Identification

Les Livres

Blancs, Brigitte Mugel ; Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 09 Septembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Blancs, Brigitte Mugel ; Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau ; éditions PhB, 2019, 10 €

 

J’ai hésité à intituler cette présentation succincte de deux livres que publient les éditions PhB récemment, en questionnant la douleur d’être, qui, me semble-t-il, est inhérente à la personnalité d’un poète. J’ai fini par rassembler mes idées sous l’égide de la fondation, ce qui revenait à dire l’objet réel de mon sentiment. Car c’est bel et bien ce que je retiens des deux lectures des poèmes de Brigitte Mugel et de Philippe Thireau : quelles sont les fondations d’un poète ?

Je me pencherai tout d’abord sur Blancs, livre qui débute sur une série de poèmes qui utilisent le substantif : tête. Donc l’endroit où siège l’intellect, et aussi où habite l’âme, en tous cas, l’esprit de la poétesse. Est-ce conscience de la mort ? est-ce le siège de l’amour ? est-ce une description du corps ? Toutes ces notions se mélangent pour aboutir à ce mot qui revient essentiellement au début du recueil : la tête. Et peut-être est-ce cela qui permet de rentrer dans la matière du poème, rentrer par la tête donc par la partie anatomique qui assure techniquement la possibilité de la lecture.

Le Général a disparu, Georges-Marc Benamou (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans Les Livres, La Une Livres, Roman, Grasset, La rentrée littéraire

Le Général a disparu, août 2019, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Georges-Marc Benamou Edition: Grasset

 

« Il n’a pas fermé l’œil depuis dix jours ; et cela se lit sur ce masque dont les cernes semblent marquées au burin ; ces yeux rougis, enfoncés, minuscules qui accentuent le caractère éléphantesque de sa physionomie. Depuis les évènements, et son retour de Roumanie, il a passé toutes ses nuits en alerte, dans la pénombre du Salon doré, en robe de chambre où, faute d’un gouvernement capable, il tenait là, en solitaire, ses réunions d’état-major ».

Le Général a disparu est le roman d’un Pays et d’un Vieux militaire. Nous sommes en mai 1968, ce mois qui fait trembler le Général, un mois de barricades et de révoltes, un mois où les pavés dansent, et où le doute se glisse dans les pensées du Président. Il consulte, il écoute. Ils sont tous là, autour du Général : Louis Joxe – allure chic du grand serviteur de l’Etat – Messmer – un légionnaire pour la vie –, Fouchet – cette âme molle dans une enveloppe de rugbyman –, et lui De Gaulle. De plus en plus seul, s’isolant, et cherchant une solution pour sortir de cette crise, de cette révolution, pour en sortir enfin.

Sélection du Prix littéraire de la vocation 2019 (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans Les Livres, La Une Livres

Jiazoku, Maëlle Lefèvre, Albin Michel, janvier 2019, 352 pages, 20 €

Deux pôles : Tokyo et son tristement célèbre quartier des yakusas (voyous), et Shanghai. Deux personnages : Kei, l’enfant japonais qui devait devenir chinois, et Fen, la jeune fille de Shanghai originaire, sans le savoir, du Japon. Tous deux sont nés de la même mère porteuse, tous deux sont amenés à se rencontrer. L’auteure retrace peu à peu leur parcours : celui de Kei croise ceux de Guan Yin, à la fois mère porteuse et déesse de la fécondité, du proxénète et père putatif Daisuke, de Bo la prostituée, du délinquant Narumi et de la junkie An, son autre sœur biologique. Celui de Fen rejoint le destin de riches collégiens ou celui de sa tante, la cheffe d’entreprise Meili. Quels liens peuvent unir les trois enfants d’une mère porteuse, dont les destinées livrées à elles-mêmes sont bien différentes ? Les hasards et nécessités croisés de la famile sont exprimés par le mot-valise du titre du roman, jiazoku, formé de jia en chinois et de kazoku en japonais, qui signifie famille. Ce roman d’une toute jeune auteure de dix-neuf ans, qui prend place de 2016 à 2035, et dont les jeunes héros sont à peine un peu plus âgés qu’elle en fin d’ouvrage, est un roman d’anticipation en matière de droit de la société et de la famille. Tendresse infinie et violence extrême s’y font jour, témoignant d’une justesse de ton romanesque.

Gaeska, Eiríkur Örn Norðdahl (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Métailié, La rentrée littéraire

Gaeska, septembre 2019, trad. de l’Islandais, Éric Boury, 274 pages, 18 € . Ecrivain(s): Eiríkur Örn Norðdahl Edition: Métailié

 

Un livre inattendu, totalement déjanté dans sa forme, son style et son propos. Voilà de quoi animer cette rentrée littéraire. Les femmes tombent des immeubles et se fracassent sur les trottoirs, les députés se réunissent en session sous les cris des manifestants, les volcans d’Islande grondent et les tempêtes de sable s’abattent sur le pays. Il n’y a aucune limite à l’imagination de Eiríkur Örn Norðdahl, aucune limite à son humour, aucune limite à son insolence. Ce livre fait du bien.

A travers le Maelström délirant des phrases de l’auteur, se compose peu à peu un vaste tableau critique, virulent, de notre époque et de nos sociétés occidentales. De la classe politique à ses opposants, des conservateurs aux révolutionnaires, des vieux aux jeunes, des intellectuels aux prolétaires, personne n’échappe à la vindicte de Norddahl. Il épingle avec une égale jouissance le ridicule des acteurs sociaux, soulignant les comportements collectifs et individuels dans leur absurdité.

Embrasements, Kamila Shamsie (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman, Actes Sud, La rentrée littéraire

Embrasements, septembre 2019, trad. anglais (Pakistan) Éric Auzoux, 320 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Kamila Shamsie Edition: Actes Sud

 

La réfutation

Embrasements, de l’anglo-pakistanaise Kamila Shamsie, débute sur une scène d’humiliation provoquée par un interrogatoire kafkaïen mené sans ménagement par des fonctionnaires anglais de l’immigration. La vie d’Isma, la protagoniste, est passée au crible, et le lecteur est averti d’emblée de la façon dont les Européens traitent ceux qu’ils désignent comme Arabes et musulmans (les questions posées par cette police sont par ailleurs d’une rare stupidité). Isolée aux États-Unis, c’est depuis l’ordinateur que la jeune femme reprend contact avec les siens. Le mode opératoire de correspondance se fait par « la fenêtre Skype ». Les remarques d’Isma se trouvent souvent en contradiction, entre réfutation et assentiment. Il est difficile de déterminer où débute la fiction et où commence le réel, ce qui corrobore à une sorte de récit-reportage, mi-inventé, mi-réaliste. Le ton est amer, parfois caustique. Par exemple, un idéal de beauté masculine est prôné par la locutrice, une « chevelure brune bien fournie, un teint bien clair ». La chevelure est chargée d’un pouvoir de séduction et d’exhibition de son intimité sexuelle, sous le poids d’un interdit (d’où le port du voile). Paradoxalement, la couleur noire, dans la symbolique des rêves en Islam, est le signe de la luxuriance, de la force ; en rêver est présage de bonheur.