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Critiques

Le Nain, Pär Lagerqvist (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Stock

Le Nain (Dvärgen, 1944), Pär Lagerqvist, trad. suédois, Marguerite Gay, 271 pages, 8,40 € . Ecrivain(s): Pär Lagerqvist Edition: Stock

 

Le Nain est un géant littéraire. Dans un monologue amer jusqu’à la haine nous entendons les vagues de la misère, de la solitude, de la blessure, de la révolte et de la violence dont les hommes sont porteurs. Certes le narrateur est un nain – « une race à part » dit-il – mais c’est évidemment du genre humain que Pär Lagerqvist nous parle. La cour d’un Prince italien de la Renaissance, épiée par le regard assassin du nain-narrateur, devient métaphore d’un monde des hommes où le Mal est à l’œuvre jusqu’au pire. Piccolino, le nain difforme, figure un antéchrist noir comme la nuit la plus noire, une sorte d’inversion parfaite de l’image christique : aucune charité, aucune empathie, pas une once de bonté. C’est un monstre du corps à l’âme.

Lagerqvist décline, tout au long du roman, l’accumulation d’aversions et de haines de Piccolino. Peu à peu, se dessine une figure qui se révèle être le parfait négatif de la figure du Christ et, par là-même, des vertus prônées par le christianisme. A la vérité, le mensonge, à l’amour, la haine, à la paix, la guerre, à la charité, le mépris. Le nain est une condensation des pires pulsions de l’humanité, un personnage porteur de l’ombre de Satan dont il assume pleinement être une créature.

La Peau et le toucher, Un premier langage, Ashley Montagu (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 28 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Points

La Peau et le toucher, Un premier langage, Ashley Montagu, novembre 2021, trad. anglais (USA) Catherine Erhel, 288 pages, 9,90 € Edition: Points

 

Deux domaines relatifs à l’être humain et ses ressentis sont à la pointe de la recherche scientifique depuis quelques années : le premier est les neurosciences – normal, puisque le modèle économique d’Internet est basé sur l’addiction ou du moins le contrôle des réactions de l’internaute, et qu’il n’est nullement étonnant d’apprendre qu’une docteure en psychologie cognitive, Célia Hodent, a pris part à la conception du jeu Fortnite, parmi d’autres psychologues. L’autre domaine à connaître des avancées sidérantes ces dernières années, c’est la sensibilité tactile, l’étude des récepteurs dissimulés sous notre épiderme, et leur rapport au cerveau – quiconque s’intéresse au fonctionnement du Métavers ou tend à voir les pires cauchemars de science-fiction se concrétiser peu à peu au fil de l’actualité (une combinaison pour faire l’amour à distance ? des robots sexuels à la peau de plus en plus « réaliste » ? mon Dieu, quelles horreurs !), comprend de suite l’intérêt financier derrière ces recherches : parvenir à vendre à l’humain à monde mis à distance, avec de la technologie pour pallier les manques relatifs à la peau.

Les nouvelles femmes de droite, Magali Della Sudda (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 25 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Les nouvelles femmes de droite, Magali Della Sudda, éditions Hors-d’atteinte, Coll. Faits & Idées, février 2022, 320 pages, 19 €

 

Les nouveaux fanatiques se rallièrent sous l’étendard du fils de Marie

(Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794)

 

Pour les étrangers, les fonctionnaires, les Israélites, les colons, les trafiquants, l’Arabe, moins considéré que ses moutons, est fait pour être écrasé. Le refouler dans le désert pour s’emparer de ce qu’on ne lui a pas encore pris, tel est le rêve. Les Français algériens, qui ont déclaré que le fanatisme rendait les Arabes incivilisables, s’obstinent à ne rien tenter pour les tirer de l’ignorance, si favorable à l’exploitation et à la domination

(Hubertine Auclert, Les femmes arabes en Algérie)

Le Trio Bleu, Ken Bugul (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 24 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Afrique, Roman

Le Trio Bleu, Ken Bugul, Editions Présence Africaine, janvier 2022, 251 pages, 13 €

 

L’image n’est certes pas littéraire. Supposons une ligne droite qui va de A à D ; le récit commence au point C, s’oriente vers le passé en un agencement subtil des faits, des gestes et des pensées, déroule ainsi peu à peu la vie écoulée d’un homme, revient au point de départ (C) et achève en contant le dernier quart qui est l’avenir immédiat du personnage. Schématique. Il ne s’agit pas à proprement parler de successifs flashbacks placés tels quels, mais d’un déroulé hybride (aujourd’hui, hier, avant-hier, plusieurs années en arrière se mélangent) de la conscience chez Góora, personnage principal auquel tiennent compagnie deux autres qui s’appellent Suleiman et François. Tout ce début explicatif de notre compte rendu énonce que l’une des qualités du Trio Bleu est la maîtrise narrative que démontre ici Ken Bugul, romancière africaine d’expérience dont le premier et fameux roman, Le Baobab fou, a paru il y a près de quarante ans.

Graal, Philippe Sollers (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 23 Mars 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Graal, mars 2022, 80 pages, 12 € . Ecrivain(s): Philippe Sollers

 

« L’éternité est sûrement retrouvée, puisque, comme toujours, la mer est mêlée au soleil ».

« La lumière du Graal est immortelle. Elle brille jusque dans les ténèbres, mais les ténèbres ne peuvent pas la saisir ».

Entre ces deux phrases, un roman s’est déployé. Un court roman inspiré par le Graal, l’apôtre Jean, Rimbaud (1), les Atlantes, et les heureuses expériences sexuelles du narrateur en état de jeunesse inspirée. Comme toujours chez Philippe Sollers, la parole est d’or, elle transforme le plomb, autrement dit la moraline dominante, en or fin, et elle ne doute pas un instant, comme chez l’apôtre Philippe (2), que la résurrection se déroule sous nos yeux, de notre vivant – « La vraie vie consiste à vivre sa propre mort. Pas LA mort, mais SA mort ». Comme toujours, Philippe Sollers mise sur la chance, la joie, le bonheur, la musique, la mémoire, l’attraction des corps inspirés, et sur son art romanesque qui trouble et enchante le roman depuis 1958.