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Les Livres

Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Pierre Guyotat

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Samedi, 29 Octobre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Hors série Littérature, octobre 2016, 432 pages, 24 € . Ecrivain(s): Pierre Guyotat Edition: Gallimard

 

Le cycle Joyeux animaux de la misère est présenté par son auteur comme « des jactances ». Et Guyotat de préciser : « La jactance est la manifestation de celle ou celui qui veut prendre la place de l’autre ». Ce procédé permet à l’auteur une forme de détente puisqu’il n’est plus lui-même mais un autre. Néanmoins la tension revient vite étant donné la radicalité du propos. Et il faut à l’auteur, par instants, retrouver « sa » propre langue. D’où l’effet labyrinthique d’une telle fiction.

Tout est écrit dans le besoin d’écrire des sortes de répliques rapides créatrices d’une rythmique où les mots même courants se trouvent « ré-annexés » selon un propos sans doute insupportable pour un lectorat classique. Guyotat ose en effet l’excès non seulement de la langue mais de ce qu’elle crée. Et l’auteur de se « justifier » (si besoin était) : « Une grande œuvre, c’est effectivement une œuvre où il y a plutôt plus de choses que moins de choses. Il faut qu’il y ait de la musique dans la musique ».

L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la Fin du Monde, George Prochnik

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 28 Octobre 2016. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Biographie, Grasset

L’Impossible Exil. Stefan Zweig et la Fin du Monde, septembre 2016, trad. anglais (USA) Cécile Dutheil de la Rochère, 448 pages, 23 € . Ecrivain(s): George Prochnik Edition: Grasset

Sous-titré Stefan Zweig et la Fin du Monde, L’Impossible Exil tient à la fois de l’essai, d’une mise en scène de l’auteur et de la biographie : George Prochnik, professeur de littérature anglaise et américaine à la Hebrew University of Jerusalem, entremêle au fil des pages des considérations sur l’exil, son expérience propre (ainsi que celle de sa famille, son père ayant fui le régime nazi à son arrivée en Autriche) et narration de la vie de Stefan Zweig (1881-1942). En quelque quatre cents pages, Prochnik tente de pénétrer l’esprit de l’auteur du Monde d’Hier, cette élégie à un monde culturellement riche et cosmopolite que Zweig vit disparaître à l’avènement du régime nazi, durant ses années d’exil, à partir de 1934. Prochnik suit les traces de l’exilé, entre Vienne, les Etats-Unis, le Brésil et le Comté de Westchester, visitant des maisons, rencontrant des témoins ; il le suit aussi au travers de sa correspondance avec ses amis européens et américains ; il le suit de même en citant ou en paraphrasant abondamment Le Monde d’Hier, l’œuvre testamentaire de Zweig, définitivement un des plus beaux livres du vingtième siècle ; il le suit enfin tel un détective privé, allant jusqu’à tâcher de retirer du sens de son suicide, de la mise en scène de celui-ci, photos à l’appui.

Deviens ce que tu es, Pour une vie philosophique, Dorian Astor

Ecrit par Guy Donikian , le Vendredi, 28 Octobre 2016. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Autrement

Deviens ce que tu es, Pour une vie philosophique, septembre 2016, 161 pages, 14,90 € . Ecrivain(s): Dorian Astor Edition: Autrement

 

Chacun connaît cette injonction célèbre « deviens ce que tu es », et chacun l’attribue généralement à Nietzsche. C’est pourtant le poète grec Pindare qui l’écrivit il y a vingt cinq siècles, et elle fut reprise et commentée par Socrate, Rousseau, Deleuze, et fut le socle sur quoi le surhomme de Nietzsche devait se fonder.

Commenter cette injonction consiste tout d’abord à refaire l’histoire des commentaires qu’elle a suscités pour en saisir toute l’épaisseur acquise dans le temps, et repérer les strates accumulées d’un penseur à l’autre, d’un siècle à l’autre. Cela conduit aussi à poser la question de la connaissance de soi, car le « deviens ce que tu es » suppose qu’on ne connaisse pas ce que l’on est. Après avoir dépassé ce questionnement, avec notamment le « connais-toi toi-même », que Socrate avait fait sien et pour qui la connaissance de soi peut aboutir à la sagesse, Dorian Astor propose quelques pistes qu’il ouvre pour les refermer ; ainsi se demander ce que l’on devient en devenant ce que l’on est ne peut souffrir un juste milieu comme le disait Pascal cité par l’auteur :

Auteurs vivants, Emmanuel Darley

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 28 Octobre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Actes Sud/Papiers

Auteurs vivants, 54 pages, 11 € . Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers

 

En octobre 1663, Molière joue devant le roi L’impromptu de Versailles, comédie en prose et en un acte dans laquelle il met en abyme le travail d’une répétition avec sa troupe. Il règle ses comptes avec la troupe de l’hôtel de Bourgogne et avec les détracteurs de sa pièce, L’école des femmes. Emmanuel Darley participe lui, en 2006, au projet d’une trilogie du Théâtre au présent, aux côtés de Yves Gourmelon et Lydie Parisse, intitulée La répétition publique. Le texte d’Emmanuel Darley correspond au deuxième opus de l’ensemble Théâtre contemporain qui édité deviendra Auteurs vivants. Son entreprise n’est pas sans rappeler celle de Molière puisqu’il s’agit là aussi d’une répétition comme l’indique la didascalie initiale : « Deux sur la scène en costume de ville. Texte en main. Ils vont et viennent ».

Cette répétition d’ailleurs constituera l’unité du propos. Les personnages appartiennent évidemment au monde du plateau : les comédiens André, Maurice, Madeleine (avatar contemporain de la mademoiselle Béjart de Molière), le metteur en scène, Marc-Antoine, lui aussi sans doute souvenir de l’Antony de Shakespeare et enfin l’auteur contemporain qui « terrorise » la petite troupe répétant Le Cid de Corneille, le bien nommé Cagoule. Les spectateurs (les vrais dans la salle) quant à eux jouent le rôle que Darley leur assigne.

Bondrée, Andrée A. Michaud

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 27 Octobre 2016. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Rivages

Bondrée, septembre 2016, 362 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Andrée A. Michaud Edition: Rivages

 

Roman sublime de l’entre-deux : entre deux pays, entre deux langues, entre deux lolitas, entre deux regards, entre deux lumières. Bondrée se tend dans une nébuleuse fascinante, où les personnages, les événements, les lieux sont tous nimbés de mystère, d’insaisissable, de replis sombres et dangereux. Zaza, Sissy, deux jeunes filles lumineuses éteintes à jamais, peut-être à cause de leur luminosité qui heurte de plein fouet les zones d’ombre des hommes ? Andrée A. Michaud (la jeune narratrice se prénomme Andrée et l’inspecteur chargé de l’enquête se nomme Michaud, sans compter un personnage nommé Ed McBain !) joue avec une dextérité fabuleuse des contrastes les plus marqués : à commencer par le cadre même, Bondrée (Boundary) où le soleil d’une station balnéaire située à la frontière du Maine (USA) et du Québec, et les noirceurs soudaines du ciel qui apportent de violents et brefs orages, constituent une parfaite métaphore du drame qui va s’y jouer. Contraste aussi, la compassion qui anime les cœurs de la petite communauté de vacanciers et la concupiscence des regards masculins sur les très jeunes filles – voire la jalousie des femmes plus mûres. Tout, dans cette histoire, est frontière, mélange. Entre-deux disions-nous.