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Critiques

Le procès de la chair, Essai contre les nouveaux puritains, David Haziza (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 19 Avril 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Grasset

Le procès de la chair, Essai contre les nouveaux puritains, David Haziza, janvier 2022, 256 pages, 20 € Edition: Grasset

Le sous-titre dit clairement la volonté de l’auteur : ce texte veut démonter les mécanismes qui ont abouti à un nouveau puritanisme dans le contexte actuel de la cancel culture, où paradoxalement tout semble aller de soi, où le permissif serait la règle, dans un monde soumis à l’image qui « offre » aux plus jeunes les images les plus dégradantes et les plus violentes.

C’est pourtant bien un puritanisme qui s’est mis en place sous le couvert d’un rapport « sain » au monde. « Cinq siècles ont passé, et chacun croit plus que jamais, procureur et juré, échapper à sa propre chair par son zèle à la condamner. La chair dont on jouit, et celle que l’on mange, celle que l’on tient de ses aïeux et que l’on transmet à ses enfants, est en effet à nouveau au banc des accusés. Nos sens sont bridés et l’animal que nous sommes soumis à un dressage dont la fin n’est plus de dompter le désir mais de l’annuler ». Ce sont là les phrases introductives de David Haziza qui ajoute que « le monde confiné dans lequel nous vivons désormais n’est pas seulement triste et claustrophobique : il est surtout insipide ».

L’initié suivi de La Libre étendue et L’incandescence, Thibault Biscarrat (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 14 Avril 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

L’initié suivi de La Libre étendue et L’incandescence, éditions Ars Poetica, février 2022, 90 pages, 18 € . Ecrivain(s): Thibault Biscarrat 

 

« Viens et vois : je parle de plus loin que mon nom. Je parle d’une autre contrée, d’un nouveau domaine et la grâce indivise nous sera faveur du temps ».

« Voici : je suis présent au monde mais à distance. Viens et vois : ingurgite ces rouleaux qui me sont doux comme la manne, comme le miel ».

« Les livres sont plus vivants que les vivants. Ils deviennent leur propre destinée. Les livres se lisent eux-mêmes dans la gloire du dieu révélé ».

Thibault Biscarrat appartient à cette société secrète d’écrivains, de poètes, qui écrivent sous de belles influences, celle du Livre, des écrits gnostiques, des textes fondateurs traversés par une lumière divine, mais aussi celle du corps, et de la voix. Et il donne de la voix à chaque page. Écrire est chez lui une incantation, incarnation, une résurrection, une inspiration et une expiration. Savoir écrire, c’est savoir respirer.

Une arche de lumière, Dermot Bolger (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 13 Avril 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Joelle Losfeld

Une arche de lumière, Dermot Bolger, janvier 2022, trad. anglais (Irlande) Marie-Hélène Dumas, 460 pages, 23 € Edition: Joelle Losfeld

 

Eva Goold Verschoyle est née dans le comté de Donegal, l’un des trois comtés d’Ulster qui ont été intégrés dans la République d’Irlande lors de la proclamation d’indépendance. Elle épouse en 1927 Freddie Fitzgerald, héritier d’une dynastie de hobereaux locaux dont la perte de puissance et de richesse matérielle est symbolisée par la décrépitude de ce qui subsiste du domaine et de la grande demeure ancestrale, et par la claudication de son propriétaire.

Ayant dû renoncer à sa vocation de devenir une artiste peintre, elle s’oblige à mener pendant vingt-deux ans une existence de femme au foyer que seul l’amour qui la lie à ses deux enfants, Francis et Hazel, l’aide à supporter. Dès qu’ils partent de la maison pour aller vivre leur vie, elle quitte son mari pour ouvrir en ville une modeste école d’art pour enfants. C’est cette scène de rupture, sans cris, sans larmes, sans violence, qui constitue le premier chapitre proprement intitulé Le départ.

L’Enquête, Juan José Saer (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 12 Avril 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Le Tripode

L’Enquête (La Pesquisa, 1994), trad. espagnol (Paraguay) Philippe Bataillon, 190 pages, 16 € . Ecrivain(s): Juan José Saer Edition: Le Tripode

 

C’est un polar. Ah l’attrape-nigaud parfait pour qui prendrait ce livre en main avec cette seule affirmation en tête ! Et pourtant c’est bien un polar, mais écrit par Juan José Saer, un polar devient un étourdissant labyrinthe littéraire. Un dédale. Une toile d’araignée.

A propos de l’ouvrage des arachnides, la toile, la première qui saute aux yeux du lecteur c’est celle qui est tissée autour de la place Léon-Blum à Paris XIème. A vrai dire, une place à l’étrange topographie, un peu désordonnée : du Boulevard Voltaire partent, dans des directions complexes, la Rue de La Roquette (des deux côtés de la place), l’Avenue Parmentier, la Rue Sedaine derrière la mairie du XIème, l’avenue Ledru-Rollin vers le sud. Surtout, tout autour, un dédale serré de petites rues étroites et alambiquées. Une fausse place qui trompe son monde, qui décale un concept, qui sert de métaphore à un roman qui veut perdre le lecteur en l’emmenant au cœur de la magie de la littérature. Où est ce roman ? Dans nos mains ? Écrit par un paraguayen nommé Saer ? Ou bien dans ce mystérieux dactylogramme retrouvé par un groupe d’amis au Paraguay qui raconte – quoi ? – un épisode de la Guerre de Troie ou une histoire de meurtres en série de petites vieilles dans les rues qui étoilent la Place Voltaire dans le Xième ?

La barque le soir, Tarjei Vesaas (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 06 Avril 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, En Vitrine, Editions José Corti

La barque le soir, trad. norvégien, Régis Boyer, 192 pages, 19 € . Ecrivain(s): Tarjei Vesaas Edition: Editions José Corti

Régis Boyer, le traducteur et préfacier, pose la question essentielle quant à ce livre : roman, autobiographie ou poème ? Tout en admettant le tort que l’on aurait à vouloir circonscrire un ouvrage dans un genre particulier, surtout quand on reconnaît la richesse de ce même ouvrage, on est néanmoins assuré de la présence de la poésie dès les premières lignes. Non pas tant dans ce que la poésie pourrait véhiculer de formel, mais davantage dans les images, et dans cette volonté de l’écrivain à tendre, jusqu’à la pureté, vers ce qui n’est qu’impressions et sensations, comme dépouillées des contingences sociales. La poésie se mêle aussi, au sein du style, dans des élans itératifs, faits de morceaux de phrase ou de simples mots : tel un refrain, telle une ponctuation personnelle, le narrateur y revient, comme exprimant ses doutes ou sa perplexité face à ce qu’il perçoit et face à sa mémoire.

Car les souvenirs d’enfance s’immiscent souvent dans cet ouvrage : pour le narrateur, cette période se caractérise par de la rudesse et un mutisme pesant. Pourtant, l’auteur se fixe sur l’émerveillement, et sans jamais l’once d’une lourdeur, dans un souffle continu, il nous conduit, sorcier, à un instant de grâce, à ce qui paraît « insaisissable » (suivant le titre d’un chapitre) : oui, l’émerveillement est ici l’élu, le fil conducteur, le pilier, la justification de ce livre, où la nature est en vérité le personnage principal.