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Ecriture

L'arbre aux secrets - 8 (Chap. IX)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mercredi, 13 Juillet 2011. , dans Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis

En effet, le lendemain matin, lorsque Rose osa enfin jeter un œil dans la chambre de sa mère, celle-ci était étendue toute droite sous ses couvertures, les yeux ouverts, le regard perdu. Et Rose ne sut pas quoi faire d’autre que d’aller dans la forêt. Elle avala un verre de lait, glissa une pomme dans sa poche : elle était partie.

Il faisait très chaud ce jour-là. Malgré l’heure matinale, une buée légère s’échappait des prés des deux côtés du chemin. Rose clignait des yeux sous le soleil. Soudain, du coin de l’œil, sur sa gauche, elle entraperçut une forme blanche au milieu du pré. Elle tourna la tête, mais ne vit rien. Continuant sa marche, elle gardait cette sensation d’être accompagnée, de loin, par une silhouette qui se dissipait dès qu’elle s’arrêtait pour mieux la regarder. Elle pensa à l’enfant du grenier, en qui elle ne pouvait s’empêcher de reconnaître sa mère, petite fille. Ce que sa mère lui avait interdit en paroles hier, elle l’encourageait aujourd’hui en actes. Rose se disait cela, puis secouait la tête. Cette vague image qui l’accompagnait à travers prés, ce fantôme, ce n’était pas sa mère, c’était un songe né de son angoisse à elle, Rose, de son désir à elle, d’avoir une solution, de n’être pas impuissante. Et pourtant, pourtant… L’image, toujours insaisissable, persistait, un chant se faisait de plus en plus distinct, une chanson, une comptine, comme celle qui rythme les rondes, aux paroles incompréhensibles, mais l’air, gai et entêtant, qu’on a déjà entendu quelque part, mais les paroles, on ne s’en souvient plus, les paroles échappent.

Sacrifice

Ecrit par Zoe Tisset , le Jeudi, 07 Juillet 2011. , dans Ecriture, Nouvelles, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

 

Cette voix a été mutilée par un coup de rasoir coléreux. Elle a voulu se révolter, au coin d’une fenêtre, elle a crié sa hargne d’une filiation coercitive. Le père n’a pas supporté, imbibé d’alcool, il a tranché.

Quelques gouttes de sang sur une moquette, voilà ce qu’il reste d’une voix qui s’est perdue à jamais. L’enfance et l’espérance sont parties pour ne revenir que de manière hachurée à travers une logorrhée découpée, hoquetante et striée.

Ma sœur est alors devenue le fantôme d’elle-même, courant derrière cette voix lumineuse qu’elle avait perdu un jour de ténèbres. Elle n’a jamais pu solder cette perte. Sa voix, elle l’a oubliée, nous l’avons tous oubliée. Pourtant, chacun d’entre nous sait ce qui a été tu.

C’est comme s’il y avait eu un sacrifice, car jamais plus le père n’oserait inciser un de ses enfants.

Et toi mère, ta voix ? Comment ne s’est-elle pas alors réifiée ? As-tu hésité à te réveiller ? A t’enterrer ?

Quelle souffrance aujourd’hui d’être encore dans ton silence. Je ne peux plus me taire, mes oreilles raisonnent de hurlements qui m’empêchent de frissonner à la brise du matin.

L'arbre aux secrets -7

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 30 Juin 2011. , dans Ecriture, Ecrits suivis, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

Chapitre VIII

 

L’Arbre aux secrets, Chapitre VIII


— Comment as-tu fait, tout à l’heure ?

— Comment fait quoi ?

— Quand tu as transformé tes parents.

— Oh !… Je ne sais pas. C’est comme ça. C’est un don, on va dire.

— Ce n’était pas très réussi. Je n’y ai pas cru une seconde.

Victor eut un rire bref. « Menteuse ! »

Ils marchèrent ensuite en silence jusqu’à la clairière. Il était tard à présent. Il commençait à faire un peu frais. Rose eut un frisson. Elle se sentit tout d’un coup épuisée, et elle avait envie d’être seule. Arrivée à la clairière, elle salua Victor plutôt brusquement et commença à s’éloigner. Victor demanda : « Il faut vraiment que tu rentres ? »

Ma mère

Ecrit par Zoe Tisset , le Samedi, 25 Juin 2011. , dans Ecriture, Ecrits suivis, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

Elle a donné la vie en sachant qu’elle niait la sienne.

L’enfant devait reprendre sa vie, là où elle l’avait laissé. Elle était défaillante, boiteuse et faible. Elle avait perdu l’estime de soi quelque part dans le regard cruel des autres qui pointaient sa différence déformante. Elle s’était usée au service des autres, elle avait fait la bonne.

L’homme qui l’aimait avait préféré aller vers plus de normalité et d’indifférence.

L’homme qui l’avait épousé s’était engouffré dans cette faille, jouant alors de son monopole affectif.

Elle était morte de l’intérieur, incapable d’être quelqu’un. Mais la vie s’échappait d’elle à travers ses enfants, elle la leur offrait en sacrifice.

Seulement cet amour était barré, il ne fallait surtout pas l’aimer, elle, qui ne savait pas marcher ni courir, elle qui offrait le triste spectacle de n’être qu’une surface tremblotante et souffreteuse.

L’injonction de grandir contre elle et sans elle était d’une souffrance infinie pour l’enfant et une posture inextricable. La plus merveilleuse, la plus belle, celle dont les bras sont toujours ouverts pour recueillir les peines et les pleurs était frappée d’interdit. Une fatwa était lancée contre elle par elle-même avec notre complicité innocente.

L'insoutenable

Ecrit par Zoe Tisset , le Samedi, 18 Juin 2011. , dans Ecriture, Ecrits suivis, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED


C’est une bête blessée au regard noir et servile. Elle cherche avec cette lame à transpercer celui qui l’humilie jour après jour. Mais tout cela n’est que minauderie, cirque d’une vie qui tourne autour de deux personnages : elle et lui.

Son courage consiste à ne l’avoir jamais fui, lui, celui qui l’a épousée à la différence de l’autre. L’autre il a écouté ses géniteurs, il n’a pas voulu d’une fille bancale.

Elle ne pensait pas alors qu’elle deviendrait ce lieu d’une souffrance sans odeur, ni couleur. Sa souffrance ne lui appartient pas, elle ne l’explique pas, ne s’y arrête pas.

Elle joue le rythme de cette danse avec lui, danse dangereuse de séduction qui brise le tabou pour devenir violence à deux. Elle vibre à l’intonation de sa voix grinçante, elle frémit à ses gestes qui la bousculent et la compriment.

Elle jouit « de ne plus savoir où elle en est » tellement il l’a déborde. Il provoque sa peur, elle s’enfonce en elle jusqu’à l’extrême. Elle ne sait plus alors qui elle est, où elle se trouve. Son corps est pris de soubresauts.