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Critiques

Circonvolutions (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes), Stéphane Sangral (par Claire-Neige Jaunet)

Ecrit par Claire-Neige Jaunet , le Lundi, 11 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions Galilée

Circonvolutions (Soixante-dix variations autour d’elles-mêmes) . Ecrivain(s): Stéphane Sangral Edition: Editions Galilée

Le recueil de Stéphane Sangral Circonvolutions nous conduit là où l’on peut s’étonner de l’espace et du temps, et même de son propre corps, de sa pensée, de sa conscience, de tous ces « souterrains » où le vide et le plein, le fini et l’infini, le beau et le laid, l’absurde et la cohérence, le grand et le petit, l’absence et la présence, ne cessent de se renvoyer l’un à l’autre. Et le texte qui dit tout cela n’est-il pas lui aussi « étrange », et « étranger » à cela même qui le produit et à celui-là même qui l’écrit ?

Qu’est-il, ce texte, s’interroge le poète : un « sursis bien trop court », un creuset qui accueille le désespoir, l’épuisement, l’ennui, l’« incapacité de lire le réel », le « leurre de la conscience », le regret de « se gâcher la vie par l’angoisse de sa fin », la fragilité de la « représentation » qui permet aux idées de ne tenir « en équilibre » que durant un moment limité… Le texte est une mise « à nu » totale : s’il permet de « mourir un peu moins » et de répondre au « besoin de faire puisque je ne sais pas être », une « absence » cependant s’affirme « sous la forme », le « cercle vicieux du Rien » (et « du Tout ») et « le tapis roulant du temps » s’y invitent et inscrivent la mort dans chaque circonvolution. Entre révélation et dissimulation, le texte est recherche de « L’Un », alors que bruissent des voix que seule une construction polyphonique peut donner à entendre.

Le Pays des petites pluies, Mary Austin (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 08 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Le Mot et le Reste

Le Pays des petites pluies, février 2019, trad. et préface, François Specq, 190 pages, 8,90 € . Ecrivain(s): Mary Austin Edition: Le Mot et le Reste

 

La pionnière

Les éditions Le Mot et le Reste nous donnent à lire l’ouvrage lumineux de Mary Austin (1868-1934), Le Pays des petites pluies, dans lequel le paysage est le sujet du récit, « pays des frontières perdues » soumis l’été à « un intolérable éblouissement solaire ». Et pourtant il y pleut. Il y a des couleurs, des plus claires aux plus obscures, des formes, des plus élevées aux plus abyssales. Des accalmies et des tempêtes. De la chaleur intense et du gel. Et l’Indien veille, résiste, fier, dans la Vallée de la Mort. L’essence même de la vie sur terre trouve son accomplissement dans ce « véritable désert ». C’est une leçon de nature, presque une parthénogenèse dans laquelle certaines espèces s’auto-multiplient, s’épanouissent, non dans le chaos mais dans l’ordre primordial. Mary Austin identifie chaque arpent de cette terre de l’Ouest américain, l’inventorie, en confectionne un herbier vivace. Elle décrit avec délicatesse les vibrations de la végétation, les plantes adaptées à la sécheresse ou aux milieux aquatiques, les végétaux d’altitude, leurs types biologiques, le pelage des petites bêtes de cette région ; d’où un amour et une compassion à l’égard des espèces du monde végétal et animal.

