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Les Livres

Ma muse n’est pas à vendre, Ivan Kouratov (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Poésie

Ma muse n’est pas à vendre, Ivan Kouratov, éditions Paradigme, octobre 2019, trad. komi, Yves Avril, 176 p. 19,80 €

Poésie authigène

Ma muse n’est pas à vendre est le titre de l’édition bilingue du chantre de la poésie komie, Ivan Kouratov (1834-1875), en-tête qui indique la volonté de probité du poète. Sébastien Cagnoli, dans sa préface, dresse un portrait rapide et concis de l’histoire du peuple komi ou zyriène, et de ses traditions orales et littéraires. Nous apprenons que la poésie est célébrée en tous lieux, voire « en plein centre commercial, le dimanche » (ce qui n’est, hélas, guère le cas en France !).

Yves Avril, le traducteur, nous renseigne sur le poète ainsi que sur la création « d’une langue littéraire (…) des peuples mal connus ou enfouis dans de puissants ensembles plus ou moins assimilateurs ».

Le premier poème commence par une ode au peuple et à la langue komis – un sonnet d’amour et d’espoir. L’eau, la barque présagent sans doute des péripéties terrestres, et le sapin figé profondément dans le sol, de la pérennité ou du destin. La forme octosyllabique revient souvent, mais les rimes sont irrégulières, il ne s’y trouve pas le même nombre de pieds ; certains vers sont élaborés en rimes croisées, qui alternent. Le sens est parfois prédicatif :

Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Contes, Fata Morgana

Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou, novembre 2019, ill. Loïc Le Groumellec, 104 pages, 18 € Edition: Fata Morgana

 

Philippe Le Guillou se fait scribe de ce fragment d’une légende (presque) dorée. Et l’auteur de préciser : « récitant d’une geste dont je module, à mon tour, les accents et les échos, je ressens pleinement ce passage de l’orée, cet état de panique joyeuse que m’a toujours inspiré la seule profération du mot “lisière” ». Dès lors l’auteur invente la psychologie de son héros. Il vit à l’épreuve de celle-ci. Et habitant son personnage de l’intérieur, il l’imagine « rempli de cette frayeur religieuse qui gagne les nomades sacrés et les pérégrins… ».

Néanmoins l’auteur ne se laisse pas envahir totalement par ce sombre héros proche d’un lointain : « mon personnage appartient à l’Antiquité, c’est un vir que ne tourmentent ni la peur physique ni la fragilité si féminine, c’est un homme accompli, dans la splendeur de sa force, un guerrier, un chasseur ». Celui-ci troue l’éternité. Il montrerait facilement à l’assassin le chemin, et laisse au besoin monter la voix de l’animal. Il sait repérer au sol une trace même lorsque des ogres brouillent les cartes et des prélats moulinent leurs orgues à prières.

Le Drageoir aux épices, Joris-Karl Huysmans (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 09 Décembre 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Drageoir aux épices, Joris-Karl Huysmans, Poésie/Gallimard, octobre 2019, 288 pages, 9,30 €

 

Regard

Parcourir les poèmes du Drageoir aux épices est une source continuelle d’interrogations. En effet, ces textes sont une matière poétique profuse, parfois ambiguë où le regard joue un rôle essentiel. Car cette poésie, qui vacille entre le confinement de la description littéraire, telle que Huysmans le pratique dans son œuvre romanesque – et particulièrement dans À rebours – et le réalisme, voire un naturalisme qui viendrait de Zola et des soirées de Médan, d’un Zola non documenté, est juste appareillée d’une vision personnelle du monde. Cette poésie ébranle le statut du texte poétique. Bien sûr on songe au Spleen de Paris qui, à bien des égards, fait le lit d’une matière toute neuve et vive – et qui résiste au vérisme malgré tout et impose une modernité augurale. Ou encore au Gaspard de la nuit, lequel défriche le terrain nouveau de la poésie en prose, et ici sans perdre de l’étrangeté nécessaire à la poésie. Textes donc qui tremblent entre réalisme et refuge confiné. Et ce tremblement de la lecture qui opère aujourd’hui encore fait le lit des questions où on ne cesse de prendre parti de la langue contre la réalité, puis de la réalité contre le langage, acrobatie qui nous conduit dans un Paris de 1870, calfeutré et digne d’un des Esseintes.

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, L'Âge d'Homme

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier, octobre 2019, 200 pages, 22 € Edition: L'Âge d'Homme

 

« Pour un écrivain, Paris est peuplé de fantômes. Des fantômes familiers, silencieux, bienveillants. Nous sommes dans l’ancien hôtel particulier de Beaumarchais, où l’écrivain, musicien, homme d’affaires, mais aussi marchand d’armes et espion, aimait se réfugier quand les fâcheux le harcelaient » (Simone Gallimard).

Eloge des fantômes est un merveilleux livre, habité de fantômes admirés, rendus à la vie par la plume miraculeuse de Jean-Michel Olivier. Des portraits d’écrivains, de penseurs, d’éditeurs, de graveurs que l’auteur a croisés, longuement ou furtivement, et admirés. Des artistes devenus des amis d’un temps passé, des complices en lettres, et en art éphémère, dont il a partagé des instants de complicité, de travail, qu’il décrit comme l’on décrit un miracle, une visite, un éblouissement, mais aussi une profonde tristesse lorsqu’il apprend leur disparition.

Cavalerie rouge, Isaac Babel (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, Gallimard

Cavalerie rouge, Isaac Babel, février 2019, trad. russe Maurice Parijanine, 224 pages, 9,50 € Edition: Gallimard

 

La prose incandescente de Babel introduit sa braise jusqu’au fond de l’âme. Nouvelliste fabuleux – on connaît ses contes d’Odessa – Babel reste nouvelliste dans ce qui ici se présente comme un roman. Le narrateur en effet est toujours le même personnage (largement autobiographique) et le « roman » raconte des épisodes de la guerre révolutionnaire qui conduisit les régiments de partisans au front, pour la défense de la jeune patrie socialiste, sous le commandement de Boudienny, contre les assauts des Blancs, les contre-révolutionnaires.

C’est donc du cœur de l’Armée Rouge que le soldat Babel nous raconte ces récits de guerre. Ce sont de véritables nouvelles, comportant chacune un thème, une histoire, une fin. Le narrateur se fait l’écho d’une Russie en pleine révolution. Pas seulement la révolution que l’Histoire nous rapporte, celle d’Octobre 1917, mais la révolution qui bouleverse les hommes et les femmes de Russie, change leur vision du monde, efface radicalement la faiblesse et l’asservissement pour laisser place à un homme nouveau, avec ce que ça induit de bien et de mal, de progrès et de régression, de Diable et de Bon Dieu.