Fin de ronde, Stephen King
Fin de ronde, février 2017, trad. anglais (USA) Océane Bies, Nadine Gassie, 430 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Stephen King Edition: Albin Michel
Ce dernier volet de la trilogie de King (après Mr Mercedes et Carnets noirs), qui inocule la tension au goutte à goutte dans les veines du lecteur, est comme un hommage au roman noir américain et à James Cain.
L’intrigue démarre lentement, avec – de façon un peu étonnante – de nombreuses références en notes de bas de page : le nom d’émissions radiophoniques ou télévisuelles, des titres d’ouvrages ou de revues bien connus aux Etats-Unis, des extraits de textes, des paroles de chansons. Ces notes de bas de page apportent un « effet de réel », un ancrage dans l’Amérique de la classe moyenne urbaine, une Amérique qui apprécie une certaine sorte de biens culturels. Ainsi, on se souvient ou on apprend que Mildred Ratched est l’autoritaire infirmière-chef de Vol au-dessus d’un nid de coucou, roman de Ken Kesey paru en 1962 et adapté du cinéma par Milos Forman en 1975, qu’un des romans de science-fiction de Robert A. Heinlein s’intitule en anglais La Lune est une maîtresse sans pitié, que l’Esprit des Noëls à Venir avait dit ses quatre vérités à Ebenezer Scrooge dans Christmas Carols de Charles Dickens, que Bob Dylan chante une chanson à propos du vent et que Snidely Whiplash est le personnage du méchant dans le dessin animé Dudley Do-Right of the Mounties.
Une fois le décor planté, les personnages prennent leur place, gris et un peu déprimés, selon les codes du roman noir.
Qu’est-ce qui tient en haleine le lecteur d’un roman de Stephen King, du début à la fin de l’ouvrage ? Le travail de composition minutieux, la totale absence de réticence de l’auteur envers les descriptions sanglantes, les marques de violence et les comportements pathogènes ? Il y a certes une complaisance affirmée de King pour les esprits criminels et les vastes machinations orchestrées par les cerveaux malades, qui finissent par prendre des proportions qui échappent même à leur concepteur : la fascination de Brady Hartsfield pour le suicide sous toutes ses formes, la maladie du détective Bill Hodges, la nature transgressive du Docteur Babineau en font partie. Ecrite au présent de narration, temps verbal pressé et pressant, l’intrigue se noue et se dénoue au gré de l’imagination macabre de l’ex Mr Mercedes.
Le cadre de l’Amérique moyenne du début du livre tranche avec le registre de langue qui, au fil des pages, se relâche, comme si à mesure que l’histoire se tend, narrateur et personnages perdent leur maîtrise et leur sang-froid. En réalité, c’est le psychopathe dont les pensées et le langage parasitent peu à peu le texte, comme une plante vénéneuse étend ses rameaux autour d’elle. Le flic se trouve confronté encore une fois au Mal dans toute sa puissance, sous la forme d’un petit génie de l’informatique dont l’intelligence machiavélique se prolonge dans les bits et les pixels. Exploitant les ressources des nouvelles technologies numériques et des jeux vidéo, King livre là un roman bien composé, dans lequel les maillons d’un vaste carnage à distance se dévoilent peu à peu.
Sylvie Ferrando
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