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Critiques

Du sable dans la bouche, Hervé Le Corre

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Rivages/noir

Du sable dans la bouche, septembre 2016, 173 pages, 6,90 € . Ecrivain(s): Hervé Le Corre Edition: Rivages/noir

 

Livre policier et historique à la fois, où tous les protagonistes sont empalés dans des évènements liés à L’ETA. Une femme sort de prison, revient à Bordeaux. Le lecteur comprend peu à peu qu’elle a été mêlée à des évènements graves.

« Des femmes courent, suivies d’enfants, les bras étirés par des valises bourrées jusqu’aux serrures, rebondies à crever, là, au milieu des gens, vomissant de l’intimité, mise en pli pendant des heures, encore parfumée d’assouplissant ou de lavande ».

Elle paraît esseulée, mais aussi profondément déterminée.

« Alors peu à peu, l’idée de revenir et de faire ce que quelque chose de béant en elle réclamait chaque jour plus fort a creusé sa fissure imperceptible. Cette évidence a couru comme une vibration mortelle ».

Gestuaire, Sylvie Kandé

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Gallimard, La rentrée littéraire

Gestuaire, octobre 2016, 112 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Sylvie Kandé Edition: Gallimard

 

A l’inverse de son long poème en prose Lagon, Lagunes (Gallimard, 2000), très marqué par le lyrisme à la Césaire, Gestuaire se dégage de toute pesanteur culturelle. Une charge d’inconnu est exposée à l’arrachement – qui se dessine à travers l’incantation, le soliloque poétique qui affirme et nie à la fois. On en retient le souffle coupé qui pourtant garde la force d’expirer l’énigme là où la nuit tente de tout recouvrir.

L’écriture illustre d’ailleurs cette lutte, comme s’il s’agissait là d’un geste désespéré accolé à sa résistance dans ce qui tient du mouvement qui déplace insensiblement des terres vierges vers le paradoxal désert occidental du présent. Sylvie Kandé fait éclater les masques du « je » pour qu’il s’affirme à l’aune d’un passé et de ses peaux dont elle arrache la fixité, l’opacité de leur règne énigmatique.

Le dedans se fraye une issue – sans propension autobiographique si ce n’est de manière allusive – à travers les fissures d’une litanie qui de reprises en reprises s’incruste dans la chair et rebondit sur la peau en de longues vibrations de lumière, comme si le dedans laissait monter la trace et l’ajour d’une existence prisonnière et l’éclat diffracté de son immense évasion qui d’une certaine façon n’a jamais pu se faire.

Vous, Dominique-Emmanuel Blanchard

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans Critiques, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Récits

Vous, éditions Félicia-France Doumayrene, août 2016, 120 pages, 12 € . Ecrivain(s): Dominique-Emmanuel Blanchard

 

« Je vous écris à vous parce que vous êtes vivante. Et plus précisément, des vivantes ». Le dernier livre de Dominique-Emmanuel Blanchard aurait pu s’appeler Les intermittences du cœur ou Fragments d’un discours amoureux, ou Lettres à une inconnue. Mais c’est juste Vous que l’auteur a préféré, un petit mot de rien du tout, une seule syllabe, mais qui en dit beaucoup sur l’homme qui écrit, sur « La Femme » et sur ce que peut nous révéler de complexe le mot « amour ».

Cet ouvrage nous présente un constant aller-retour entre le présent où l’âge trahit et le passé que nous imaginions ouvert sur tous les possibles, entre l’ombre de Vous et sa disparition constante dans les replis de la mémoire.

On pourrait l’intituler un récit épistolaire puisqu’il est adressé à une ou des destinataires. Oui, ce sont bien des lettres d’amour. Mais sont-elles jamais parvenues à leurs destinataires ? Cela ne nous sera pas divulgué. L’auteur reste volontairement dans le flou.

Des carpes et des muets, Edith Masson

Ecrit par Martine L. Petauton , le Jeudi, 03 Novembre 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Les éditions du Sonneur

Des carpes et des muets, octobre 2016, 156 p. 15,50 € . Ecrivain(s): Edith Masson Edition: Les éditions du Sonneur

 

 

L’omerta – autre couleur que celle de « Colomba » – couve et court dans un village – jardins, chemins, géraniums, quelque part en Lorraine, où l’on sait que la trace des guerres n’est jamais loin. Coule un canal verdâtre (qui peut-être s’est pendu, aurait dit Brel). Il y a la canicule, des bières à revendre qu’on lape mi-silence, mi-confidences, un coude appuyé à un vieux comptoir. Touffeur inconfortable, presque insupportable qui tombe sur les personnages à longueur (à langueur ?) de pages tissées, drues comme un tissu de paysan ou de chasseur, juste ce qu’il faut de descriptions précises comme pointe de couteau, et – surtout – de dialogues formidables de justesse et de réalisme. C’est un livre qui parle mais ne bavarde jamais ; on est dans le taiseux et les flashs de la mémoire… dans le nu de la vie, donc.

D’entrée, le nœud : « on a trouvé ce matin dans le canal un sac contenant des os humains de provenance inconnue ».

En Mouchant la Chandelle, Qu You & Li Zhen

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 03 Novembre 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Asie, Nouvelles, Gallimard

En Mouchant la Chandelle, trad. chinois Jacques Dars (révision Tchang Foujouei), 240 p. 8,00 € . Ecrivain(s): Qu You & Li Zhen Edition: Gallimard

 

Le lecteur est un voyageur en fauteuil, et voici que lui est à nouveau offerte l’opportunité de voyager en Chine, au début des Ming (XIVe-XVe siècles) grâce aux vingt et une nouvelles réunies en un mince volume, En Mouchant la Chandelle (référence à l’heure tardive à laquelle on les lit, s’occupe de choses frivoles ou vit d’étranges aventures) par Jacques Dars, qui est aussi leur traducteur, avec la bienveillante révision de Tchang Foujouei. Ces nouvelles sont en fait extraites de deux recueils plus vastes signés Qu You (Jiandeng Xinhua, « Nouvelles Histoires en Mouchant la Chandelle », les quatorze premières) et Li Zhen (Jiandeng Yuhua, « Suites aux Histoires en Mouchant la Chandelle », les sept dernières) ; on peut de bon droit supposer que l’anthologiste a effectué un choix destiné à proposer au lecteur francophone la crème de ces deux recueils.

Ces nouvelles rencontrèrent à l’époque de leur publication un tel succès en Chine qu’elles furent bannies… pour ne pas distraire les étudiants ! Elles furent ensuite traduites célébrées, dès le XVIe siècle, tant en Corée qu’au Japon, deux pays où elles eurent une influence et un impact aussi grands que dans leur pays d’origine. Et l’une d’entre elles, dans sa version japonaise, parvint en Europe sous la plume de l’Anglais Lafcadio Hearn (1850-1904), pour être ensuite traduite en allemand par l’auteur du Golem, Gustav Meyrink.