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Souvenirs dormants, Patrick Modiano

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 06 Décembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Souvenirs dormants, octobre 2017, 112 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard

 

Quand on ouvre un roman de Patrick Modiano, nous avons souvent la sensation de feuilleter à chaque fois le même livre. À chaque fois, nous ressentons un sentiment de déjà vu. À chaque fois, nous repassons sur les mêmes trajets, nous redécouvrons certains personnages. Nous sillonnons les mêmes lieux habités par des souvenirs semblables.

Oui, c’est le même univers mais, à chaque fois, pourtant, l’auteur, en avançant au fil du temps, creuse plus profondément ses obsessions. « Parfois, dans mes rêves, et même à l’instant présent où j’écris, je sens dans ma main droite le poids de cette valise, comme une vieille blessure cicatrisée mais dont la douleur vous élance en hiver ou les jours de pluie ».

En déroulant les pages du nouveau roman de Patrick Modiano, Souvenirs dormants, le lecteur pourrait avoir le sentiment de contempler un homme d’un certain âge, enfoncé dans un confortable fauteuil de cuir, le regard fixé sur un grand écran blanc où serait projeté un film en noir et blanc qui ferait défiler sa vie et qu’il se repasserait en boucle, tard dans la nuit, pour, dans le déroulé des jours, transcrire toutes ses images sur une page blanche.

Le fils de la montagne froide, Han Shan

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 06 Décembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Asie, Poésie, Editions de la Différence

Le fils de la montagne froide, trad. chinois Daniel Giraud, 128 pages, 8 € . Ecrivain(s): Han Shan Edition: Editions de la Différence

 

Han Shan, dont on ne connaît ni les dates de naissance et de mort, a vécu au VIIe siècle de notre ère. Y-a-t-il eu un ou deux Han Shan ? Les historiens divergent, à ce propos.

En tout cas, Montfroid (Han Shan, montagne froide) est un poète de premier plan, qui, ermite, vagabond, laissé-pour-compte, a donné au poème bref de fameuses lettres de noblesse pour traiter de thèmes universels : la montagne-refuge, le passage du temps, le temps des livres, celui des amis, la nature, les oiseaux, l’errance propre à ces poètes extrême-orientaux (dans le droit fil de Han Shan, combien d’autres !).

La lucidité, l’intelligence des propos, l’économie des moyens mis en œuvre font que cette poésie élève, se reconnaisse comme insigne.

Remarquables, en effet, ces notations prises sur le vif, consignées sur les rochers de la pérégrination. Remarquable cette vision du monde, où la solitude est matière porteuse au même titre que les objets des rencontres : pépiements d’oiseaux, rochers, arbres.

Dernières nouvelles, Jim Harrison

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 05 Décembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Flammarion

Dernières nouvelles, octobre 2017, trad. anglais (USA) Brice Matthieussent, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Flammarion

 

Aucun général ne devrait mourir ailleurs que sur le champ de bataille et aucun écrivain ailleurs qu’à sa table de travail, parce que ce sont les lieux où s’accomplit leur destin. Jim Harrison est mort le 26 mars 2016, comme doivent mourir les écrivains, à son bureau, en train de composer un poème. Il avait soixante-dix-huit ans. Les quantités de nourriture, d’alcool et de tabac qu’il absorba au cours de sa relativement longue existence étaient un défi lancé à toutes les normes diététiques et hygiénistes mises en œuvre dans son pays, puis importées en Europe : « ne pas manger trop gras trop salé trop sucré cinq fruits et légumes par jour à consommer avec modération manger bouger fumer tue ». Mais nous ne sommes pas seulement redevables aux États-Unis de cette litanie déprimante. Nous leur devons également, entre autres choses, l’œuvre de Jim Harrison, qui excellait dans la composition de novellas, des récits plus longs que des nouvelles au sens classique du mot, mais plus courts que des romans ; le plus célèbre étant Légende d’automne. Ces Dernières nouvelles recueillent les trois ultimes récits écrits par Jim Harrison au moment de sa disparition.

Avant tout, se poser les bonnes questions, Ginevra Lamberti

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mardi, 05 Décembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Serpent à plumes, Italie

Avant tout, se poser les bonnes questions, août 2017, trad. Italien Irene Rondanini, Pierre Bisiou, 217 pages, 18 € . Ecrivain(s): Ginevra Lamberti Edition: Le Serpent à plumes

Sacrée Gaia !

« Aujourd’hui je me suis levée, j’ai ouvert la porte de chez moi et je suis sortie dehors, dans la vallée où je vis ». Cet incipit donne au roman son cadre, dans le temps et l’espace. Le thème « aujour­d’hui je me suis levée » reviendra en refrain tout au long du roman comme pour témoigner de l’esprit qui anime la narratrice et lui dicte son ton, cette femme dont nous n’apprendrons le nom, Gaia, qu’à la page 28, un choix qui ne peut pas être innocent, avec sa référence à la mythologie grecque : c’est la Terre en personne, la Terra Mater des Latins.

Vivant en Vénétie, Gaia relate son quotidien dans ce qu’elle appelle la vallée, un monde isolé, aux antipodes de la vie urbaine et civilisée. S’ennuyant, mais non sans une certaine allégresse, elle promène un drôle de regard sur son entourage. Sous sa plume, son père n’est nommé que géniteur, sa mère que génitrice. Après le départ de Grand-mère-d’en-haut et de Grand-père-d’en-haut, elle reste seule à la maison avec sa « génitrice » et livre des aperçus sur sa vision des choses qu’elle se réserve de développer plus tard : « nous donnerons de plus amples détails par la suite ». Elle est consciente de sa différence et du regard des autres.

Le fou du roi, Mahi Binebine

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 04 Décembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Stock

Le fou du roi, mars 2017, 170 pages, 18 € . Ecrivain(s): Mahi Binebine Edition: Stock

 

Le fou du roi est une des belles surprises de la rentrée. Le héros est ancré dans un réel cruel mais son histoire en devient l’allégorie. Le romancier nommé « le griot de Marrakech » fait retour à l’autobiographie en contournant l’abîme de l’autofiction. Se retrouve ici le père du narrateur. Il a quitté femme et enfants pour servir son Monarque. Mais le frère officier banni est envoyé croupir par le même roi dans les terribles geôles du sud-marocain à Tazmamart après le coup d’État raté de Skhiraten.

Le jeu de la réalité fait celui de la fiction. Mais l’inverse est tout aussi vrai en ce roman singulier et presque incroyable. Comme le rappelle l’auteur, « Tout est donc réalité en étant fiction absolue ». Devenu le « fqi », titre qui désigne un savant voué à distraire le roi par ses impertinences et ses poèmes, il cherche à plaire au souverain. Par son regard, le conte devient une satire acérée tout en cultivant une certaine componction. L’auteur précise son but : « La cour de Hassan II ressemblait à celle du Roi-Soleil (…) mais je n’ai attaqué personne. Pour preuve, le narrateur est le fou du roi. Et il est fou amoureux de son maître ». Binebine ajoute : « S’il m’est arrivé de sortir les griffes, c’est en rusant pour ne pas trahir la logique de la narration ». C’est réussi.