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Cette semaine

Terre somnambule (Terra Sonâmbula), Mia Couto (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 11 Septembre 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Métailié, En Vitrine

Terre somnambule (Terra Sonâmbula, 1992), Mia Couto, éditions Métailié, janvier 2025, nouvelle traduction d’Elisabeth Monteiro Rodrigues, 242 pages, 21 € . Ecrivain(s): Mia Couto Edition: Métailié

 

Un enfant et un vieillard marchent, sans but précis, fuyant la guerre civile qui ravage leur pays, le Mozambique

Ce roman de Mia Couto, le premier en date de son œuvre, est une vague submersive, une sorte de tsunami langagier, ici magnifiquement servi par une traduction hors normes, d’une intelligence stupéfiante. La langue de Mia Couto dans Terre somnambule n’est pas seulement l’outil de la narration, loin s’en faut : elle est un personnage à part entière, une matière vivante qui permet de tenir à distance un monde terrifiant, de dire la douleur autrement, et surtout, de résister à l’effacement que l’Histoire semble vouloir imposer aux hommes du Mozambique. En transformant la langue coloniale (le portugais) en un langage poétique, oral, complètement africain, Mia Couto rend possible une forme de renaissance – individuelle, culturelle et collective. On pense à Kateb Yacine qui disait, à propos de la langue française des écrivains algériens, que c’était leur « butin de guerre ».

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer (par Leon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Août 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Grasset, En Vitrine

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer, Cahiers Rouges Grasset, trad. américain, Pierre Alien, 336 pages, 10,40 € Edition: Grasset

 

Un rêve américain, sous la plume de Mailer, est évidemment un effroyable cauchemar. La violence du propos n’a d’égale que celle de l’écriture, conçue comme une lapidation avec des mots, une logorrhée brutale et morbide. Mailer érige dans ce roman un monument à la gloire de sa propre œuvre, faite de bruit et de fureur, mais il déploie aussi une machine de guerre contre son pays hypocrite qui masque sa violence originelle dans les oripeaux de la liberté et de la réussite. La lecture de cet ouvrage aujourd’hui résonne d’une puissante évocation prophétique de l’Amérique de Donald Trump, furieusement individualiste et libertarienne.

Rojack, le héros du roman, est l’incarnation de cette Amérique : Mailer crée un personnage ambivalent, intelligent et brutal, prototype des contradictions d’une Amérique écartelée entre son vernis de respectabilité et ses pulsions les plus sombres. Il navigue entre culpabilité et autojustification, baigne dans l’hypocrisie morale et l’obsession du pouvoir sous toutes ses formes.

La chatte, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 25 Juin 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Livre de Poche, En Vitrine

La chatte, Colette, Le livre de poche . Ecrivain(s): Colette Edition: Le Livre de Poche

Chez Colette (3)

 

« Mon petit ours à grosses joues…

Fine-fine-fine chatte…

Mon pigeon bleu…

Démon couleur de perle…»

 

« Me-rrouin ». « R…rrouin… ».

Colette possède l’art du mot juste pour toucher nos sens. Elle nous fait entendre Saha, surgie de la végétation sous la main d’Alain, « comme si elle naissait à son appel. » Car Saha a boudé toute la soirée.

Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle, Éditions de La Pléiade (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Juin 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Nouvelles, En Vitrine, La Pléiade Gallimard

Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle, Éditions de La Pléiade NRF, 2 tomes, 124 € l’intégrale Edition: La Pléiade Gallimard

 

D’aucuns pensent que Sherlock Holmes est un personnage de fiction. Quelle sottise. Par un mouvement de déplacement et de condensation, il est plus réel que tous les personnages que vous croiserez dans la rue. Il a existé et, probablement ici et là, il existe encore. C’est le philosophe épris de vérité, le théologien fou d’absolu, le scientifique qui ne jure que par la preuve. Il est Platon regardant hors de sa caverne, Spinoza dans son rejet du mensonge, Descartes dans sa religion de la Raison, Freud dans sa quête indiciaire, Einstein dans sa mise en rapport du grand tout.

Sherlock Holmes est l’homme occidental dans sa version la plus éclatante.

Il était donc grand temps que la plus belle maison d’édition littéraire d’Occident accueille en ses pages l’homme du 221 b. Baker Street, en compagnie de ses chroniqueurs officiels : Les docteurs John Watson et Arthur Conan Doyle. Et cette édition est une fête d’intelligence, de jeux d’esprit, de magie littéraire.

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 14 Mai 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Seuil, En Vitrine

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos, Le Seuil, trad. espagnol (Paraguay), François Maspéro, 254 pages . Ecrivain(s): Augusto Roa Bastos Edition: Seuil

 

Le support de ce roman est un train de mort. Lent, bringuebalant, inquiétant, il porte en ses flancs le narrateur – l’auteur assurément – unique survivant d’un massacre lors d’une évasion de prisonniers politiques d’une prison. Survivant, dans ce roman, n’a de sens qu’ontologique. La survie est la condition humaine et, par définition, elle n’est que sursis. En compagnie de personnages étranges et inquiétants, le narrateur va. Où ? Il ne sait pas, au moins au départ. Loin, dans tous les cas, loin des lieux où on le traque.

Entre les scènes de son compartiment et ses rêves pendant ses endormissements, il est assailli par un flot de souvenirs qui déferle comme un torrent, portant avec lui une enfance erratique et des images obsessionnelles des parents, des amis d’alors, des cinglés qui peuplaient Manorá – petit village perdu au milieu de nulle part. La noirceur et la brutalité traversent ces évocations du passé adossées à l’histoire du pays soumis à toutes les exactions.