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Les Chroniques

Le présent sacré à propos de Tracé du vivant de Marie-Claire Bancquart

Ecrit par Didier Ayres , le Samedi, 02 Juillet 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Tracé du vivant de Marie-Claire Bancquart, Arfuyen, 2016, 11€

 

Comme j’essayais d’aborder ce livre reçu il y a peu, j’ai cherché une manière originale de l’atteindre. Pour finir, j’ai agi tout simplement en considérant la couverture. Car ce Tracé du vivant s’ouvre sur un fac-similé d’une partition manuscrite d’Alain Bancquart, l’époux de la poétesse. J’étais ainsi déjà d’emblée en compagnie d’une écriture sobre et élégante. Mais, pas seulement, car cette lecture du recueil que publie Marie-Claire Bancquart dans la collection des Cahiers d’Arfuyen, cette année, recèle de grandes questions métaphysiques, essentiellement sur le temps et la mort. D’ailleurs ce goût de mort pousse à la sagesse ; là, l’écoulement du temps revient à observer le temps qui passe, heures, jours, années, saisons qui se reflètent et s’entremêlent au point de laisser le poème encore assez ouvert à la vie – comme l’y invite Levinas par exemple, au sujet de soi, d’un soi-même étant toujours ouvert, jusqu’à la blessure, jusqu’à autrui.

Pierre Pachet, Tlemcen, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 30 Juin 2016. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Au coeur d’un souvenir lointain de ciel bleu foncé, je retrouve Pierre Pachet avec ses yeux, bleus aussi, comme il y en avait peu autour de nous à Tlemcen. Tlemcen, belle cité de l’ouest algérien, où Pierre venait – il devait avoir 22 ou 23 ans - effectuer son service militaire. Plutôt civil en fait, car comme de nombreux jeunes intellectuels français, il avait fait le choix d’enseigner « aux colonies ». Je fus ainsi l’un des tout premiers élèves de Pierre Pachet, qui comptait alors au nombre des plus jeunes agrégés de France.

Nous, les jeunes gars de 3ème B2 du lycée de la ville (curieusement appelé « lycée franco-musulman » faisait remarquer Pierre dans un entretien récent à la Cause Littéraire), nous n’avions jamais vu de professeur si jeune, si frêle, si posé. Il n’eut jamais à élever la voix pour établir son autorité sur nous ; l’assurance de son savoir, la force de sa culture, sa bienveillance souriante mais exigeante ont amplement suffi à prendre la main sur les 43 (!) élèves de la classe, des garçons pourtant solides et volontiers dissipés. Pierre avait un intérêt spontané pour ses élèves et établissait ainsi avec nous une sorte de complicité, presque de classe d’âge (nous n’avions après tout qu’une dizaine d’années d’écart).

Et si le réel était le masque du songe ?, Gilles Plazy, par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Mercredi, 29 Juin 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Et si le réel était le masque du songe ?, Gilles Plazy, éd. La Sirène étoilée, avril 2016, 37 pages, 15 €

L’objectif inobjectif

« Venu tard à la photographie, je fus vite pris pour elle d’une passion compulsive, déclenchant tous azimuts en argentique et m’enfermant avec délices dans la chambre noire du tirage. Puis ce fut le temps digital, en abondance encore et dans l’ouverture de nouveaux possibles, me confirmant dans cette incertitude que l’évidence ne nous livre que la peau des choses » (Gilles Plazy)

Le premier à y penser fut – si j’en crois mon encyclopédie – un allemand nommé Johann Wilhelm Ritter, physicien de son état. Sa quête : comment tirer une image de la chambre noire ? Rendez-vous compte, c’était en 1801. Waterloo n’avait pas eu lieu. Baudelaire ne naîtrait que dans vingt ans. On ne parvint à rien, et à presque rien avec les suivants, les anglais Wedgwood et Humphry Davy. Puis, unissant leurs efforts, Louis Daguerre et Nicéphore Niepce firent la découverte décisive (1829), l’ionisation de la plaque de cuivre argenté (selon un procédé très complexe) et sa fixation, offrant une image parfaitement visible et proche de « la perfection picturale ».

La Méditerranée : entre mer Rouge et mer Morte, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mardi, 28 Juin 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

L’actualité est terriblement mythologique : « comment traverser la mer ? ». Si on le fait seul, cela s’appelle un clandestin, un immigré, un noyé, un pêcheur, un pécheur. Si on le fait avec un peuple, cela s’appelle l’exode ou le récit biblique. Cela fonde une religion, un peuple. Si on le fait en groupe, cela s’appelle un flux, un boat people, une fuite. La mer, mais pas toute la mer : il faut qu’elle soit rouge ou blanche. La Méditerranée : berceau et tombeau. Siège des Dieux ou des midis parfaits. Lieu de l’homme ou du surhomme. Souvenir d’une conférence à Avignon, sur la Méditerranée à repeupler ; étrange sensation à écouter les autres parler d’un souvenir (la Méditerranée des Grecs), alors que je pensais à un présent (la mer des réfugiés ou des migrants) : on ne vit pas la mer de la même façon, vue par un touriste ou par un homme du Sud. Pour l’un, elle est ouverture, infinie, exotisme, prémisse, première marche, entame et prologue, plaisir, possibilité d’île ou suspension du temps. Pour l’autre, elle est mur, obstacle, elle est en dents, compte à rebours et non pas temps suspendu.

Vivre avec un inconnu, Miettes philosophiques sur les chats, Florence Burgat (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Vendredi, 24 Juin 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Vivre avec un inconnu, Miettes philosophiques sur les chats, Florence Burgat, Rivages Poche, Petite bibliothèque n°866, mai 2016, 87 pages, 5,10 €

 

« […] il fallait que mes yeux fussent pour elle [la chatte Moumoutte chinoise] des yeux, c’est-à-dire des miroirs où sa petite âme cherchait anxieusement à saisir un reflet de la mienne… En vérité, ils sont effroyablement près de nous, quand on y songe, les animaux susceptibles de concevoir de telles choses… »

Pierre Loti, Le Livre de la pitié et de la mort (cité par Florence Burgat)

 

Le lecteur se pose cette question par exemple : que reste-t-il de la « petite âme » de la chatte Moumoutte ? Et la suivante : « Et de ma grande… belle… atroce ou lucide âme, que reste-t-il ? » Au moins ce témoignage de nos existences qui se croisèrent. Voilà le fond de l’affaire : nos destinées, nos personnes se croisent (que le veuillent ou non ceux pour qui il n’est aucune personne dans un animal.) Nos vies aussi : elles filent et disparaissent. Moumoutte laisse un souvenir éphémère, nous en laissons un aussi, et, rarement, une œuvre digne de ce nom…