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Les Chroniques

A propos de "L'Esprit du Judaïsme" de Bernard-Henri Lévy, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 03 Mars 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Bernard-Henri Lévy est en fin de compte peu philosophe. Ce qui n’enlève rien à la valeur de l’homme, ni à ses œuvres, ni même à… son agrégation de philosophie. Ses modes de pensée, ses interventions médiatiques, son implication sur le théâtre de quelques tragédies mondiales, font de lui – et encore une fois cela est un grand mérite – un témoin, un journaliste, un écrivain, un militant. Jamais un philosophe. En fait le débat philosophique visiblement l’ennuie. Le dernier exemple en date est la manière dont il exclut de ce livre le grand Spinoza – qui pourtant est central dans la construction de la figure du Juif d’Europe. Nous y reviendrons mais, Spinoza sort de son champ de pensée parce qu’il est « trop » philosophe : il néglige la synagogue (la « communauté ») pour ne s’intéresser qu’à la quête de la vérité de Dieu – sa liberté. Or BHL, comme l’homme de conviction qu’il est, mène combat contre ce qu’il appelle « le nouvel antisémitisme », et doit, par conséquent, plonger son propos dans la réalité culturelle et cultuelle de la communauté juive de France. Dans la synagogue, quand Spinoza est (par lui-même et contre lui-même) hors la synagogue. Spinoza se situe « sub species aeternitatis ». BHL regarde « Hic et Nunc ». Spinoza est un philosophe. BHL un homme de pensée tendu vers l’action immédiate. Il est donc un peu tout (et souvent de façon valeureuse) sauf philosophe.

Henry James chez Rivages Poche

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 19 Février 2016. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Le Siège de Londres, et Autres Nouvelles, Henry James, Rivages, janvier 2016, trad. anglais (USA) Jean Pavans, 480 pages, 9,20 € ; La Tour d’Ivoire, trad. anglais (USA) Jean Pavans, 326 pages, 9,20 € ; Mémoires d’un Jeune Garçon, trad. anglais (USA) Christine Bouvart, 384 pages, 9 € ; janvier 2016, Rivages.

 

Le 28 février 1916, à l’âge de soixante-treize ans, l’auteur américain Henry James rendait l’âme et la plume à son Créateur, après l’avoir plus que dignement servi par une grande quantité d’écrits, surtout des nouvelles et des romans, dont la plupart conservent aujourd’hui une pertinence rare. Il n’est que de voir la récente (2012) adaptation et transposition à l’époque contemporaine du roman Ce que Savait Maisie (1897) pour se rendre compte du génie d’observation d’Henry James et de la modernité absolue de son regard : qui aurait pensé à écrire un divorce, phénomène que l’auteur observe autour de lui en pleine expansion, et toutes ses dérives, du point de vue de l’enfant ? Un fin observateur de l’espèce humaine dans sa variante protestante nord-américaine et européenne, ni plus, ni moins.

Un coup de vent - Journal de lecture du Don Quichotte en la Pléiade (6)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 18 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Nous voilà arrivés au plus célébrissime tableau des prouesses de notre chevalier : son combat contre les moulins à vent. Un épisode si exemplaire qu’il en est devenu proverbial. Au delà de la farce évidente, la question peut être soulevée de ce qui fait que cette déroute-là est devenue emblématique de l’œuvre. Fuyant tous les commentaires existant, le lecteur essaye de faire le ménage dans les images, réminiscences, allusions, références partielles et partiales qui peuvent malgré lui revenir concernant cette histoire de combat contre des moulins pris pour des géants. Tenter d’arriver le plus vierge et disponible possible au texte et à l’histoire. Non pas s’imaginer ou essayer de se prendre pour le lecteur d’il y a quatre siècles, mais simplement essayer d’être un lecteur détaché de tout ce qui peut faire commentaire et qui précéderait à l’œuvre elle-même, la transformant en une espèce de commentaire sur le commentaire de l’œuvre et sur l’œuvre elle-même. Puisse le vent qui fait tourner les moulins faire un peu le vide et permettre une lecture qui ne puisse surtout pas dire « oui, oui, je sais » et qui ne se rassure pas dans la confirmation de ses connaissances et de son opinion. Que le vent souffle et qu’il nous transporte au côté des personnages, poussant au loin notre voix importune, effaçant la rumeur bruissante des exégèses, des interprétations et des possibles trahisons.

Une pause dans le feuilleton Russell

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Samedi, 13 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Sils-Maria

Ici j’étais assis, à attendre,

Attendre, mais à n’attendre rien,

Par-delà bien et mal, à savourer tantôt

La lumière, tantôt l’ombre,

N’étant moi-même tout entier que jeu,

Que lac, que midi, que temps sans but.

 

Lorsque soudain, amie ! un se fit deux

– Et Zarathoustra passa auprès de moi.

 

Nietzsche, Le Gai savoir

Une folie utilement inutile ? - Journal de lecture du Don Quichotte en la Pléiade (5)

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 12 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

L’autodafé ne suffira point pour ceux qui craignent la folie de leur « bon ami », il faudra ajouter un conte à l’échelle de celle-ci et rejeter les fables dans leur monde de fables, les livres dans l’oubli de l’imaginaire. Non content de neutraliser le chevalier et de profiter de son sommeil pour brûler quelques livres (mais pas tous, il faut le souligner), le projet est de les faire disparaître, de les rendre inaccessibles, de les faire oublier. Une bibliothèque murée, le récit d’un enchanteur qui l’aurait fait disparaître et le tour serait joué ? La destruction n’est donc pas si puissante contre la fiction et la littérature qu’il faille encore inventer une nouvelle fiction, somme toute assez littéraire, pour la repousser au loin… Paradoxale défense qui fait adopter la menace comme arme, qui prétend utiliser le fléau même contre lui-même. Le récit et ses personnages ne cachent-ils pas en fait une impuissance vis à vis de cet objet qui décidément les dépasse. La fiction et l’imaginaire comme recours contre la fiction et l’imaginaire ! Voilà un paradoxe qui ne peut que réjouir les lecteurs que nous sommes.