éveille en priant qu’il n’ait été qu’un moment d’égarement du cerveau, celui qui laisse en sueur et qui parfois incite à se lever, sortir de la chambre, traverser le couloir ou monter une volée de marches, et ouvrir discrètement la porte de la chambre où dorment des enfants qui ignorent tout de l’angoisse ressentie au cœur de la nuit. On prie. Et on referme, apaisé, la porte, puis on retourne au lit. Malheureusement pour l’Allemagne, malheureusement pour les Allemands montrés avec humanité dans le roman Seul dans Berlin (1947), dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », l’Allemagne d’après le « Renversement », celui initié par la défaite cinglante devant Stalingrad en 1942, n’est pas celle du réveil après un cauchemar : c’est celle du cauchemar continué.

La Neige noire, Paul Lynch (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 01 Février 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

La Neige noire (The Black Snow, 2014), trad. anglais (Irlande) Marina Boraso, 306 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Le Livre de Poche

L’Irlande de Paul Lynch est noire. Plus que noire, elle est trou noir, qui avale êtres et choses, vies et destins.

Il est revenu d’Amérique, avec sa femme américaine. Il rêvait du pays, quitté par pauvreté pour se faire un petit capital. Perché sur les poutres des gratte-ciel new yorkais, comme un funambule, il n’a jamais cessé de penser à la terre natale et à son retour. Il est revenu en Terre Promise et sa femme lui a donné un garçon. Le bonheur édénique enfin gagné.

Lynch raconte alors la chute – celle qui n’a pas eu lieu dans le ciel de New York où Barnabas Kane dansait sans peur sur les poutrelles et les structures métalliques des chantiers, celles où les ouvriers « se déplaçaient aussi sûrement que des mouettes ». Une chute sans rémission, dans laquelle la fatalité prend toute la place, inéluctable comme un noir destin. Le roman est entièrement construit autour de cette chute – mètre après mètre, chapitre après chapitre, s’égrenant comme les minutes d’une horloge infernale que rien ni personne ne peut arrêter. Chaque étape semble élargir l’enfer, abîmer les trois personnages de la famille Kane, les détruire, leur enlever peu à peu la raison et l’humanité. Même la nature autour de la ferme familiale se fait de plus en plus hostile, tempétueuse, froide et sombre.

Ce prochain amour, Nora Benalia (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 28 Janvier 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Ce prochain amour, Nora Benalia, éditions Hors D’atteinte, Coll. Littératures, janvier 2022, 208 pages, 17 €

À la lumière de

Ce prochain amour est le premier roman de Nora Benalia (née en 1968 d’une mère belge et d’un père algérien), doté d’une jolie cité orientale en couverture, d’Hanieh Ghashghaei, et de deux photographies d’intérieur de Sohan Candat.

Nora Benalia aborde dans son récit l’organicité, la génitalité, l’appareil de reproduction étant connoté différemment selon le Genre. Le langage est cru, direct, martelé. Et pourtant, pudique devant la grande douleur. Qu’est-ce qu’un sexe féminin et à quoi sert-il ? C’est par les bijoux indiscrets que l’auteure décrit ses expériences, son rapport à la sexualité, aux séances gynécologiques, à la parturition, où « on est tâtées, auscultées, piquées en permanence ». Le discours virulent, à contre-courant des supposées joies de l’enfantement et de la maternité – « le culte des affections naturelles, en montrant qu’il y a toujours, et dans tous les cas, quelque chose de sacré, de divin et de vertueux dans les deux grands sentiments sur lesquels le monde repose depuis Adam et Ève, la paternité, la maternité », [Hugo], du « mère courage » brechtien, est salutaire et peu entendu.

La Nuit comme le jour est lumière, François Huguenin (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 27 Janvier 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Biographie

La Nuit comme le jour est lumière, François Huguenin, Les éditons du Cerf, janvier 2022, 176 pages, 18 €

 

« Green m’a révélé la violence des sentiments qui campaient en moi et auxquels je ne comprenais rien. Il m’a parlé du silence de Dieu en mettant en lumière un désir inassouvi et que je ne savais nommer.

Green m’a sauvé ».

Il faut toujours prendre au sérieux les noms que donnent les écrivains à leurs livres, La Nuit comme le jour est lumière en est l’exemple parfait. Il donne la note à laquelle va s’accorder le livre, comme le fait un chef de chœur. Les romans et les Journaux de Julien Green sont des pièces musicales (1) qui se répondent, sombres ou lumineuses, souvent tremblantes, certaines brillent plus que d’autres par leur force littéraire, mais toutes révèlent les tourments et les inspirations de l’écrivain qui s’attache toujours à la langue française, sa langue, celle de ses confessions et de sa consécration à l’Académie française.