Il nous faudrait des mots nouveaux, Laurent Nunez (par Robert Sctrick)

Ecrit par Robert Sctrick , le Vendredi, 08 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Il nous faudrait des mots nouveaux, Les Éditions du Cerf, août 2018, 192 pages, 14 € . Ecrivain(s): Laurent Nunez

 

Il est périlleux de mettre en avant, pour s’y abriter ou pour en faire un fil d’Ariane, la catégorie du performatif, si prisée quand il s’agit de parler du langage. Qui se risque à dire que « dire c’est faire », s’institue comme sujet agissant, puisqu’il ne fait jamais que déclarer, ès qualités, que la séance est ouverte, ou que, ceci, tout compte fait, est une pipe. Et on pourrait lui rétorquer que voilà bien du bruit pour pas grand-chose, et pour qui se prend-il ? Par bonheur, tout n’est pas performatif. C’est la vulgate : il y a loin, dit-on, de « à 9h05, vous êtes en garde à vue » à « à 9h05 commence le cours de philo ». Voire ! Si l’on accorde quelque pertinence au langage, on peut se demander si tout ce qui constate ou informe ne le fait pas comme les radars du bord des routes, avec quelque arrière-pensée disant que le procès, tout verbal qu’il est, va dégénérer en action, et en action contre, pour le coup. Mais tant de choses ont été dites là-dessus que les répéter nous écarterait du propos savant de Laurent Nunez. Lequel, d’ailleurs, se soucie fort peu de théoriser – il laisse cela aux pédants, qui s’en mordent déjà les doigts.

Le Christ selon Pasolini, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 08 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Anthologie

Le Christ selon Pasolini, Bayard, mai 2018, 502 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): René de Ceccatty

 

L’italianiste réputé, qui vient de traduire Pétrarque, qui accompagne le travail d’Adonis, qui vient de consacrer à la Morante sa première biographie francophone, est sans doute le mieux placé pour, de nouveau, offrir aux lecteurs de PPP, après quelques anthologies de renom, La persécution ; Adulte ? Jamais, au Seuil, et une biographie (dans la coll. dirigée par de Cortanze), une approche encore plus précise du romancier-poète-cinéaste-essayiste italien, né en 1922 et assassiné en novembre 1975.

Les thèmes religieux, catholiques, la Vierge, les évangiles, le Pape (ici Pie XII, détesté) offrent nombre de textes à cette anthologie placée sous le signe des poèmes et des films, qui ont des liens sourds et affichés avec le Christ. Le film de 1964, la fameuse épigramme « à un Pape » qui fit scandale (pour évoquer un misérable et Pie XII, du même âge, et au destin aux antipodes) sont quelques-uns des points forts de ce volume copieux, qui en apprend encore sur le parcours d’un auteur hyperdoué, sensible, d’une intelligence supérieure (il suffit de relire les Ecrits corsaires), d’un sens inné de la justice (en quoi l’Italie le remercia mal : il fut lui-même « persécuté »), et profondément prophétique.

Ce que cela coûte, Wilfred Charles Heinz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Mars 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Monsieur Toussaint Louverture

Ce que cela coûte, février 2019, trad. anglais (USA) Emmanuelle et Philippe Aronson, 384 pages, 24 € . Ecrivain(s): Wilfred Charles Heinz Edition: Monsieur Toussaint Louverture

 

Monsieur Toussaint Louverture continue à nous surprendre avec des œuvres oubliées et plus stupéfiantes les unes que les autres. Avec ce roman – est-ce un roman, un récit fictionnel ? – nous sommes dans le monde âpre et mâle de la boxe dans les années 1950. Un journaliste sportif Franck Hugues, va suivre pendant trois semaines la préparation, l’entraînement minutieux d’un superbe boxeur, Eddie Brown, avant son prochain match où se jouera le titre de champion du monde des poids moyens. Nous suivrons ainsi avec lui la vie quotidienne dans un hôtel-restaurant spécialisé, à quelques kilomètres de New-York, avec salle d’entraînement équipée. Eddie Brown n’est pas le seul boxeur en préparation pour des rencontres, même s’il est le plus grand espoir de la boxe de son temps. Ces boxeurs sont entourés de leurs coaches, leurs médecins, leurs sparring-partners – c’est donc une petite colonie que le narrateur Franck Hugues va observer pendant cette période. Observer au détail près, comme le ferait un peu un anthropologue devant une étrange peuplade.