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Recensions

La voix et l'ombre, Richard Millet

Ecrit par Guy Donikian , le Dimanche, 26 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie, Gallimard

La voix et l’ombre, Gallimard, Collection L’un et l’autre, 210 p. 21 € . Ecrivain(s): Richard Millet Edition: Gallimard

Un nouveau livre de Richard Millet est toujours une découverte dont les attentes ne sont pas déçues. La voix et l’ombre fait partie de ces livres qui nous retiennent tant on y palpe l’engagement physique de l’auteur. Chaque mot a sa place dans une rhétorique au service de ce que les mots sont pourtant incapables de signifier. Quoi de plus singulier que de vouloir, par le truchement d’une galerie de portraits, rendre compte des liens que la voix et l’ombre entretiennent dans le corps. Il faut avoir fouillé les arcanes de nos chairs pour effectuer ce voyage incantatoire dans les zones de la voix et de l’ombre. Richard Millet nous soumet que notre sujétion au réel ne peut nous conduire à la conscience à laquelle il nous convie. L’effort indispensable pour concrétiser par le verbe ce qui nous échappe mais dont nous avons confusément conscience est inscrit dans cette écriture qui utilise des figures de style comme l’oxymore, des paradoxes, des ambiguïtés, des contradictions pour rendre compte, à force de mots qui sont autant d’outils, de l’impossibilité même d’écrire.

« La voix et l’ombre (…), l’une et l’autre accouplées (…) dans une lutte, une torsion où elles se confondent quelquefois ». Ainsi l’auteur prévient-il d’emblée de sa vision qui ne souffre aucun confort. Il ajoute « nous sommes des ombres bruyantes » et les portraits qui suivront seront revêtus de cette double enveloppe qui parfois se déchire.

Effets secondaires probables, Augusten Burroughs

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 22 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, USA, Nouvelles, Héloïse D'Ormesson

Effets secondaires probables, Nouvelles traduites de l’anglais (USA) par Samuel Sfez, sortie le 23 Février 2012, 334 p. 22 € . Ecrivain(s): Augusten Burroughs Edition: Héloïse D'Ormesson

Délirant, peu souvent méchant, grinçant, le ton acéré d’Augusten Burroughs, révélateur. A travers un prisme déformant, un kaléidoscope de sentiments, de pensées infuses, changeant mais mettant à chaque fois l’accent sur une malformation, un travers, une anomalie, le génome d’une certaine Amérique, valant d’autant que la révélation émane d’un Américain et non du regard (souvent) critique d’un étranger. Un regard qui s’en prend, d’abord, dès l’abord, à soi-même, exagéré et caustique :

– La consommation, (p.29) « Nous – les Américains – ne voulons que des produits fabriqués en laboratoire, testés sur des femmes et des animaux, puis emballés dans du plastique et estampillés à l’image du dernier film de Disney ».

– La course au dédommagement, (p.98) « Rien n’impressionne plus les personnes – ni la gloire, ni un diplôme dans une université de l’Ivy League – qu’une grosse compensation financière à la suite d’un problème médical ».

– Les mauvaises habitudes alimentaires, (p.256) « Alors comme ça, ces enfoirés de Crocker Farms pouvaient manger des frites et des Big Mac tous les jours ? – à la cantine scolaire – Tandis que nous avions des pizzas plates au goût sucré, encore congelées au milieu ».

Une irrépressible et coupable passion (A Wild Surge of Guilty Passion ), Ron Hansen (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 19 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Buchet-Chastel

Une irrépressible et coupable passion. Janvier 2012. Trad. anglais (USA) Vincent Hugon. 347 p. 21 € . Ecrivain(s): Ron Hansen Edition: Buchet-Chastel

On nous refait le coup du « Facteur » ? Encore ? Après Cain, Billy Wilder, Tay Garnett, Bob Rafelson, récemment Indridason (Betty) et combien de centaines d’autres ? Eh bien oui. Définitivement, Ron Hansen nous le refait !

