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Les Livres

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum (par Gilles banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Albin Michel

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum, octobre 2018, 334 pages, 22 €

Il ne faut pas demander aux analogies plus qu’elles ne peuvent donner. Tout s’est cependant passé comme si, après l’émancipation des Juifs voulue par l’Ancien Régime finissant et mise en œuvre par la Révolution, après leur intégration roide à la société française, les trésors d’énergie, de subtilité et d’intelligence déployés à commenter ou, simplement, à méditer et à lire, dans la réclusion des « juiveries », la Torah, le Talmud, leurs commentaires et les commentaires de leurs commentaires, s’étaient orientés vers d’autres buts. Le processus d’émancipation, moins lisse qu’on ne se le représente, n’était lui-même pas exempt d’ambiguïtés, résumées par le terme de « régénération » qu’avait employé l’abbé Grégoire dans son célèbre mémoire présenté devant l’Académie de Metz. Que signifie cette idée de « régénération », si ce n’est que les Juifs auraient « dégénéré » en se repliant sur eux-mêmes (comme si ce repli avait résulté d’un choix collectif et d’une décision libre…) et que l’abandon de leurs particularismes (au premier rang desquels l’orthopraxie religieuse) les « régénérerait ».

Contes des sages persans, Leili Anvar (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 04 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Seuil, Contes

Contes des sages persans, Leili Anvar, novembre 2019, 240 pages, 19 € Edition: Seuil

 

Du fabuleux, du révéré

Chacun des trente-deux contes de ce recueil, traduits par Leili Anvar, commence par le leitmotiv « Il était une fois, et il n’était pas, sous la voûte azurée, au pays d’autrefois », litote poétique à la manière de la trame narrative que tisse Shéhérazade au long des Mille et une nuits. Le premier conte persan parle de la beauté absolue d’une reine (brune) dont la vue tue, telle une déesse antique, Méduse qui ensorcelle, stupéfie et foudroie ceux qui la regardent, ou Narcisse au féminin qui ne se noie pas dans son reflet mais le re-duplique afin que rayonne sa splendeur aux yeux de tous, par l’intermédiaire d’un miroir. Plus loin dans l’ouvrage, c’est l’éléphant, révéré par les Bouddhistes, ou bien incarnation de Ganesh, qui est sujet à controverse et admiration : « Ainsi, nous verrons dans l’éléphant le pilier, l’éventail, la gouttière, les branches du trône et davantage… », qui rappelle, en cela, le mythe de la caverne et celui de la révélation :

Une histoire de sang contaminé, Les disparus des années écarlates, Méda Seddik (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 04 Décembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Une histoire de sang contaminé, Les disparus des années écarlates, Méda Seddik, Les impliqués Editeur, septembre 2019, 212 pages, 20 €

 

Dès le prologue, le narrateur nous met la puce à l’oreille. C’est un matin ordinaire. Il est très tôt. Son radioréveil diffuse « une chanson de Marc Lavoine, Paris, qui me procurait une émotion mêlée à de la nostalgie ». Alors qu’il sort lentement de son sommeil, il entend à la radio qu’il est question de la distribution des produits sanguins contaminés dans le monde, principalement dans les pays du Sud, les plus pauvres bien entendu. Tout le monde médical et politique est en alerte. Il est très en colère, lui qui a été amené par les hasards de ses nominations à connaître tous les ravages de cette sombre affaire. Il a côtoyé de trop près des malades hémophiles, particulièrement des jeunes qui n’ont pas survécu à cette tragédie de l’apparition du sida, pour ne pas être révulsé par la méconnaissance de tous les intervenants qui s’emparent du sujet. « Mon exaspération était à son comble… Une boule au ventre me tenaillait depuis mon lever. Une envie de révolte, de cris, de soulagement ! ».

L’œil de la nuit, Pierre Péju (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mardi, 03 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

L’œil de la nuit, octobre 2019, 432 pages, 22 € . Ecrivain(s): Pierre Péju Edition: Gallimard

 

Dans le petit livret qui accompagne son dernier livre, Pierre Péju explique comment, en effectuant des recherches pour un roman qu’il souhaitait situer aux USA à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, il a découvert « par hasard » l’existence d’Horace W. Frink (1883-1936), psychiatre, adepte de l’hypnose, puis dès 1910, pionnier de l’introduction de la technique freudienne de psychanalyse en Amérique. La période sur laquelle il s’apprête à écrire est celle de tous les changements, économiques, culturels, technologiques, celle de tous les espoirs et de tous les possibles en matière de médecine. Une période aussi exaltante aux USA que singulièrement morbide en Europe avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, puis par un mouvement de balancier, celle d’une débauche d’extravagances pendant les années folles sur le vieux continent alors que les lois sur la prohibition dès janvier 1919 tentaient de « moraliser » la société et freiner les violences conjugales outre-Atlantique.

Le cœur battant du monde, Sébastien Spitzer (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 03 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel

Le cœur battant du monde, Sébastien Spitzer, août 2019, 445 pages, 21,90 € Edition: Albin Michel

 

Après Ces rêves qu’on piétine, Sébastien Spitzer signe un roman qui s’enracine dans le Londres de la seconde moitié du 19e siècle. C’est la révolution industrielle avec son lot d’innovations, de richesses accumulées et de misère inhérente à un système dévastateur du point de vue humain, révolution qui est ici un contexte qui devient un « personnage » essentiel.

Charlotte, une Irlandaise, débarque ainsi à Londres pour y trouver travail et logement. Les circonstances vont faire d’elle celle qui va élever le fils caché (jusque dans les années soixante) d’un certain Karl Marx. Telle est la structure du roman qui suit la vie de Freddy, le bâtard de Marx depuis sa naissance. Sa mère, la bonne de la famille Marx, accouche de Freddy, fruit d’une relation avec l’auteur du Capital alors que l’épouse était absente. Et c’est le premier paradoxe de ce texte qui dépeint un Marx théorisant, à force de travail acharné, les classes sociales que la révolution industrielle va user pour les unes, et favoriser pour les autres. C’est bien une morale bourgeoise qui va exclure de ce monde le fils illégitime dont on aura hâte de se débarrasser. Charlotte, qu’un hasard malheureux va faire rencontrer le docteur Malte, sera donc chargée de l’éducation de Freddy, allant jusqu’à la prostitution pour subvenir aux besoins quotidiens dans ce Londres où la misère le dispute aux révoltes.