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Critiques

La Fleur du Capital, Jean-Noël Orengo

Ecrit par Patryck Froissart , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Grasset

La Fleur du Capital, janvier 2015, 764 pages, 24 € . Ecrivain(s): Jean-Noël Orengo Edition: Grasset

Voilà un livre « hénaurme » !

Un ouvrage autant colossal que l’est son objet : la gigantesque foire au commerce sexuel qu’est Pattaya. La démesure du volume (le livre, qui fait 764 pages, est de la taille d’un dictionnaire) est déjà en soi, avant même qu’on l’ouvre, par le poids qu’il pèse dans les mains du lecteur, significative du projet de l’auteur, qui est d’impressionner.

Il y réussit incontestablement, en ayant recours à toutes les stratégies linguistiques et stylistiques qui forcent la fonction impressive du langage, et en alternant fort théâtralement ce qu’il titre et sous-titre, en les numérotant, Actes, Scènes, Intermèdes, Répétitions (au sens scénique), Coulisses, Rideaux (dont le texte est ponctué curieusement de l’anaphore insistante « Même si »), chapitres narratifs à la première personne (dans lesquels, ici c’est un des personnages qui prend la parole, qui se raconte et qui décrit, là c’est l’auteur en personne qui analyse son écriture en train de se faire) qui s’intercalent eux-mêmes entre d’autres parties textuelles dans lesquelles domine la voix d’un narrateur omniscient, et, par-ci par-là, extraits fragmentés, présentés comme étant du copié-collé, de forums de sites de rencontres en ligne où s’interpellent, s’interrogent, s’invectivent, exposent leurs fantasmes, se traitent de menteurs des connaisseurs, vrais ou imaginaires, sur ce qui se passe, sur ce qu’ils ont vécu, et sur ce qu’ils prétendent qu’on pourrait vivre à Pattaya…

Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, Évelyne Bloch-Dano

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Stock, Anthologie

Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, Évelyne Bloch-Dano, avril 2015, 250 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Évelyne Bloch-Dano Edition: Stock

Qu’est-ce qu’un jardin ? Le lexique ouvrant la première partie de Jardins de papier. De Rousseau à Modiano, égrène le vocabulaire : clos, parc, verger et même paradis, tous ces lieux expriment à la fois la nature originelle de l’homme et son inépuisable capacité à la dépasser. L’auteur invite donc d’abord à une excursion dans le temps, de la préhistoire jusqu’aux jardins à l’anglaise en vogue à partir du XVIII° siècle, car la première culture pratiquée par l’homme fut celle de la terre, et les civilisations peuvent se comprendre à partir de leur façon particulière de faire fructifier celle-ci.

Mais la culture, c’est aussi l’art et la littérature. Alors les « jardins de papier » – objet de la seconde et principale partie du livre – sont le décor parfois primordial, parfois en arrière-plan mais jamais anodin de scènes de romans. Parterres fleuris, haies, tonnelles et autres compositions végétales racontent des jeux de rencontres et d’évitement, de confidences murmurées et de secrets préservés, enfin se font coquins comme dans Le Lys dans la vallée où Balzac, à propos d’un bouquet, ne lésine pas sur les connotations érotiques : « du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir ». Dans Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, la façon dont Lol et Tatiana ont dessiné, chacune, allées et massifs, nous en apprend plus sur leur psychologie qu’une analyse verbale car les jardins sont « des révélateurs, des projections de notre moi dans l’espace ».

La joie, Charles Pépin

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Allary Editions

La joie, février 2015, 184 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Charles Pépin Edition: Allary Editions

Quand on se saisit d’un roman écrit par un philosophe, on redoute souvent que le récit soit trop « cerveau gauche » et analytique. Or à la lecture des premiers chapitres de La joie, cet apriori tombe et laisse place à de douces émotions. On sent vibrer le temps présent. La joie est là pour sublimer le quotidien, même le plus blafard des hôpitaux. La mère du personnage principal, Solaro, est mourante. Pourtant, cette triste nouvelle ne l’accable pas. Il continue à savourer son quotidien. Le bruit de la tasse sur le zinc d’un bar et la force de la caféine lui donnent envie de chanter. Il se « répète que c’est bon, c’est bon d’avoir un corps ».

Le début du livre est donc prometteur, on adhère tout de suite au concept de la joie du temps présent. Mais le scénario ressemble trop (de façon sûrement volontaire) à l’histoire de Meursault de L’Etranger de Camus. En effet, à la mort de sa mère, Solaro tue un homme sans raison particulière. Le reste du récit se passe au tribunal et en prison. Rien de révolutionnaire dans le scénario, mise à part la ferme intention de l’auteur de démontrer que la joie aide à surmonter l’adversité et même la mort. Ce petit clin d’œil à l’Etranger de Camus et au thème de l’absurde, n’est pas toujours joyeux et on frôle parfois la lassitude. Mais Charles Pépin tient son sujet jusqu’à bout et nous démontre à quel point, la joie, cette « force mystérieuse » est une excellente thérapie.

Poèmes du visage derrière la fenêtre, Louis Raoul

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Samedi, 11 Juillet 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Poèmes du visage derrière la fenêtre, Ed. de la Crypte, coll. Les voix de la Crypte, 2014 . Ecrivain(s): Louis Raoul

 

Dans les Poèmes du visage derrière la fenêtre, de Louis Raoul, domine l’élément eau, eau du ciel et des pluies de printemps, eau mouvante, transformatrice, eau qui meurt/ avec le souvenir d’une pierre d’enfance/ ou d’une grenouille de Bashô. La fenêtre ou la vitre, motif récurrent dans chaque poème, comme autant de reflets dans l’eau de ce visage en attente, celui du poète qui contemple depuis l’autre côté de la vitre, au matin ou le soir, d’une saison l’autre, perdu dans la chanson de l’air, dans l’attente, la solitude des jardins :

D’ici

Je vous devine

Femme à venir

vous n’avez d’enfant

que la parole

je vous devine

cachée sous l’orage

Sentences et fragments, Epictète

Ecrit par Yannis Constantinidès , le Vendredi, 10 Juillet 2015. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Bassin méditerranéen

Epictète, Sentences et fragments, traduction, présentation et notes Olivier D’Jeranian, Manucius, 2014, 138 pages, 10 euros . Ecrivain(s): Epictète

 

On est d’emblée intrigué par la manchette quelque peu racoleuse de l’éditeur : « Épictète inédit ». Aurait-on miraculeusement retrouvé l’un des quatre livres disparus des Entretiens (Diatribes) du philosophe stoïcien de l’époque impériale, une des pertes irrémédiables de l’Antiquité ? Il s’agit en réalité de fragments de ces livres cités par d’autres auteurs ou de sentences qui lui sont attribuées, sans aucune garantie d’authenticité, le tout traduit à partir de la vieille édition de Schenkl (1894), libre de droits.

Si les Entretiens, et surtout le Manuel qu’en a tiré le bon Arrien – qui fut le Platon d’Épictète, ce dernier n’ayant rien écrit, suivant en cela l’exemple de Socrate – ont fait l’objet d’innombrables éditions, ces Sentences et fragments sont en effet inédits en français. Doit-on pour autant se réjouir immodérément, comme le traducteur, de cette « découverte d’un trésor que rien ne cachait vraiment à nos yeux » (avant-propos, p. 12) ? Cet enthousiasme compréhensible du prospecteur paraît toutefois quelque peu exagéré à la lecture de ces bribes pieusement recueillies par les habituels compilateurs des textes de l’Antiquité (Stobée, Aulu-Gelle, etc.). Les sentences sont pour la plupart assez plates (celle-ci, par exemple :