On peut légitimement penser à quoi bon, que dire de nouveau, peut-on exploiter encore cette histoire usée jusqu’à la corde ? Si on se pose toutes ces questions avant lecture – et on se les pose – après lecture on ne se demande plus qu’une chose : qui et comment osera recommencer un jour ? Parce que ce livre repose sur un regard radicalement nouveau de l’histoire célébrissime du « Facteur sonne toujours deux fois » et, dans ce « radicalement » entendez bien d’une manière définitive.

Ron Hansen a choisi, pour renouveler l’histoire, de revenir simplement à l’affaire originelle ! En 1927, un couple d’amants, Ruth Snyder et Judd Gray, assassine Albert Snyder, l’époux de Ruth, dans son lit. Immédiatement soupçonnés du meurtre, les deux avouent très vite, sont jugés, condamnés à mort et exécutés en 1928.

La veuve enceinte, les dessous de l'histoire, Martin Amis

Ecrit par Yann Suty , le Dimanche, 19 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard

La veuve enceinte, Les dessous de l’histoire (The Pregnant Widow), trad. de l’anglais (R.U.) par Bernard Hoepffner, Gallimard, Janvier 2012, 540 p. 27 € . Ecrivain(s): Martin Amis Edition: Gallimard

A réserver aux amateurs. Avec La veuve enceinte, Martin Amis fait du Martin Amis. Il y a là tout ce pour quoi ceux qui l’aiment, l’aiment. Mais aussi tout ce qui peut aussi les exaspérer. Alors, quant aux autres, qui ne connaissent pas l’auteur ou veulent le découvrir… Mais qu’importent les autres !

Martin Amis pousse cependant cette fois-ci le bouchon un (petit) peu trop loin et tombe ainsi (presque) dans une caricature de lui-même. Pour le meilleur, mais pas seulement. La veuve enceinte tire un peu trop à la ligne, frise parfois la complaisance. Les dialogues abondent et auraient gagné à être raccourcis, tout comme le livre, globalement. Mais pour les fans, il y a toujours cette verve satiriste, cet humour dévastateur qui fait mouche. Des situations décalées, des phrases percutantes, et une lucidité superbement cruelle.

Le personnage principal s’appelle Keith Nearing.

Keith… voilà un prénom qui fait jubiler tout admirateur qui se respecte de l’écrivain anglais. Un prénom qui ne peut qu’évoquer cet autre Keith, ce sublime salopard joueur de fléchettes de Keith Talent, le héros de London Fields, l’un des plus grands (si ce n’est le plus grand ?) roman amisien, l’un des monuments de la littérature contemporaine.

La Barbarie, Jacques Abeille

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 16 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Roman, Attila

La Barbarie, Jacques Abeille, octobre 2011, 123 p., 15 € . Ecrivain(s): Jacques Abeille Edition: Attila

Le volume précédent du Cycle des contrées avait laissé le narrateur sur le point de retrouver sa ville natale de Terrèbre, après son long périple au pays des jardins statuaires à la suite des barbares. À sa grande surprise, l’invasion barbare semble n’avoir pas laissé de traces à Terrèbre : dans cette société nouvelle désireuse d’oubli, le professeur a bien du mal à retrouver sa place. Très vite, incarnant un passé gênant pour ce qui se révèle une dictature feutrée, il devient un élément perturbateur qu’il va s’agir d’effacer, de reléguer au plus obscur de la cité.

L’atmosphère kafkaïenne de ce bref appendice aux Barbares n’est pas sa partie la plus originale : une fois encore, on est plutôt fasciné par les symétries et les renversements sans fin qu’établit savamment Jacques Abeille autour du livre central du cycle que sont Les Jardins statuaires. Ce livre d’un voyageur anonyme, que le professeur a traduit dans la langue de Terrèbre, hante le nouveau volume et cause la perte de son traducteur accusé d’en être l’auteur. Plus discrètement, les statues connaissent un nouvel avatar. La sculpture, dissimulée aux profanes, comme dans Les Jardins statuaires, est cette fois l’œuvre d’une femme, et la déchirure qui ouvre leur forme est à la fois un symbole érotique et le symbole esthétique du fonctionnement d’une œuvre « à secrets », dont le « creux d’ombre » est l’âme (p. 65).