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Les Chroniques

A propos de Ainsi parlait (Thus spoke), H. D. Thoreau, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 23 Novembre 2017. , dans Les Chroniques, La Une CED

Ainsi parlait (Thus spoke), H. D. Thoreau, Arfuyen, septembre 2017, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 184 pages, 14 €

« Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. C’est la liberté qui vient de la capacité à posséder son propre élément. Le poisson possède le sien, de même que l’oiseau et que l’animal terrestre. Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? »

C’est sur cette question terrible que se conclut l’ultime écrit de Stig Dagerman (1923-1954), ce bref texte comme une déchirure dans les illusions, cette injonction à trouver un sens à la vie loin de toute « fausse consolation », ce Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1955) qui remue les tripes comme peu de textes en sont capables, provoquant une douleur, un désespoir d’une beauté fractale infinie dont jaillit une force existentielle faisant mentir la modernité. A cette question, Dagerman répond d’un lapidaire « nulle part », puis laisse entendre que cet « élément » est peut-être à trouver en nous désormais que le monde est quadrillé, désormais que la nature est soumise en apparence (mais prend des revanches dignes de la mythologie, biblique, grecque, aztèque ou autre) – désormais que le rapport unifiant à cette nature semble perdu.

A propos de Entre deux mondes, Olivier Norek, par Mélanie Talcott

Ecrit par Mélanie Talcott , le Mardi, 21 Novembre 2017. , dans Les Chroniques, La Une CED

Entre deux mondes, Olivier Norek, Michel Lafon, octobre 2017, 416 pages, 19,95 €

 

Là-bas, ça pue le sang, les coups, la torture, le meurtre, le viol, la putréfaction des corps abandonnés à même le sol. Une terreur cataleptique fait de vous une victime, un bourreau ou encore un collaborateur. Les machettes anatomisent, les balles déchiquètent, les bombes pulvérisent. La folie porte le masque de la mort.

Ici, ça pue la pisse, la merde, les ordures qui croupissent, « le bois humide brûlé ». Machettes, barres de fer, armes à feux, mains qui étranglent. Une peur insidieuse vous tient aux aguets, la nuit comme le jour. Celle de se faire bouffer par la teigne, la malaria, la gale et autres saloperies refilées par les rats et les chiens errants, celle de se faire voler, celle de se faire violer, celle de se faire kidnapper, celle de se faire tuer et la moindre, celle de se faire prendre par les forces de l’ordre, police calaisienne, CRS, gendarmerie, douaniers. Ici aussi, la vie ne vaut rien. Ou si peu. Les mafias claniques y veillent, bien qu’elles doivent composer avec d’autres nouvellement rapportées dont l’albanaise qui dispute à l’afghane « le marché des passeurs» vers l’Angleterre.

A propos de Dé-coïncidence, D’où viennent l’art et l’existence ?, François Jullien, par Fedwa Bouzit

Ecrit par Fedwa Ghanima Bouzit , le Vendredi, 17 Novembre 2017. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

 

Dé-coïncidence, D’où viennent l’art et l’existence ?, François Jullien, Grasset, septembre 2017, 162 pages, 16,50 €

 

La dé-coïncidence, c’est cette fissuration avec soi et avec le monde, c’est cette désadaptation qui ouvre sur l’inaliénable ambiguïté de l’existence. En cela, elle crée un malaise, car elle nous positionne en dehors et nous laisse orphelins de toute attache, de toute stabilité, de toute assurance. C’est ainsi qu’au moment d’un succès tant attendu, on se sent déjà propulsé hors de lui, de nouveau insatisfait et inaccompli. Lorsqu’on regarde du côté de son amoureux ou de son ami et que les regards ne coïncident plus, que le langage secret qui unissait deux personnes est désappris et que l’on retourne à l’étrangeté de l’autre.

A propos de Pierre-Joseph Proudhon L’Anarchie sans le désordre, Thibault Isabel, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 15 Novembre 2017. , dans Les Chroniques, La Une CED

Pierre-Joseph Proudhon L’Anarchie sans le désordre, Thibault Isabel, Editions Autrement, mai 2017, 182 pages, 18,50 €

Clemenceau disait : « Tout homme qui n’a pas été anarchiste à vingt ans est un imbécile, mais c’en est un autre s’il l’est encore à quarante ». A considérer certains quadragénaires, et d’autres plus âgés, croisés en rue, durant des festivals musicaux ou lors de manifestations « alternatives », à considérer l’attrait pour le A cerclé comme signe de ralliement, à considérer certains discours libertaires entendus (faire tout péter, certes, mais on met quoi à la place ?), on ne peut que donner raison à Clemenceau.

Puis un jour, les événements s’enchaînent de façon hasardeuse. On montre pour un élève une considération tout humaine, et celui-ci, avec un rien d’humour, offre en retour un ouvrage vu en librairie dont le sous-titre a dû le faire penser à son professeur de français quelque peu hors normes : « L’anarchie sans le désordre ». Du coup, le professeur lit son premier essai sur Pierre-Joseph Proudhon durant l’été, et, pour faire très bref, se découvre, à l’âge vénérable de quarante-quatre ans, une affiliation politique véritable, c’est-à-dire une pensée politique à laquelle il adhère de façon quasi inconditionnelle, à un bémol près, identique à celui entendu par Thibault Isabel dans la partition écrite par Proudhon pour une société à dimension humaine.

A propos de L’ours des mers, Marc Kober, par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

L’ours des mers, Marc Kober, éd. Rougier Vincent, Coll. Plis Urgents, juin 2017, illust. Vincent Rougier, 50 pages, 13 €

D’un monde à l’autre

Le livre est mince et il tient à l’aise dans la poche. Il n’en est pas moins grand, il contient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux ». Bref, il tient sa place et son rang.

Le poète l’a divisé en six « sections », elles paraîtront ici et chacune à son tour.

L’ours des mers n’a pas volé son nom, il aime à se baigner : nous assistons à « son premier bain / au plus profond du nu ». On le devine blanc, car il porte des lunettes noires, selon celui qui le dessina avec finesse et élégance, Vincent Rougier. Il paraît dans son costume naturel, sous ses poils, tout comme un homme c’est probable, tout comme le « dieu nu dans les flots » de l’épigraphe, sous « la constellation du Grand Ours ». On le devine aussi peu rassuré que le lecteur ou que l’homme moyen « sans combine ». Ses pensées ne sont pourtant pas des plus pures (on y rencontre Dédé-la-saumure) et c’est le chaud mois de juin, tout cela est bizarre… pour un ours ! Les environs semblent peuplés de nudistes et d’étranges individus qui vont « Sous l’œil unique de Ganymède au naturel / La matraque en berne  / La double lune à l’air ». Voilà qui semblera plus belge que nature au lecteur averti.