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Ecriture

Le 21 août 1944

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 30 Novembre 2012. , dans Ecriture, La Une CED

 

Un photographe a dans son viseur le visage d’une vieille dame allemande aux cheveux blancs, très fins, aux yeux ardents. La photo en noir et blanc date de 1991. Je regarde la vieille dame, Inge Müller, en train de tenir dans ses mains maigres et déformées de vieilles photos, celles de sa vie.

L’été, il fait parfois très chaud à Berlin, capitale de la Grande Allemagne. Mais cette ville devient comme une station balnéaire avec ses plages et ses Strandkörbe qui sont de jolies cabanes d’osier, à l’intérieur si intime pour se cacher un peu du monde si gai qui court vers le lac aux eaux fraîches. Le dimanche, 21 août 1944, Berlin étouffe ses habitants. Une photo sans photographe, plus mystérieuse, met en scène deux jeunes femmes, presque deux adolescentes qui, après une course en vélo, ont rejoint la Havelchaussee, du côté de la Grande-Fenêtre, pour croire aux vacances, à la douce liberté dominicale. Exposer son corps au soleil, sentir sa légèreté dans l’eau quand toute l’Europe se meurt dans la guerre, n’est-ce pas nécessaire ?

C'est chiant Verlaine !

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mercredi, 28 Novembre 2012. , dans Ecriture, La Une CED

« Dans l'interminable

Ennui de la plaine

La neige incertaine

Luit comme du sable.


Le ciel est de cuivre

Sans lueur aucune.

On croirait voir vivre

Et mourir la lune... »


- C’est chiant Verlaine…

Ekphrasis 3 - Visages dévisagés

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 14 Novembre 2012. , dans Ecriture, La Une CED

 

En hommage à un grand peintre allemand.

 

Elle descend sous terre sans bouger, portée par la lenteur du très long escalator. Station Place des fêtes, ligne 11, direction Châtelet. Ils sont déjà là, ils avancent dans la léthargie d’une journée qui commence. Elle les attend comme chaque jour. A sa hauteur, de l’autre côté des rampes noires, leur visage surgit, porté par leur corps sans jambes, sans torse. C’est quoi regarder un visage ? Lire la vie ? Les visages sont les mêmes, organisés et organiques : un front, des tempes, un nez ombilique, des yeux-monde, une bouche, béance des baisers, gouffre des nourritures, des joues pour ressembler à un enfant, un menton, promontoire. Des chevelures aussi sauvages que des forêts impénétrables ou rectilignes comme de beaux potagers. Elle voudrait tous les absorber dans un immense livre des visages. FACE-BooK. Elle n’en reconnaît aucun.

Le chant des baleines

Ecrit par Gilles Brancati , le Mercredi, 31 Octobre 2012. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

Je me souviens l’avoir vu dans les mains de mon grand-père lorsque j’étais enfant. Personne après lui ne s’en est soucié. Parfois quand l’un de nous posait la question « il est passé où le violon de grand-père ? », maman répondait « je ne sais pas trop ». Elle aurait dit la même chose à propos de sa carabine ou de son arc mais s’agissant du violon elle ajoutait « quel dommage, votre grand-père jouait si bien. Vous savez qu’il avait été sélectionné pour entrer dans l’orchestre d’Olaf Nivel. Mais c’était juste avant la grande guerre et finalement ça ne s’est pas fait ». Bien sûr que nous le savions. Blessé à la main à Verdun il n’avait plus jamais eu la dextérité requise pour faire de la musique un métier. Mais il jouait encore, parfois avec difficulté à cause de son doigt resté raide, mais l’archet glissait bien. Nous étions des enfants et notre jeune âge ne nous a pas permis de goûter le plaisir et le drame que grand-père nouait derrière chaque note. Je le regrette aujourd’hui, assise à même le plancher poussiéreux du grenier. J’ai soufflé plusieurs fois dessus pour ôter la poussière mais je n’ai pas osé passer un chiffon de peur de rayer les volutes du bois. Je suis redescendue prendre un vieux gilet de laine dans une armoire et je l’ai doucement enveloppé, sans serrer, il pourrait avoir des fissures. Il manque l’archet. J’ai fouillé tout autour mais je ne l’ai pas trouvé.

L'été sarde - I Kallisté

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 14 Septembre 2012. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

I Kallisté

 

Elle est à bord du Kallisté. Ligne Marseille/Porto-Torres. Elle est à bord de ce bateau qu’elle n’a jamais pu prendre avec Jean. Grève dure des marins. Pirates. Elle monte sur le pont supérieur pour assister au départ,  à l’arrachement de la terre du continent, à l’arrachement de son immense chagrin. Le bateau pilote, petit jouet si puissant, conduit le ferry ; vers le large. Arenc. Les lignes verticales, horizontales de la ville sont un mur de décor. Elles se croisent ; s’harmonisent ; se brisent : tour de verre irakienne au milieu du flot des voitures, cheminée bleue aux tuyaux noirs du Kallisté, orgues industrielles de la nef ; grues rouges qui tournent sur les chantiers, lignes d’immeubles. Défilent les façades de la ville qui sont des blocs de sa mémoire des anciens docks à la corniche vers Endoume. Une amante n’est jamais veuve, la femme au long voile noir qui pleure, qui pleure. Elle est seule. Le bateau dépasse les feux noirs et jaunes qui clignotaient devant sa fenêtre, puis les rochers de Malmousque qu’elle gagnait à la nage. Elle se reposait sur l’îlet et ses pieds se blessaient sur les coquilles des petites moules devenues lames de couteau.